Chronique minuscule et désorganisée

Un long week-end de Pentecôte, un long week-end globalement ennuyeux et déprimant seulement éclairé par un petit bout de Festivox et de fête foraine et deux visites matinales à Muguette. Depuis que Fantôme est blessé à un coussinet, il n’a plus le coeur à faire de grandes promenades. Il veut surtout aller au plus court et retrouver Muguette, sa cuisine et ses cuivres rutilants, Muguette et son arrosoir rempli d’eau fraîche, Muguette et son arche de Noé, Muguette et ses morceaux de pain dur également partagés entre les moutons et lui, Muguette et son potager.

Cette année, je ressens un sentiment de solitude très fort. Je sais que je vais perdre une peau. Mes amis sont perdus, loin, mal en point ou débordés par une vie trépidante. Depuis que je suis enfant, mon énergie et mon besoin de partage ont fait de moi un chef de locomotive, une organisatrice d’évènements, une fédératrice. J’ai toujours mélangé tous mes amis quelque soit leur parcours, leur métier, leurs repères. J’ai en horreur les corporatismes; tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à de l’entre-soi. Je n’ai jamais appartenu à un groupe, à un cercle. Mes amis, aussi différents soient-ils, se sont toujours très bien entendus.

Hier, seule, assise dans le canapé rouge du salon dans l’odeur persistante de la fourrure de Fantôme, notre fidèle berger australien, je repensais à tous ces longs week-end de Pâques, de l’Ascension, de la Pentecôte ou à ces week-end simples pendant lesquels la maison affichait complet et où on réquisitionnait le lit martiniquais de mon bureau et le canapé de la mezzanine pour coucher tout le monde. Je repensais à ces grandes tablées, ces deux services, un service enfants et un service adultes. Je repensais aux grains de maïs minutieusement détachés des épis et que les enfants avaient semés aux quatre coins de la maison. J’en avais retrouvé pendant des années comme les épines de sapin ou les confettis. Je repensais à la somme de ces anniversaires, de ces soirées pyjamas, de ces incroyables petits-déjeuners et encore aux fêtes de Noël, rassemblements pour Pâques et baptêmes, communions, professions de foi…Comme la maison était calme en comparaison de ce qu’elle a pu ou peut être! Je voulais offrir à Margot et à Valentin de venir de Paris par le train tandis que leur maman préférait rester à Paris avec sa petite Charlotte mais j’ai calé. Je l’ai tant fait depuis vingt ans. Il paraît qu’il faut que je fasse attention à moi mais cela m’a coûté de laisser les cousins passer à côté d’une chance de se voir.

En novembre, la veille des onze ans de Louis, Céleste, notre aînée, aurait dû recevoir le sacrement de la confirmation mais elle a renoncé et j’ai respecté son choix. La confirmation est vraiment ce temps fort du parcours d’un jeune chrétien où il doit faire entendre sa liberté. Elle n’était pas prête. Elle a toute une vie pour préparer sa confirmation. Je conserve un souvenir très vivace de ce moment. A « mon » époque – quand on écrit « à mon époque », on a toujours le sentiment de remonter à l’antiquité grecque!- nous faisions notre confirmation en quatrième. Je me rappelle ce premier tailleur à fines rayures roses et blanches dans un tissu légèrement gaufré. J’étais vraiment heureuse de confirmer mon baptême. Il me semblait passer un cap. Il s’agissait presque d’un rite initiatique. Je devenais adulte. Je décidais en mon âme et conscience de marcher dans les pas du Christ. Ce n’était pas rien!

Vendredi, à la librairie, je me suis offert le dernier livre du philosophe Fabrice Midal dont je vous ai déjà souvent parlé. Il est consacré au mythe de Narcisse dont il redonne le sens profond qui n’a rien à voir avec cette vision déformée, négative, celle d’un égoïste amoureux de lui-même. Narcisse renvoie au printemps, au renouveau, à la rencontre de soi, à la jeunesse qui entre dans le monde adulte. Fabrice Midal évoque l’importance qu’ont longtemps revêtu les rites initiatiques dans toutes les cultures. Clairement, la découverte de la sexualité est l’un de ces passages qui fait faire le deuil de l’enfance, conduit à se détacher de ses parents. On le sait, longtemps, il n’y a pas eu d’adolescence et, à peine une enfance. Maintenant, on est arrivés dans une ère, du moins dans les pays occidentaux les plus riches, où l’entrée véritable et consentie dans le monde adulte est de plus en plus tardive. Le monde des adultes a certainement toujours fait peur aux générations précédentes et, pourtant, la curiosité et le désir d’accéder à l’indépendance permettaient de sublimer la peur.

Pour des raisons souvent économiques, les enfants, déjà des adultes, restent chez leurs parents. Ils vivent leur sexualité dans la chambre où, des années en arrière, ils guettaient la pièce laissée par la petite souris sous l’oreiller. Ils commencent à travailler en demeurant sous le toit parental. Ils épargnent et, un jour, ils quittent le nid pour en fonder un avec leur amoureux ou amoureuse. Les jeunes hommes ne font plus l’expérience de la vie communautaire et de l’autorité pas toujours maîtrisée par le service militaire obligatoire. On voit de plus en plus de parents vieillissants continuer à veilleur sur leurs grands enfants. Ces parents-là n’ont même plus ce temps pour eux, pour se retrouver vraiment, avant que n’arrivent les petits-enfants.

L’internat, le scoutisme religieux ou laïc, la sexualité vécue en dehors du nid familial, les voyages, le permis de conduire, l’acquisition de sa première voiture avec l’argent qu’on a pu épargner, le départ de la maison pour mener des études supérieures sont autant de rites de passage qui mènent à une vie adulte, une vie responsable, une vie où parents et enfants sont séparés. Hormis des cas rares comme les années préparatoires aux grandes écoles ou la première année de médecine, toutes les études sont compatibles avec des petits boulots. Que vaut l’indépendance quand les parents installent un enfant dans un studio dont ils assumeront toutes les charges? Comment se préparer à faire face à des responsabilités d’adulte si on ne se frotte pas aux réalités du monde du travail : respect des horaires, pénibilité des taches, salaires bas pour un temps de travail important…

J’entends de plus en plus de jeunes dire que tel ou tel métier ne leur plairait pas car certains aspects sont peu gratifiants. Mais dans quel métier fait-on exactement toujours ce qu’on aime, ce pour quoi on se sent fait? Même les métiers dits de « passion », reposant sur des vocations fortes, exercés parfois comme des sacerdoces, ont leur face sombre cachée. Ce qui s’est perdu en même temps que disparaissaient les rites de passage, c’est le sens de l’effort, la capacité à endurer une certaine forme de souffrance tant morale que physique qui permet d’accéder au dépassement de soi.

Mon esprit d’escalier m’a fait partir d’une réflexion menée autour d’une maison affichant complet les week-end à notre jeunesse et à sa difficulté à entrer vraiment dans le monde des adultes perçu comme de plus en plus anxiogène et pas capable de tenir ses promesses. Parfois, vraiment, on se demande si on a bien fait d’avoir des enfants: réchauffement climatique, transformation des océans en immense poubelle, disparition des espèces, montée en puissance des extrémismes, délitement de l’Afrique…

Mais il faut lutter coûte que coûte, ne pas céder au pessimisme, montrer l’exemple, être des enfants de Michel Serres, autant de petites Poucette: recycler, ramasser les déchets, bannir les sacs en plastique, privilégier le verre, éviter l’avion autant que possible, penser à la manière dont vivaient les peuples Indiens, dont vivent encore les peuples pastoraux, les communautés amérindiennes. Surtout, ne jamais se dire « après moi le déluge! ». Il est impératif de penser aux générations à venir, à ce que nous avons envie de leur laisser de cette terre dont nous aurons eu la chance de profiter à plein sans nous poser de questions. Je me rappelle la pureté des eaux en Méditerranée dans les Cyclades, celle de l’Ardèche où nous nous baignions tous les étés. En août, en Haute-Corse, après les forts coups de vent, on nage au milieu des déchets de toute sorte. Nos pays riches envoient en Asie nos ordures à recycler quand, dans le même temps, à La Hague, la Cogema réceptionne des déchets radioactifs de pays étrangers…

Une vidéo a largement circulé sur les réseaux sociaux. Elle montre ce que redeviendra la terre nettoyée de notre présence polluante. Elle m’a rappelé ce très beau documentaire réalisé par Jacques Perrin et Jacques Cluzaud « Les saisons ». Le film s’attache à montrer les effets de la présence humaine et de ses activités sur les forêts européennes par le filtre de 200000 ans d’histoire au coeur du monde sauvage.

https://www.youtube.com/watch?v=ZJFXDiGtwn0

On ne compte plus les essais, documentaires, conférences, mouvements citoyens qui nous parlent de la terre et des actions que nous pouvons mener pour la sauver. Nous sommes vraiment au chevet de la terre. Elle est comme un malade placé dans un service d’urgence. Nous pouvons encore y arriver mais il ne faut pas baisser les bras, s’avouer vaincus.

C’est maintenant que toutes ces pensées me viennent dans le calme de la maison et tandis que, par la fenêtre entrouverte de mon Ar Men, j’entends les oiseaux chanter et vois le soleil former des taches de lumière blanche sur le divan.

Hier après-midi tandis que Céleste me séchait les cheveux après me les avoir coupés, je repensais à ce rite du vendredi qui s’était perpétué pendant les années où les enfants étaient petits. Le vendredi, je leur lavais les cheveux. Ensuite, je les emmaillotais dans une serviette et les déposais sur le lit. Je leur séchais les cheveux. Ils ne bougeaient pas d’un pouce. En hiver, je soufflais de l’air chaud le long de leur dos ou de leurs jambes. Ensuite, je coupais les ongles et lavais les oreilles. Ils adoraient ces moments à la fois chauds, tendres et doux. Moments que j’avais moi-même vécus dans mon enfance.

Le samedi, alors que Victoire et Léa rejoignaient des amis à la fête foraine, j’y conduisais Louis. Il n’y avait pas grand monde. Nous croisions les membres de la fanfare dont nous connaissons plusieurs membres. De l’un des musiciens, Louis me disait « Comme il est gentil, maman! Il sourit tout le temps et son fils également. » Tandis que Louis faisait tomber les unes après les autres toutes les canettes du stand de tir, les élus encadrés par des gendarmes faisaient le tour des manèges. Je pensais à notre père et à tous ces évènements auxquels il participait tout au long de l’année et à ces mots délicats qu’il avait toujours pour chacun. Les forains sont des gens charmants. J’ai échangé avec un couple natif de la Saône et Loire, un autre du Haut-Rhin et un jeune homme né à Gonesse mais reparti, très jeune, avec sa famille dans le Finistère, un petit village dont je ne connaissais pas le nom, à quelques kilomètres de Quimperlé. Le jeune homme qui tenait le stand des bulles sur l’eau avait sur l’avant-bras gauche une magnifique tête de loup avec, en arrière-plan, la lune et des montagnes. Cela incarnait la nécessité, dans la vie, d’aller toujours de l’avant. Le coupe originaire des bords de la Saône avait perdu un fils. Il s’était suicidé. Il avait dix petits-enfants et quatre arrière-petits-enfants. Une de leur petite-fille était en passe de partir vivre avec son mari antiquaire au Texas. Dans la famille du monsieur, on est forain de père en fils depuis plusieurs générations. Avec une scolarité en dents de scie, il n’est pas simple d’envisager une autre profession.

Au stand de tir, je me rappelais que c’était notre père qui m’avait appris à tirer. C’était toujours lui qui nous emmenait ma soeur et moi à la fête foraine.

Avec Louis, avant de rentrer, nous nous amusons à expérimenter tous les instruments de musique imaginés par un bénévole du Festivox dans des objets de récupération dont des tongs. Les sons étaient très amusants. Le dimanche, Stéphane, pour la première fois depuis que nos enfants sont scolarisés, remplissait le dossier d’inscription pour la rentrée au lycée de notre aînée. Il trouvait cela fastidieux. Céleste et moi riions sous cape. Victoire repartait chez son amie Léa et nous ne la reverrions plus avant demain. J’avais eu envie d’aller écouter des concerts le soir mais j’étais fatiguée.

Lundi, Céleste retirait le plastique  ayant servi à protéger ses livres de classe. Je songeais qu’à la rentrée, nous les couvrions avec du papier brun. Céleste cesse ses cours demain à 13h00. J’irai les chercher Lisa et elle à la sortie du lycée. Victoire et Louis, de leur côté, n’irons plus au collège à partir du 26 juin. Etrangement, je ne vis pas mal les fins d’année scolaire depuis que les enfants ont quitté l’école primaire. Si je remonte dans mes souvenirs, je pense que ce sont les fins de grande section de maternelle et de CM2 que j’ai trouvées les plus émouvantes. Je n’aimais pas voir les ATSEM et le personnel de garderie retirer les dessins des enfants sur les murs. J’éprouvais un fort sentiment de deuil. Je pense que cela me renvoyait à tous mes déménagements, à toutes ces pertes d’amis, toutes ces petites morts qui fragilisent.

Lundi, je m’ennuyais ferme. Je finissais de regarder seule « Dunkerque ». Stéphane et Louis étaient partis jouer au ping-pong. Je regrettais que tous deux loupent la fin du film qui, à mon sens, était la plus intéressante. Je me décidais à accéder au souhait des filles: je les emmenais dans les boutiques. Comme j’aurais préféré aller visiter à Beaubourg l’exposition sur Dora Maar, me promener dans les allées des Tuileries, déjeuner chez ma soeur à Montmartre avec notre mère, flâner dans le Marais, pousser la porte d’une librairie de quartier et en ressortir avec « Je suis le carnet de Dora Maar » de Brigitte Benkemoun ou « héros et nageurs » de Charles Sprawson. J’essayais d’aider les filles dans leur quête, surtout Victoire qui cherchait une tenue pour la boum. Elles étaient heureuses et je m’en voulais de leur dire que j’aurais préféré faire autre chose, être ailleurs.

Cette année, pour la première fois depuis presque treize ans, je ne tiendrai pas un stand à la kermesse le dimanche. Je ne verrai pas les enfants prendre place sur le manège, pêcher des canards, lancer des palets en bois, sauter dans le château gonflable, s’arroser avec des pistolets à eau et présenter chants ou danses. Je ferai des crêpes pour la boum du collège. Je m’étais offert pour aider les parents bénévoles. On m’avait dit que je pourrais aider à surveiller les abords de la salle des fêtes mais Victoire m’a opposé un veto total! « Si tu viens, je ne vais pas à la boum! » Dont acte!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.