Chronique en forme de conte de Noël

A la quatorzième fenêtre du calendrier de l’Avent, l’odeur du sapin installé hier sur la mezzanine répand son odeur de forêt vosgienne à tout l’étage de la maison. C’est un épicéa doté de racines. Même si ses chances de survie sont faibles, nous avons envie de le replanter en début d’année prochaine. Les températures ont été si douces ces dernières semaines que le petit sapin a poussé des bourgeons au bout de ses multiples bras piquants. La pluie continue de tomber brouillant les couleurs du plateau. Le sentier est détrempé. Les chevreuils ne prennent plus la pose sous les pommiers. Seule une cane solitaire conserve ses habitudes dans la mare à la surface de laquelle les nénuphars ont disparu.

Les familles savent désormais où et comment elles célèbreront Noël. Mes plus jeunes patients me parlent de la liste écrite au Père Noël. Ce matin, une petite poupée de quatre ans qui a traversé une leucémie évoquait cette licorne peluche qu’elle espérait trouver au pied du sapin. Un autre patient âgé de sept ans me racontait que sa maman leur avait confié à sa petite soeur et à lui que le Père Noël n’existait pas. Je sentais que cet enfant était triste qu’on les ait privés de la magie de Noël. Certains parents croient bien faire en n’entretenant pas chez leurs enfants cette croyance. Cela permet aussi de responsabiliser les enfants qui comprennent alors que leurs parents proches ne peuvent pas satisfaire tous leurs désirs.

En m’offrant un voyage dans mes chroniques, j’ai redécouvert avec émotion un texte écrit en janvier 2013. Je vous l’offre comme un conte de Noël. L’héroïne est une enfant de sept ans qui rêvait que le Père Noël lui apporte une maison à trois étages, le mobilier et les personnages. Encore aujourd’hui, quand je passe devant un rayon proposant des familles Sylvanian, je repense à ce qu’avait éprouvé la petite fille et comment elle avait su très vite rebondir et se réjouir de ce que le Père Noël lui avait apporté en omettant tout ce qu’elle lui avait demandé. Cette petite fille a désormais 18 ans. Elle est partie faire ses études supérieures. Maintenant qu’elle connait le prix de chaque objet, elle sourit de sa candeur d’enfant. Cette jeune fille est la générosité même. Elle échange souvent avec les sans-abris et va leur acheter ce qui pourrait leur être vraiment utile pour faire face à la vie dehors.

La maman a retrouvé la liste au Père Noël écrite par sa cadette. Elle l’avait glissée entre les pages de ce grand cahier d’écolier dans lequel elle consigne ses notes après les séances avec ses patients. L’écriture est très appliquée, comme si la petite fille de sept ans avait voulu être sûre que le Père Noël arriverait à la lire, qu’il ne se tromperait pas. Elle a utilisé un stylo dont l’encre mauve brille. Cette petite fille, l’enfant du milieu dans sa fratrie, aime les maisons de poupée, les univers minutieux. Elle a le sens du détail et un goût déjà très prononcé pour la décoration. Cette petite fille a demandé une maison à trois étages. Comme la maison n’est pas meublée, il faut ensuite tout rajouter : la salle de bains, la cuisine, le salon, la salle à manger, les chambres et les familles Lapin, Écureuil et Hérisson qui seront les heureux habitants de la maison.

Quand elle découvre le contenu de la lettre, la maman de trois comprend que le Père Noël ne pourra jamais offrir à la petite fille tout ce qu’elle espère. La maman s’inquiète pour sa cadette, ce qu’elle ne ferait pas pour son ainée ou pour son benjamin. Leur aînée refait sa liste si souvent qu’elle ne se rappelle pas d’un jour sur l’autre ce dont elle avait envie la veille. Quant au benjamin, il n’aime pas les listes. Il aime les surprises. La maman essaie d’orienter les désirs de la petite fille dans d’autres directions. Rien à faire, la petite fille ne rêve que de la maison, de ce qui permettra de la meubler et des personnages qui s’y épanouiront grâce à ses soins attentifs. Quand la maman laisse entendre que le Père Noël ne pourra sans doute pas tout apporter et qu’il sait que la petite fille a déjà deux maisons dans sa chambre, une maison Barbie et la maison Pet shop donnée par sa grande sœur, le petit frère rétorque à l’adresse de sa sœur cadette: « Mais non, ce n’est pas vrai ! Ne t’inquiète pas ! Le Père Noël peut TOUT apporter ! »

La maman sait que la magie de Noël, pour les enfants, ne réside pas exactement dans la naissance attendue du fils de Dieu mais dans ces cadeaux espérés et qu’on découvre emballés au pied du sapin. La maman se laisserait fléchir pour ne pas écorner la magie de Noël, du moins ferait-elle en sorte que la petite fille trouve certaines de ses attentes, mais le papa balaie ses arguments les uns après les autres. Surtout, il sait que la pièce fourre-tout, la caverne d’Ali Baba au fond du garage abrite un grand carton dans lequel sont entreposées des dizaines de pochettes en plastique contenant de quoi construire une maison miniature en bois ainsi que tous les meubles et les accessoires.

La maman ne l’était pas encore quand, à leur retour d’un tour du monde d’une année, elle avait commencé à acheter les numéros édités par Atlas permettant de se lancer dans la réalisation d’une maison miniature rustique. Pendant plus d’une année, toutes les semaines, elle avait été chercher les fascicules mis de côté par Eric le propriétaire de la maison de la presse. Dans la petite ville gardoise, ils étaient trois à s’être lancés dans l’aventure. Dans le lot, la femme du boulanger de la rue du Haut-Mazeau. Elle avait un ravissant prénom à résonnance italienne. Maintenant, elle ne se le rappelle plus. Plutôt que de construire la maison au fur et à mesure, elle avait mis de côté tous les fascicules. Elle était sûre, un jour, de trouver le temps de la monter. Elle se disait que, plus tard, quand les filles qu’elles n’avaient pas encore seraient assez grandes, elles se feraient une joie de découvrir la maison et tout son univers.

Sans doute, elle se rappelait l’un de ses plus beaux cadeaux de Noël, un cadeau reçu pour ses neufs ans. Avec sa famille, ils venaient de rentrer de la Martinique. Le retour en métropole était dur, la cour de récréation hostile, l’hiver, dans la Sarthe, rigoureux. Le parc était couvert de neige. L’un de leurs deux chiens qui était né à Fort-de-France découvrait cette matière étrange. Cela le rendait fou de bonheur. De son côté, le premier enfant de la famille, le cocker français que les parents avaient reçu en cadeau de mariage de la part d’un ami d’enfance et qui avait connu les frimas messins s’étonnait que la neige suscite une telle excitation chez son congénère. Cet hiver-là, sous les grandes branches du sapin, elle avait découvert une incroyable maison de poupée. C’est leur grand-mère qui l’avait transportée depuis Paris. Ce n’était pas une jolie maison ancienne avec des objets en bois et de la vaisselle en porcelaine, mais une maison contemporaine au confort moderne. Rien ne manquait, pas même un vase rempli de fleurs en plastique. Un feu brillait dans l’âtre de la cheminée. Comme la maison était électrifiée, toutes les lumières s’allumaient. A la fin des années 70, le principe de précaution n’avait pas tout envahi. Les petites filles apprenaient à repasser avec des petits fers, des fers électriques ! Elle avait passé des après-midis entières à jouer avec la maison.

Quand sa sœur et elle avaient cessé de s’y intéresser, leur mère l’avait installée dans la chambre des futurs petits-enfants, dans la bonne et vieille maison de famille gardoise. Elle avait mille fois bien fait. Tous les cousins, garçons et filles, avaient eu le même plaisir à jouer avec la maison qui avait vieilli. Le système électrique ne marchait plus. Une partie du toit s’était décollée. Un bout de tapisserie avait été arraché, mais les meubles avaient été conservés ainsi que la plupart des accessoires tel un sapin avec boules et guirlandes. La famille, elle aussi, était toujours là même si la tête de la mère se déboitait et que l’un des enfants avait perdu un pied. Le plaisir des cousins consistait surtout à repenser l’aménagement des pièces et à redéfinir les espaces à vivre. Seul numéro trois aimait renverser les meubles par terre et projeter contre les murs les membres de la famille !

La maman n’avait jamais monté la maison. Quand ils avaient déménagé, tous les fascicules avaient été rangés dans un grand carton entreposé dans une pièce au fond du jardin. De temps en temps, la maman y pensait. Elle se disait que les enfants étaient encore trop jeunes pour apprécier une telle maison. Alors, le temps avait passé. La maison en pièces détachées, les meubles et tous les accessoires avaient plongé dans un très long sommeil, un sommeil de sept années. Ils en sortiraient le 25 décembre 2012.

La veille de Noël, une grand-mère était arrivée dans l’après-midi avec deux de ses cinq petits-enfants. Les parents travaillant, on avait pensé qu’ils seraient heureux de quitter Paris plus tôt. La maman de trois savait ce qui ferait le plus plaisir à la grand-mère cinq galons : être entourée de tous ses petits-enfants à la veillée de Noël. Il y en avait une à 18h30. Alors, la grand-mère et sa fille aînée étaient parties avec les cinq enfants. Le papa était resté à la maison avec le chien, le chat et le poisson rouge. Il serait rejoint plus tard par une tante et un oncle. Et, avec un peu de chance, le Père Noël serait passé avant que les enfants rentrent de la messe. Pour être certains d’avoir de la place, on était arrivés très en avance. Contre toute attente, l’église n’était ni froide ni humide. Il y régnait même une chaleur surprenante. L’église était équipée d’un chauffage par le sol. Très vite, tous les paroissiens s’étaient mis à s’effeuiller pour ne pas tourner de l’œil tels ces militaires impassibles exposés au soleil redoutable de certains 14 juillet. Installés au deuxième rang, tous les enfants avaient été sollicités. Un cousin déposerait, au pied de l’autel, le petit Jésus sur son lit de paille. Une cousine et leur aînée porteraient les offrandes. La cadette et le benjamin tiendraient des bougies.

Deux heures plus loin, on avait regagné les voitures. Grâce à un sms envoyé par un papa, la maman de trois savait que sa sœur et son mari étaient arrivés et que le Père Noël était passé. Avant de quitter la maison, les enfants lui avaient laissé, au pied du sapin, un set sur lequel était disposé une assiette couverte de rondelles de banane et de quartiers de clémentines et un verre d’eau. La maman retrouverait plus tard l’assiette cachée au fond du réfrigérateur.

Comme dans toutes les familles, la découverte par les enfants des paquets s’était accompagnée de cris et d’onomatopées. On avait alors commencé la distribution. Un peu inquiète, la maman guettait les réactions de sa cadette. Après avoir découvert une paire de rollers, une petite maison jumelle de celle que sa mamie lui avait offerte en Corse et que la grand-mère avait achetée ignorant son existence, une valise contenant tout le nécessaire pour coudre des animaux en feutrine, la petite fille, les yeux emplis de larmes, le menton tremblant, était venue s’asseoir à côté de sa maman pour lui dire qu’elle ne comprenait pas car le Père Noël ne lui avait absolument rien apporté de ce qu’elle avait espéré. Ce n’était pas du tout le moment de recourir à l’histoire de Michka pour ramener à la raison une petite fille déjà naturellement raisonnable. Assez vite, la petite fille avait dit : « Je comprends. Le Père Noël, il savait que mes rollers commençaient à être un peu juste. Et puis, il s’est dit que je serais heureuse d’avoir la maison que j’avais du laisser en Corse car on n’avait pas assez de place pour la rapporter. Et puis, aussi, que je serais contente d’apprendre à coudre ». La grand-mère qui était assise à côté de sa troisième petite-fille avait les larmes aux yeux. Elle était bouleversée de voir à quelle vitesse numéro deux réussissait à transformer sa déception réelle en joie raisonnée.

Le papa était venu voir sa petite fille. Il lui avait alors parlé de cette magnifique maison que la maman avait achetée et qu’il fallait construire. Il avait promis à la petite fille qu’ils iraient la chercher ensemble au fond du jardin. La petite fille s’était blottie contre son papa. Un joli sourire illuminait son visage. Le lendemain, tandis qu’on s’activait autour de la préparation du déjeuner de Noël, le papa, aidé de ses enfants, avait été exhumer du carton tous les fascicules. Ils étaient couverts de poussière. Des mulots étaient venus y nicher. Il avait fallu commencer par ouvrir la plupart des pochettes pour en nettoyer le contenu et le ranger dans des sacs de congélation. La petite fille avait déjà mis de côté certains meubles, des objets en porcelaine dont une superbe baignoire à pied, des lampes, des tapis, une brouette et tous les outils de jardinage. En attendant que la maison soit construite, la petite fille avait libéré des espaces dans sa bibliothèque et y avait installé les meubles et les accessoires. Elle était ravie ! Son petit frère l’avait aidée à retrouver la famille Lapin disséminée aux quatre coins de la chambre. A présent, en retrait, il observait sa sœur déplacer les objets, dresser le couvert sur la table de la salle à manger. Il n’avait pas le droit de toucher quoique ce soit. Quand il lui avait demandé si, plus tard, ses enfants à lui pourraient y jouer, elle avait répondu qu’elle donnerait la maison à ses enfants à elle !

A leur retour d’un séjour dans les Alpes, un papa, flanqué de son trio, avait été chercher les sacs contenant toutes les pièces détachées de la maison. Il avait étendu une large feuille de papier kraft sur un tapis persan et une vraie chasse aux trésors avait suivi. C’est ce que cela n’était pas facile de retrouver le premier fascicule puis le deuxième et le troisième. La colle fournie avec les numéros était inutilisable depuis longtemps. Heureusement, on avait ce qu’il fallait en réserve. L’humidité avait fait jouer le bois. Le papa avait renoncé à la colle et chargé sa cadette de remonter du garage la visseuse. Au bout de deux heures, quand le papa se relevait, les genoux passablement endoloris, l’édification de la maison en était encore à ses balbutiements. La petite fille était un peu déçue. Elle s’était imaginée que la maison serait achevée le jour même. La réalisation de la maison tombait à point nommé. Elle serait un moyen agréable d’occuper les enfants les dimanches après-midis d’un hiver résolument pluvieux.

Ce jour-là, dimanche de l’Epiphanie, la petite fille avait eu la fève. Elle avait ceint sa couronne dorée et choisi son petit frère pour roi. Gaspard, Melchior et Balthazar étaient arrivés à bon port. Elle ne pensait plus à sa liste au Père Noël.

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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