Samedi dernier, tandis que les enfants et Fantôme sont sur la terrasse du chalet, au soleil, que Stéphane a fini de charger la voiture et que la neige fond dénudant les flancs des montagnes, je termine le nettoyage de l’appartement. Je pense à la famille qui va prendre possession des lieux à 14h00, à son bonheur de passer une semaine de vacances dans ce coin reculé, ce Finistère des Alpes, ce berceau d’une partie de ma famille maternelle, dans l’une des quatre vallées du Queyras, celle des Aigues. Comme toujours, je vais partir à contre cœur. Je resterais bien ici encore quelques jours. Cinq jours pleins, c’était un peu court pour se ressourcer en profondeur. Je pense à cette famille alors que, lorsque nous suivions notre père dans ses valses préfectorales, je n’ai jamais songé à ceux qui nous avaient précédés et à ceux qui nous succéderaient. Question de survie, sans doute ! Nos parents et nous, les enfants, étions une bonne famille et les larmes coulaient toujours quand sonnait l’heure du départ. Nos parents nous ont fait grandir dans un profond respect de ces personnes qui assuraient au quotidien le bon fonctionnement des maisons de l’Etat, des femmes et des hommes fiers de leur travail, fiers de participer à l’expression du pouvoir central dans les départements. Nos parents étaient toujours très appréciés car ils étaient profondément humains et rétifs à tout rapport de force. Avec eux, nous avons été à bonne école ! C’est ainsi que notre mère, après un grand cocktail ou un dîner s’étant éternisé, n’allait pas se coucher avant d’avoir rangé la salle à manger, le salon et la cuisine. Quand, le matin, le personnel arrivait pour commencer sa journée de travail, ils en étaient tout surpris ! Cela s’appelle l’élégance !
Mon esprit vagabonde telle l’eau vive qui coule dans la chanson de Guy Béart. Heureusement que la philosophie et les longues années de droit ont eu raison de sa nature sauvage et bouillonnante ! Avant de partir, nous avions convenu d’un déjeuner sur le pouce avec Arlette, la propriétaire du chalet, et l’un de ses quatre fils parti le jour de notre arrivée en ski de randonnée. Les enfants et nous avons succombé à la gentillesse et à la simplicité d’Arlette, petit bout de femme sec et énergique, ayant avec son mari et ses enfants consacré plusieurs années de leurs vacances à travailler dans leur chalet sorti de la montagne au tout début des années soixante-dix. Le lendemain de notre arrivée, Arlette nous a invités à prendre un apéritif avec son plus jeune fils, sa femme, leurs deux enfants et un petit camarade de leur fils. Comme nous étions bien autour de la cheminée ! Comme nous avions plaisir à échanger autour du Queyras et du voyage ! Les enfants disparaissaient au dernier étage où un concert s’improvisait. En retournant « chez nous », Louis me disait, et c’était vraiment son cœur qui parlait « elle est trop chouette mamie Arlette ! » et c’était la pure vérité et, une nouvelle fois, je me faisais à moi –même le serment de parvenir à être ce genre de mamie vraiment nature et décontractée qui prend la vie avec sagesse et légèreté et sait accueillir les siens, qui sont souvent très nombreux, avec simplicité et, bien que veuve, n’a pas désappris à vivre avec les autres, reste heureuse d’être bousculée dans sa solitude et ne fait pas de réflexion sur l’anarchie qui règne dans sa maison.
Nous n’avons pas vu Arlette ni son fils. Alors j’ai rédigé un petit mot à l’encre verte sur une feuille arrachée à mon carnet et je l’ai déposé sur une des marches en bois du chalet retenu par une pierre grise. Une fois encore, j’ai respiré cette odeur si particulière du bois chauffé à blanc par le soleil. J’ai pris mon temps pour écrire mon petit mot et, dans la voiture, je suis certaine que Stéphane s’en amusait.
J’ai découvert Saint- Véran, plus haut village habité d’Europe quand j’étais en CM2. Avec ma classe, nous étions partis skier pendant deux semaines. Je n’aimais pas être éloignée des miens. J’avais en horreur la vie en collectivité et je dormais très mal dans un dortoir. Je pleurais tous les soirs dans mon oreiller. L’indépendance des parents créé souvent chez leurs enfants une dépendance affective. Je détestais ma maîtresse, n’avais pas de passion pour le ski. Il faisait très froid et je ne me rappelle pas que nous ayons eu un temps très clément. J’ai des souvenirs de brouillard et de chutes assez douloureuses. En revanche, j’avais adoré me promener dans les rues de Saint-Véran, sentir l’odeur du bois, caresser des Saint-Bernard hauts comme des poneys, écouter l’eau courir dans les fontaines, admirer les sculpteurs, essayer de déchiffrer les phrases latines accompagnant les cadrans solaires et découvrir comment certains de mes ancêtres avaient pu vivre dans un chalet autrefois : les bêtes en bas, les hommes en haut pour bénéficier de la chaleur animale, les instruments de cuisine suspendus à une poutre centrale.
Nous n’avons pu passer que cinq jours sur place. Le samedi, la neige nous a piégés en Bourgogne. Nous avancions au pas comme si nous étions dans un convoi funéraire. La neige blanchissait la nature. Notre étape du déjeuner dans l’Ain s’est transformée en étape pour la nuit. Mais nous étions heureux d’y retrouver la famille et, le soir, d’échanger dans la joie et la bonne humeur autour d’une sorte d’énorme apéritif improvisé sur la table basse du salon. Cela faisait très longtemps que nous n’avions pas été tous ensemble et si bien !
La maison de ma belle-mère est comme toutes les maisons de famille, elle a besoin de cette vie, de ce remue-ménage, de grandes tablées, des rires des cousins, des vêtements et des jeux qui jouent les envahisseurs, des plaids en boule sur les canapés, des chaussures et des chaussons abandonnés sous la table et des porte-manteaux qui affichent complet.
Le dimanche, nous décollons tous à 7h30. La sœur de Stéphane et les siens regagnent les Carpates via Paris. Une longue, longue journée de voyage pour retrouver leur vie à Cluj en marquant une étape dans leur pied à terre parisien ! Cinq heures de route nous attendent. Nous faisons des sauts de puce : Lyon, Grenoble, Briançon et, enfin, Molines-en Queyras. Dans la voiture, les enfants sont plutôt agréables et, à l’arrière, Fantôme est un passager exemplaire ! Le paysage se transforme. La route se met à danser dans des lacets serrés. Trois heures de grimpette pour atteindre notre destination. Heureusement, à bord, personne n’a mal au cœur ! A l’approche du col du Lautaret, le vent souffle avec violence rabattant la neige par paquet sur la route glissante. La vue sur les montagnes depuis le col est magique ! Des sportifs pratiquent le kite-ski ou ski-kite. Je n’avais encore jamais vu personne s’envoler depuis la neige avec un surf. On dirait de grands oiseaux exotiques. Quelle joie d’arriver au lieu-dit « le Coin », au-dessus de Molines, un hameau remarquablement bien exposé au soleil ! Les enfants récupèrent les luges et se précipitent dans la neige.
Nous passons un merveilleux séjour. Il fait un temps magnifique. Le ciel est toujours d’un bleu limpide. Cela me rappelle nos années gardoises et cette joie de pousser les volets sur une toile de Klein. Depuis deux ans, maintenant, c’est Stéphane qui, en bon bressan, a largement pu s’adonner à la pratique du ski, joue les moniteurs pour les enfants. Céleste est la seule, l’année dernière, qui a pu skier avec les élèves de cinquième dans le Massif Central. Elle est très à l’aise. Victoire et Louis sont un peu rouillés mais cela revient vite et ils ont une immense chance : ils ont un papa qui ne s’énerve jamais, ne les braque pas et les met en confiance. Je suis celle qui ferme la marche et, en cas de besoin, remet d’aplomb s’il y a eu chute et rassure. Stéphane et moi continuons à pratiquer le ski pour que les enfants atteignent le niveau qui leur permettra bientôt de s’amuser comme nous avons pu le faire quand nous étions plus jeunes et que nous partions skier avec des amis. Dès que cela sera possible, nous remiserons nos skis alpins et partirons à la journée en ski de randonnée. Arrive un âge où on se lasse des remonte-pentes, des surfeurs qui déboulent comme des dingues, des jeunes qui skient déguisés en animaux, écoutent plein pot de la musique et des terrasses des restaurants bondées.
Nous passons des moments merveilleux au sommet d’une piste, accrochés tels des chamois, avec le mont Viso face à nous. Louis me taquine en le confondant avec le mont Ventoux et fait sourire un grand-père skiant avec ses petits-enfants. Nous partageons les pistes avec les gens du sud. Ils sont tous agréables, respectueux et pas frileux quand il est question de bavarder le temps d’un télésiège. Je m’amuse à voir nos enfants suivre leur père comme des canetons. L’ordre dans lequel ils skient est un grand sujet de fâcherie ! Céleste prétend n’aimer skier ni au milieu ni derrière. Louis veut, à toute force, coller dans la trace paternelle. Victoire se plaint de ce que sa sœur l’empêche de skier plus vite.
Partir avec son quatrième enfant, un berger australien très physique, n’est pas gage de repos quand il ne peut pas suivre les siens sur les pistes. Nous dormons, avec Céleste, dans la pièce principale tandis que Victoire et Louis, dans une chambre, dorment dans des lits superposés. Fantôme, lui, passe la nuit dans un espace tout en bois dans lequel on peut entreposer skis et chaussures et dont la grande baie vitrée donne sur les montagnes. Dès qu’il voit que je ne dors plus (je suis pourtant encore allongée), que nos regards se croisent, Fantôme se redresse et sa queue bat le plancher avec la régularité d’un métronome. Il est sept heures. Le jour point. Je me lève tout doucement, vais enfiler les vêtements que j’ai pris soin de laisser dans la salle de bains, enfile doudoune, chaussures, bonnet à pompon, écharpe, gants et part marcher avec ma grosse boule de poils. Ce climat lui plaît. Il adore la neige. Il fait, comme toujours, la course en tête. Les rayons du soleil caressent les sommets avant de les enjamber, d’illuminer tout ce qui nous entoure et de raviver l’éclat de l’automne dans les aiguilles des mélèzes. Nous marchons une bonne heure et, pour l’aider à dépenser son énergie, nous remontons en direction du hameau droit dans la pente en nous enfonçons à chaque pas. Je m’arrête souvent. J’ai le souffle court. Nous sommes déjà haut. Quand nous rentrons, Louis a rejoint son papa dans le lit, Céleste regarde son téléphone et Victoire dort encore.
Nous ne skierons à la journée complète que deux jours pour pouvoir marcher avec Fantôme et gagner le refuge de la Blanche. Voici deux ans, j’avais regrettée que nous ne marchions pas jusqu’à ce refuge où, dans une autre vie, à la fin du printemps, nous avions fait halte auprès du lac avant d’atteindre un col au sommet duquel nous avions découvert les vallées italiennes. Le jeudi matin, nous nous garons à Saint-Véran non loin du chemin qui monte au refuge de la Blanche. Hier, Stéphane a appelé le refuge du col Agnel pour savoir s’il était possible d’aller d’un refuge à un autre. Le risque d’avalanche est très élevé. Pour entreprendre une telle sortie, il faut des raquettes, une pelle et un équipement spécial avalanche. Autant dire qu’avec ou sans enfants, ce n’est pas une aventure que nous avons envie de tenter ! Il fait un temps splendide. J’ai bon espoir que, tous ensemble, nous pourrons déjeuner au refuge. Dans le doute, nous avons emporté de quoi pique-niquer. La plupart des personnes sont en ski de fond. Très vite, Louis donne les premiers signes de lassitude. Louis n’est pas endurant. Il est fait pour l’effort intense mais rapide. La chaleur s’installe. Au bout de cinq kilomètres de montée, Louis jette définitivement l’éponge. Stéphane ne veut pas m’empêcher d’aller au bout et il s’offre de faire demi tour avec Louis. Céleste décide de repartir avec eux. Craignant de trouver des chiens au refuge, je demande à Stéphane de garder Fantôme.
Victoire veut continuer. Elle est non seulement endurante mais, déjà, à presque douze ans, elle aime le dépassement de soi tant physique qu’intellectuel. Elle me prend le bras et me souffle : « cela nous fera notre deuxième aventure du séjour toutes les deux ». En effet, lundi, j’ai fait vivre à Victoire une expérience que presqu’aucun adulte n’aurait acceptée de traverser. Premier jour de ski. Au moment du déjeuner, Victoire avait eu une sorte de malaise. Elle était fatiguée. Je lui offrais que nous cessions de skier et laissions nos skis et nos chaussures à la boutique de location avant de remonter au hameau en navette. A la boutique, on refusait de nous garder les skis, les bâtons et les chaussures et, la navette ne passerait pas avant 16h20. Il était 13h50. Stéphane n’avait pas son portable. Je n’avais pas les clés de la voiture et je ne nous voyais pas poireauter jusqu’à l’arrivée de la navette. Alors, j’ai proposé à Victoire que nous remontions à pied jusqu’au « Coin ». Nous avions récupéré nos chaussures. Victoire portait nos deux paires de chaussures de ski tandis que je portais nos skis et nos bâtons. Plutôt que de suivre la route sur plusieurs kilomètres, je proposais à Victoire que nous coupions en grimpions dans la montagne. Cela montait raide. De gros nuages porteurs de neige s’amoncelaient dans le ciel. Nous manquions d’eau. Victoire s’arrêtait de plus en plus souvent. Je l’exhortais à continuer. Quand elle a été trop fatiguée, je lui ai proposé de continuer seule. Je reviendrai sur mes pas pour aller chercher les chaussures. Elle a refusé catégoriquement. Au bout d’une bonne heure, nous avions retrouvé la route. L’une et l’autre étions épuisées. Victoire avait mal dans les poignets et les épaules. Je ne sentais plus les miennes. La douleur du poids des skis les avait anesthésiées. Victoire menaçait de tout abandonner. Elle était en colère. S’asseyait sur le bord de la route en jetant les paires de chaussures! Puis, elle se ressaisissait et me disait « avance, maman! Ne t’arrête pas! Ne t’occupe pas de moi! Je vais y arriver! ». Nous allions atteindre « Pierre Grosse » dernier hameau avant « le Coin ». Je savais que s’y trouvait un restaurant faisant également office d’auberge. Nous pourrions nous y arrêter et je demanderai à laisser les skis, les bâtons et les chaussures. Le dernier kilomètre a été particulièrement éprouvant et nous avancions au mental l’une derrière l’autre sans nous parler.
Quand nous avons franchi le seuil du relais de Château Clément, nous étions rouges, transpirantes et vidées. Victoire n’avait même plus la force d’esquisser un sourire à l’attention de Gersende, la jeune trentenaire charmante et malouine tenant l’établissement avec son mari originaire de Dinard. Victoire a bu un jus de fruit et j’ai demandé un thé noir avec une crêpe chocolat/chantilly. Quand j’ai raconté à Gersende notre expédition, elle n’en revenait pas ! Nous avons commencé à parler de voyage en général et de la Nouvelle-Zélande en particulier. Gersende et son compagnon avaient passé deux mois à Wanaka, sur l’île du Sud, mecque de l’alpinisme. Pour leur prochain voyage, ils songeaient à la Patagonie que Stéphane et moi avions tant aimé pour ses parcs nationaux, la pureté de ses ciels et son parfum unique de bout du monde. J’observais que les plaques immatriculées dans le Finistère étaient nombreuses dans le Queyras. Quand nous avons quitté Gersende, nous avons croisé Stéphane en voiture qui commençait à être vraiment très inquiet. Victoire a tenu à parcourir à pied le dernier kilomètre et Stéphane est allé chercher notre matériel chez Gersende.
Retour à la marche en direction du refuge de la Blanche. Le refuge n’est toujours pas en vue mais nous avançons d’un bon pas nous arrêtant parfois pour boire ou contempler les montagnes. Nous dépassons l’ancienne mine de cuivre et atteignons la chapelle de Clausis. Enfin, le refuge est en vue. Il est encore loin. Louis n’aurait jamais réussi à parcourir une telle distance. Enfin, nous y sommes et un jeune berger australien vient à notre rencontre. Nous nous installons à la terrasse face au Rocca Bianca et à la Tête des Toillies qui délimitent la frontière avec l’Italie, aux cols autrefois empruntés par les contrebandiers. Victoire et moi nous régalons devant une énorme assiette de pâtes à la tomate et aux poivrons. Dans le refuge, il règne une ambiance feutrée. Des chaussettes sèchent sur un fil tendu non loin du poêle, un poêle comme il y en avait en Patagonie, dans toutes les cuisines, et sur lequel une bouilloire chantait une histoire vaporeuse du matin jusqu’au soir. Tout de suite, je reconnais le patron à sa silhouette décharnée et à son humeur « mer d’Iroise ». Voici seize ans, déjà, il pestait contre cette directive européenne qui le contraignait à installer des toilettes pour les handicapés. Il est ostensiblement désagréable. Je sais très exactement comment je pourrais l’amadouer et me faire offrir un verre de génépi mais je n’ai pas envie de me donner du mal avec ce gardien grincheux qui va bientôt céder sa place et je n’aime pas le génépi !
Il commence à faire froid et nos muscles se raidissent. Il est temps de repartir. Victoire fera presque les neuf kilomètres de descente sur une luge et je la suivrai en courant. Je l’entends rire aux éclats. Nous sommes heureuses et galvanisées par l’effort. Stéphane a eu le temps de déposer Céleste, Louis et Fantôme à la maison et il marche au-devant de nous. Avant de rentrer, nous allons flâner dans les rues de Saint-Véran. J’achète des cœurs pour les filles à accrocher à la porte de leur chambre et, chez le dernier artisan coutelier et forgeron des Alpes, Sylvain Brunet, j’offre à Stéphane un couteau au manche travaillé dans du bois de noyer et sur la lame duquel est gravé un cadran solaire qui indique l’heure si on glisse dans un petit trou une brindille ou une aiguille. Quant à Louis, c’est encore et toujours un playmobil qui fera son bonheur !
Presque tous les soirs, j’accompagne, avec Fantôme, les enfants faire de la luge sur une piste de ski de fond. Nous nous en donnons à cœur joie ! Quand ils sont fatigués de la luge, ils courent et se laissent tomber dans la neige épaisse. Un soir, tandis que la nuit avait enveloppé les montagnes et la forêt, que les lumières s’éclairaient dans les chalets, je n’arrivais pas à arracher les enfants à leurs jeux. Puis, j’eus une idée. Je leur racontais que les loups étaient revenus dans le Queyras et qu’aux beaux jours, quand les troupeaux ont rejoint les estives, les patous en assurent la protection. A ces mots, je vois ma Céleste qui se redresse, secoue toute la neige qui la recouvre, tire vigoureusement la luge et appelle Victoire et Louis. En un temps record, elle est déjà sur la route ! Il en va du loup comme du requin, sa peur est viscérale et, chez les enfants, elle est largement entretenue par les contes. Le loup est en réalité l’homme qui peut s’en prendre aux enfants et les faire disparaître à jamais dans la forêt profonde. Dans le Finistère de mon grand-père, il n’y avait pas de loup mais il y avait l’Ancou, serviteur de la mort !
La veille de notre départ, les enfants tiennent à faire un cadeau à mamie Arlette. Ce sera un cœur en bois à accrocher sur les clés d’un chalet dont elle ne ferme jamais la porte ! Nous terminons notre séjour par un dîner chez Gersende et si les enfants se régalent d’un filet mignon servi avec des frites maison longues comme des doigts de géant, Stéphane et moi partageons une fondue. Sur le chemin du retour, accrochés les uns aux autres, nous contemplons les étoiles et écoutons l’eau qui s’écoule dans les fontaines.
Dans la voiture qui les ramène à la maison, les enfants parlent déjà de revenir ! Le Queyras, c’est comme le Finistère, quand on a goûté à ce bout du monde, on est envoutés !
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
PS: tandis que je mets un point final à ma chronique, les bourrasques de vent violent font craquer la maison. Les enfants dorment profondément et, en Sibérie, Stéphane et tous les membres du défi Baïkal, vont bientôt se lever pour une nouvelle journée de ski de rando. Les décalages horaires me fascinent pour ces vies parallèles auxquelles ils donnent vie. Dans la nuit, Elodie Arrault qui, avec son compganon, Dominique Bleichner, va s’élancer en char à voile sur le Baïkal, m’écrit que l’équipe du Défi Baïkal a eu droit aux honneurs de la télévision russe. Comme elle et son amie Corinne Sabatier quand toutes deux traversaient la Russie avec un vieux combi chargé jusqu’à la gueule pour rejoindre Irkoutsk. Je lui réponds qu’ils finiront par être tous reçus en grande pompe au Kremlin et que cet engouement grandissant pour cette région du monde si préservée et si longtemps associée aux goulags m’inquiète un peu…A quand un grand centre luxueux d’amaigrissement sur les rives du lac avec immersion dans les eaux gelées? Ibrahim Maalouf est en compétition pour le césar de la meilleure musique. J’espère qu’il va l’emporter!