chronique familiale automnale

En Bretagne Sud, à la
Toussaint, la chaleur ambiante faisait gonfler les mollets dans les bottes en
caoutchouc. Dans le Loiret, aux premiers jours de novembre, la fraîcheur de
l’air les rétractait. Samedi, nous nous offrions une de ces traditionnelles
sorties familiales dans la forêt automnale et domaniale de Montargis. L’heure
du goûter approchait et nous n’étions pas arrivés à bon port que les enfants se
plaignaient déjà d’avoir faim. La lumière était douce et dorée. Les arbres
n’étaient pas encore complètement déplumés. Nous avions quitté un chemin bien
tracé et dessinions des circonvolutions dans les sous-bois. Notre fille aînée
se relevait à peine d’un gros rhume qui la faisait tousser rauque et gras. Elle
serrait fort sa main dans la mienne car, dans le lointain, résonnaient les
aboiements d’une meute de chiens de chasse qu’elle  croyait lancés à la
poursuite d’un loup.

 

La veille, bien au chaud
sur le canapé, devant la cheminée crépitante, nous avions raconté deux
histoires : celle de « Marlaguette » et celle du « loup si gentil ».
Dans un cas, le loup, par amitié pour une petite fille qui l’avait soigné après
qu’il ait cherché à la croquer toute crûe, se résignait à devenir végétarien et
dans l’autre, le loup, précédé par la sinistre réputation de ceux de son espèce,
souffrait de ne pas se faire d’amis. Marlaguette finissait par délier son ami
le loup de sa promesse et, en échange, ce dernier ne tuait plus que quand il
avait vraiment fin. Dans la seconde histoire, le loup gentil devenait un
chien-loup et nouait de nombreuses amitiés avec les animaux d’une ferme
montagnarde.

 

Céleste finissait par
oublier la présence tout à fait improbable du loup sous les cieux du Gâtinais
et se mettait, elle aussi, à chercher des champignons. L’alchimie soleil/pluie
n’avait pas du opérer car nous n’en trouvions presque aucuns. Les seuls que
nous isolions étaient tout ratatinés et en partie dévorés. En revanche, les
scarabées à la carapace bleu nuit et les énormes limaces orange et baveuses étaient
de sortie. Ils arrivaient à faire oublier aux enfants l’heure du goûter.

 

Profitant d’une halte pour remonter les bas de
pantalons déjà bien détrempés, les filles s’étaient mises à faire pleuvoir des
ribambelles de feuilles mortes sur la tête de leur petit frère qui riait comme
un perdu. On aurait dit trois petits êtres sortis d’une légende nordique. Je
m’attendais à ce qu’ils nous jettent un sort et nous transforment, selon
l’humeur, en un couple d’amanites tue-mouche ou en deux grandes tartines
débordantes de beurre et de confiture de fruits rouges, sur lesquelles ils se
seraient jetés toutes dents dehors. Louis, lassé de sa tenue camouflage, avait
mis un terme au jeu de ses deux sœurs. Nous nous étions remis en route.

 

Régulièrement, Louis
tendait ses bras vers moi en me disant : « maman, tu potes ? ».
Comme aux « tu potes » répétés depuis six ans par trois petits
monstres, ont répondu des kystes synoviaux aux poignets, je lançais un « non »
que je voulais le plus ferme possible. Louis commençait, alors, par mettre sa
bouche en chapeau de gendarme, avant de me tourner le dos tandis que je faisais
mine de le laisser là. Au bout de trente secondes, une petite voix m’appelait
et deux jambes s’élançaient dans ma direction. Elles m’atteignaient et une
petite voix faussement brisée me redemandait : « maman, tu
potes ? ». Refroidie jusqu’à la moelle à force d’attendre, je
finissais par céder et emportais Louis dans les airs. Désormais installé à la
place qu’il convoitait depuis le début, Louis m’adressait son sourire le plus
désarmant en me disant « est lourd !! ». Au moins, je me
réchauffais et rejoignais à pas vifs le reste de la troupe à côté de notre
citrouille suédoise. Les nez étaient froids, les joues rosies par le vent frais
et les pieds, à l’intérieur des bottes, gagnés par une humidité qui se
dissiperait devant un bon feu de cheminée.

 

Avant de laisser Victoire
monter à bord, je m’étais assurée que l’entomologiste de la famille, la petite
fille ayant transformé en herbier, mon Petit Larousse édition 1999, n’avait pas
glissé au fond des poches de son duffle-coat rose une famille de scarabées et
un couple de limaces. Pas d’insectes mais des dizaines de feuilles mortes réduites
en mille miettes brunes.

 

Dimanche soir, nous
comptions une aînée en bonne voix de guérison, une deuxième aux yeux larmoyants
et un petit dernier à la voix enrouée et au nez dégoulinant.

 

Ce matin, Céleste était
la seule à prendre le chemin de l’école et à y croiser, peut-être, un couple
d’escargots se rendant à l’enterrement d’une feuille morte. Notre médecin
devait diagnostiquer une angine chez Louis et une belle otite chez Victoire. Je
tairai l’attente d’une heure dans son cabinet où je mettais tout en œuvre pour
tenir mes troupes et les empêcher de gêner une armada de patients mal foutus.
Je passerai aussi, sous silence, la journée occupée à canaliser les enfants
tandis que leur père travaille à son bureau ouvert, passe mille et un coups de
téléphone, l’espoir placé dans les siestes qui ne devaient pas durer plus d’une
petite heure et ma peine à rédiger mon billet tandis que Louis sautait à qui
mieux mieux sur sa sœur ou qu’il venait vers moi avec des ciseaux à bouts ronds
en me répétant à l’envi : « C’est quoi ? Des
ciseaux ? », « C’est quoi ? Des ciseaux ? », « C’est
quoi ? Des ciseaux ? ». « Oui, Louis, ce sont des
CISEAUX ! ». Mon petit garçon de me regarder avec un air entendu et
de reprendre sa litanie : « C’est quoi ? Des ciseaux ? ».
Quand on a enseigné, on sait la vertu pédagogique de la répétition mais,
parfois, on ne peut pas s’empêcher de trouver cela éprouvant pour les
nerfs !

 

Allez, demain, Victoire
et Céleste seront à l’école, Louis à la crèche, leur père à Paris et je sais,
déjà, que la maison me semblera étonnamment silencieuse…

 

Anne-Lorraine
Guillou-Brunner

 


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