La chaleur monte inexorablement au-dessus du plateau mais cette impression de grandes vacances que nous avons éprouvée avec ma soeur et ses enfants ces derniers jours s’est dissipée. Le vent tombé, le soleil revenu, nous avons vécu dans le jardin en maillot de bain. Les enfants ont amplement profité de la piscine dont la température de l’eau atteignait les 21 degrés. Nous ne nous étions pas vus depuis le mois de décembre. Cela m’avait rappelée les années américaines, celles que ma soeur et les siens avaient vécu entre Los Angeles et Miami. Nous étions parties nous promener en vélo quand ma soeur m’avait annoncé leur départ pour la Californie. Mon coeur s’était arrêté. Je les savais s’envoler pour ne plus revenir. Si le rêve américain s’était concrétisé, en effet, ils auraient poursuivi leur vie de l’autre côté de l’Atlantique. Margot et Valentin auraient fait leurs études dans des universités américaines. Leurs cousins auraient pu aller les voir pour améliorer leur anglais.
Comme je le fais désormais tous les matins depuis le début du confinement, j’ai posté sur Instagram une photo avec un texte racontant des petits bouts de vie, des instants de grand bonheur, un bonheur simple au plus près d’une nature sans artifice. Les voici compilés en commençant par le post de mardi dernier. Cinq mois sans se voir, c’est long, tellement long! Fantôme a entendu la voiture et compris que c’était eux. Je dois contenir ses ardeurs tant il est heureux! Nos yeux brillent de joie. Parce qu’elle est proche de Paris, cette maison joue depuis de longues années son rôle de grande rassembleuse. Ma soeur et ses enfants sont ici chez eux. Margot, Céleste, Victoire et Valentin se lancent dans une partie de Uno avant de partir faire du vélo avec Louis. Des papiers de bonbons décorent la table de couvent. Le soleil est revenu. Charlotte essaie les déguisements que j’ai sortis de la malle en osier à son attention. Elle souhaite faire l’inventaire de ma boite à bijoux. Les filles se relaient auprès de leur petite cousine. Charlotte saute dans le trampoline avec une robe de princesse. Belle tablée de neuf. Fous rires garantis. Charlotte est fière d’enrouler ses fettuccine autour de sa fourchette comme les grands. A partir de demain, ce sera une grande école à la maison! Une personne manque: notre maman. Nous l’appellerons souvent. Comme nous sommes heureux de nous retrouver!Fantôme, étendu sous la table ombragée de la terrasse, devra attendre pour se promener une seconde fois.
Mercredi: Toute la maison sommeille. Un vent frais fait encore frissonner le plateau. Dernier jour des saints de glace. Depuis lundi soir, la maison retentit des rires et des chants des six enfants. Les tablées sont joyeuses. Les objets se répandent aux quatre points cardinaux venant agacer mon besoin d’ordre. Cela fait des années que je cherche à soigner une maniaquerie congénitale accentuée par le fait que mon lieu de vie est aussi l’endroit où je travaille et dont je ne sors presque pas. L’école à la maison n’est pas oubliée pour autant. Margot travaille sur le petit bureau de Céleste. Valentin, lui, depuis la grande table dans la chambre de Louis. Céleste et Victoire, elles, passent beaucoup de temps à s’amuser avec Charlotte et à prendre soin de Suzanne, la jeune tourterelle que nous avons recueillie. Ma soeur et moi pouvons vraiment profiter l’une de l’autre depuis le canapé rouge du salon parfumé par Fantôme! Valentin interprète, au piano, « Le clair de lune » de Debussy. Tranches de vie!
jeudi: Hier, le vent d’est perd un peu de sa force. La chaleur revient. En fin de journée, la brochette des six cousins s’installe dans le jardin. Chacun étend une serviette sur l’herbe récemment tondue. Margot a choisi le programme. La musique résonne. Tous les voisins doivent en profiter. Fantôme monte la garde! Des sessions d’abdos, de fessiers, de gainage des dorsaux et des muscles des bras s’enchaînent, heureusement entrecoupées par des temps de récupération employés par Charlotte pour aller chercher sur la table de la terrasse une tranche de saucisson ou une tartine de rillettes de thon. Parce que nous, les « vieux parents » buvons un verre de Chardonnay en contemplant ce spectacle à la fois tonique, musical et drôle! Stéphane se rappelle avec nostalgie le temps béni où il pratiquait le tennis six heures par jour, sautait dans les vagues de l’Almanarre avec sa planche à voile ou laissait dans la neige fraîche les traces de ses skis.
Dimanche matin: Hier, les enfants décident de camper. Très vite, deux tentes sont montées au fond du jardin. La jaune est une tente spéciale expéditions en montagne. Elle nous a abrités lors des treks au Népal et dans le Nord de l’Inde, au Ladakh. La seconde a été achetée avant notre marche dans les Cévennes sur le chemin de Stevenson. Tandis que Stéphane essaie de percer le mystère de la disparition d’un sac de couchage et que nous vidons entièrement le bas d’un placard, j’exhume la petite maison dans laquelle ont joué les enfants. Elle ne passionne pas Charlotte. Ce n’est pas une vraie tente. Les garçons ont aménagé la leur avec un tel sens du détail qu’on se croirait propulsé dans un safari mais pas n’importe lequel, un safari dans l’esprit de ceux d’Out of Africa! Les deux tentes sont équipées en électricité par une rallonge branchée dans le garage du fond. Ce matin, le soleil monte vite au-dessus du plateau. Tous les campeurs le savent: soleil=chaleur et la conjonction des deux aboutit à un réveil fatal. Bon dimanche!
Lundi: Installer une table au soleil, se régaler autour du délicieux couscous préparé par Virginie, voir Céleste transformer la terrasse en salon de coiffure et de beauté pour y couper les cheveux de Margot, les boucler, lui mettre du vernis et la maquiller, entendre Valentin et Louis se raconter leurs secrets depuis la tente, s’amuser devant Charlotte plongeant ses doigts dans un pot d’huile de coco pour en enduire les cheveux de Victoire, chercher Stéphane qui doit méditer depuis un hamac, assoir Charlotte à l’arrière de mon vélo avec sa maman qui la sécurise et pédaler jusqu’à la mare, regarder les nénuphars et les iris sauvages, essayer de faire sauter de la large feuille qui lui sert de lit une petite reinette se prélassant au soleil, caresser l’âne Gudule, donner du pain sec à Rosalie, la truie aux longs cils, compter les moutons, le soir, enfin, tandis que les ombres se sont fondues dans le couchant faire le tour du plateau avec Victoire, Valentin, Louis et Fantôme. Un beau dimanche à la campagne.
Mardi:
Cela nous arrive à tous, parfois, de vivre un moment et, pendant que nous sommes entrain de le vivre, d’avoir une conscience aigüe de ce qu’il est merveilleux. Hier, c’est ce que nous avons tous ressenti alors que Pauline, l’une de mes filleules, nous avait rejoints. Pour nos enfants, elle est comme une soeur. Pour nos neveux, comme une cousine. Pour notre maman, comme une petite-fille. Un temps encore radieux. Un ciel d’un bleu intense. Une ambiance de vacances dans un jardin transformé en piscine municipale ou piscine de camping. Dans l’eau, Charlotte passait de bras en bras, était poussée sur le matelas-bateau et s’amusait à éclabousser sa soeur et ses cousines. Pauline maquillait Charlotte toujours habillée en Reine des neiges et, ensuite, Charlotte en faisait autant pour Pauline et Victoire. Valentin et Louis attendaient que la piscine soit libre pour s’y jeter et organiser des joutes avec les matelas. Fantôme ne perdait rien de tout ce spectacle vivant. Dans dix minutes, je vais sortir Louis de son sommeil. Il retrouve le collège. Il est ravi. Espérons qu’il ne sera pas déçu!
Mardi, toujours le matin: L
ouis est stressé comme pour une rentrée des classes. Il a froid: manque de sommeil. Pas simple de se recaler! Tous les enfants dorment. Je prépare son pique-nique, lui explique où j’ai rangé le second masque à utiliser après le déjeuner et lui redonne les consignes pour le car. Les élèves seront dix dans sa classe. Le pique-nique sera pris dehors car il fait beau. Il reprendra le car vers 17h00. Les professeurs d’EPS encadreront les temps non travaillés. Pour détendre Louis, Stéphane joue avec lui dans le trampoline et lui fait admirer sa rangée de radis dont il est très fier. Louis enfile le masque. Très vite de la buée se forme sur ses lunettes. Ses yeux sont rougis par le manque de sommeil. Prendre ses marques. Respirer doucement. Maintenant, Céleste et Margot sont débout. Le car de Louis est passé sous la fenêtre de la maison. Bonne journée à toutes et tous!
Mercredi:
Plus de rainette rêveuse sur la feuille de nénuphar, plus de petite fille avec chapeau de paille, robe martiniquaise et sandales argentées pour observer les têtards, plus de cousins étendus sous une tente ou jouant dans la piscine, plus d’atelier coiffure, maquillage ou vernis, plus de parties endiablées de Uno, plus de cours de gym dans le jardin, plus de grandes tablées sous le magnolia, plus de soeur avec laquelle se remémorer des souvenirs de nos si nombreux déménagements. Ma soeur et ses enfants sont repartis hier dans l’après-midi. Nous avons tous eu le sentiment d’avoir vécu une tranche de grandes vacances avant l’heure et, d’ailleurs, le retour de Louis au collège a été vécu comme une rentrée de septembre. Les visages sont hâlés. Le soleil a jeté des feux dorés dans les cheveux. Les déguisements sont rangés dans la malle en osier. La poussette et le poupon ont regagné Paris. Les draps et les serviettes sont rangés. Rendez-vous est pris (peut-être) pour la Pentecôte. Une belle journée à vous toutes et tous!
Dans mes posts de la semaine passée, je n’ai pas tout raconté. La petite tourterelle que nous avions trouvée dans l’herbe et que les enfants avaient baptisée Suzanne est morte jeudi soir. Céleste l’a gardé entre ses mains jusqu’à ce qu’elle rende son dernier souffle. Naïvement, nous avions pensé la guérir. Elle avait été attaquée par un oiseau. Elle portait sur le dessus de la tête et au bord de l’oeil des traces de bec. Elle volait parfaitement. Elle se portait bien. Céleste la nourrissait plusieurs fois par jour au biberon. Ce n’est pas notre premier sauvetage et c’est toujours Céleste qui a le plus investi les tourterelles blessées. Jeudi, Suzanne réagit moins. Elle refuse de manger. Le soir, Céleste me dit que la tourterelle va mourir. Tous les enfants viennent lui dire au revoir. Charlotte caresse son plumage tout doux. Louis fond en larmes en me reprochant de ne pas laisser faire la nature et disparaît sur son vélo alors que la nuit tombe. Quand je me réveille, je découvre un très gentil sms de Céleste m’avertissant que la tourterelle est morte et que pour que je ne la trouve pas, elle a été la déposer au fond du jardin. Quand elle se lève, Charlotte demande à voir Suzanne. C’est souvent avec les bêtes que les enfants sont confrontés pour la première fois à la mort.
Je n’ai pas davantage raconté que samedi matin avec ma soeur et Charlotte nous sommes allées au marché. Je n’étais pas retournée dans la ville la plus proche de la maison depuis le 14 mars. Ce matin-là, avec les filles, comme tous les samedis, nos chemins s’étaient séparés. Elles avaient été flâner dans les boutiques tandis que j’achetais poisson, fruits et légumes, fromages et tapenade. Ensuite, nous avions été nous installer sur les banquettes tendues de velours rouge d’une brasserie que j’aime particulièrement. Enfin, nous avions été à la médiathèque où j’avais emprunté le DVD du film russe LETO et le dernier roman de Daniel Pennac. Je les ai encore. La médiathèque n’a toujours pas pu rouvrir au public. le moment venu, comme je serai heureuse de retrouver les visages sympathiques de dames avec lesquelles j’ai tissé de vrais liens et ai plaisir à échanger autour d’une lecture ou d’un spectacle.
Il y avait foule sur le marché et presque tout le monde portait un masque. C’était assez triste de voir tous ces visages dissimulés sous des masques grand public, en tissu fait main, de chantier ou de bloc opératoire. Je me demande ce que ressentent les jeunes enfants à la vue de tous ces visages sur lesquels il n’est plus possible de lire les émotions. Malgré tout, c’était un moment agréable. Il faisait beau, les gens étaient détendus. Charlotte promenait son bébé dans une poussette. Près du lac, elle regardait un petit garçon et sa maman jetant du pain dur aux canards et aux bernaches.
Hier, après le départ de ma soeur et de ses enfants, je ressens un grand vide. Je suis triste. Quand deux soeurs sont complices, elles sont bien dans la parole comme dans le silence. Elles s’aident mutuellement sans avoir besoin de communiquer. Deux soeurs ou deux amies très proches ne ressentent jamais ce sentiment douloureux, celui de la solitude à deux. Demain, c’est l’Ascension qui marque pour les disciples de Jésus le début de l’apprentissage de la présence-absence. Habituellement, nous mettons à profit ces quatre jours pour quitter le plateau. L’an dernier, nous étions dans un camping près de Chambord avec des amis et leurs enfants. Cette année, ce pont, pour moi, n’a aucun sens. On est heureux de s’évader quand on a beaucoup travaillé et qu’on se dit qu’on a le droit de s’octroyer cette coupure. Vendredi matin, je recevrai un patient éprouvé par le confinement avec télétravail et deux enfants jeunes. Quel bonheur de recommencer à accueillir des patientes et des patients dans mon cabinet, mon refuge, mon Ar Men !
Une belle Ascension à vous toutes et tous !
Anne-Lorraine Guillou-Brunner