Chronique de deux soeurs et de six cousins réunis

Quand nous nous sommes réunis ici en décembre pour un petit Noël anticipé, comment aurions-nous pu imaginer que le monde dans lequel nous vivions serait mis à genoux par un virus passé de la bête sauvage (chauve-souris ou pangolin, rien n’est encore certain) à l’homme moderne via (peut-être) une erreur de manipulation commise dans un laboratoire de Wuhan menant des recherches sur le SARS? La Chine n’avait pas encore donné l’alerte. Elle gardait secrètement la vérité sur le virus et, sans doute, n’aurait-elle peut-être rien dit si des médecins courageux n’avaient pas pris le risque de le porter à la connaissance du monde! Comment aurions-nous pu imaginer que nous ne nous verrions pas pendant de longs mois, que des milliards d’individus allaient être condamnés à se confiner chez eux, que tant de personnes allaient mourir loin des leurs, parfois à des centaines de kilomètres de leur maison après avoir été transférées en TGV ou en avion dans un autre service de réanimation que, dans les maisons de retraite, les résidents seraient privés de la visite de leur famille et que nos hôpitaux au bord de l’explosion parviendraient à tenir bon? Cette crise sans précédent pour les gens de ma génération a mis en lumière les inégalités sociales, salariales et scolaires. Une poignée de privilégiés a vécu ce temps rétracté dans un tel confort de vie qu’elle aimerait qu’il dure encore longtemps comme l’été dans la chanson de Nino Ferrer.

Quelle joie de nous retrouver après ces longues semaines! Cette maison parce qu’elle est grande, parce qu’elle n’est pas trop loin de Paris et parce qu’en moi sommeille une authentique maman italienne ou juive ou, mieux encore, italienne et juive permet des réunions de famille ou d’amis régulières. Les enfants de ma soeur sont ici chez eux. Chacun retrouve ses marques. Valentin partage la chambre de Louis. Deux noctambules, Margot et Victoire, dorment dans le même grand lit. Charlotte, elle, partage celui de sa maman. Céleste et Fantôme dorment seuls!

J’étais désolée que les fameux saints de glace, hantise des jardiniers, viennent faire chuter brutalement les températures et frissonner le plateau. Ce matin encore le vent est froid mais le ciel est clair. J’espère que ma soeur et ses enfants pourront profiter du soleil et de la piscine. Les jardins n’auront jamais été aussi jolis qu’en ce printemps estival.

Depuis que les enfants sont réunis, la maison est rire, espièglerie, chanson, danse mais aussi travail. Ayant hérité de notre mère un esprit conservateur, j’avais ressorti de la malle en osier pour Charlotte les nombreux déguisements des enfants. La plupart ont appartenu à Margot avant que ma soeur ne les donne à Céleste et que Victoire les porte également. Charlotte passe du déguisement de la Reine des neiges dont elle nous interprète la chanson à celui de la Belle au bois dormant avec laquelle elle partage la même chevelure blonde. Les robes sont encore un peu longues et les chutes fatales si Boucle d’or oublie d’en relever le bas. Charlotte explore la maison dans ses moindres recoins comme elle le fera cet été (si nous sommes autorisés à partir en vacances) dans la bonne et vieille maison de Pont, dans le Gard rhodanien.

Si, d’aventure, on lui interdit l’accès à un objet en particulier comme la fameuse maison de poupée montée entièrement par Stéphane pour Victoire, elle ne se décourage pas et s’organise pour parvenir à ses fins couverte par Victoire quand cette dernière découvre sa petite cousine installée à deux mètres du sol. Louis qui s’est vu, jeune, retirer la dite maison parce qu’il y avait commis des dégâts irréparables en fracassant ses valeureux playmobils contre un mobilier fragile, s’inquiète que Charlotte en fasse autant. Je comprends parfaitement la frustration ressentie par une petite fille de bientôt trois ans de se voir interdire une maison qui fait vraiment rêver et dont j’ai conté l’histoire dans une chronique aigre-douce.

Tandis qu’un mari, papa, oncle et beau-frère travaille beaucoup depuis son bureau au fond du jardin, m’envoie des sms parce qu’il est en visio et que la communication est mauvaise pour que je m’assure que Louis ne joue pas à Fortnite ou qu’une fille ne regarde pas une série sur Netflix, chaque jeune a trouvé un lieu pour suivre ses cours, quand il a la chance d’en avoir! Cette école à la maison a mis en lumière encore un peu plus des différences notables d’investissement chez les professeurs, cette différence étant souvent accentuée par le fait qu’ils exercent dans le public ou le privé. Certains professeurs, comme le professeur de français et d’humanité, littérature et philosophie, abattent un travail absolument colossal pour faire de vrais cours chaque semaine à leurs élèves. D’autres se bornent à envoyer des cours et des exercices. Certains, à l’entrée du confinement, ont expliqué vouloir exclusivement se consacrer à leurs élèves de terminale. Certains professeurs n’hésitent pas à appeler les élèves décrocheurs ou à remonter le moral à ceux qui perdent pied. Dans le privé, parce que les parents financent la scolarité de leurs enfants, ils attendent du contenu. Les directeurs ont mis les professeurs sous pression pour que le confinement ne change rien à des semaines de cours ordinaires. Les directeurs savent que si les parents sont déçus, ils iront scolariser leurs enfants dans un autre établissement pour septembre. Ces rapports de force, assez malsains, n’existent pas dans le public et les proviseurs et principaux n’ont pas autorité sur les professeurs.

Valentin travaille depuis le grand bureau de la chambre de Louis. Margot s’installe à la table dans la chambre de Céleste ou dans mon bureau quand ses cours sont en visio et qu’elle doit échanger avec ses professeurs. Céleste et Victoire travaillent sur leur lit ou la table de couvent de la cuisine. Quant à Louis, il s’installe le plus souvent avec son papa ou moi dans mon bureau ou dans sa chambre.

Ma soeur et moi sommes heureuses de nous retrouver. Cette période sans se voir m’a rappelé ce que nous vivions quand elle était aux Etats-Unis avec sa famille, deux années à Los Angeles et une année à Miami. Nous sommes au nombre des personnes qui n’ont pas bien vécu le confinement. Tous les projets professionnels de ma soeur sont tombés à l’eau et elle ne sait pas quand elle va pouvoir recommencer à travailler. De mon côté, la remise en route du cabinet après deux mois d’interruption et même si j’ai pris régulièrement des nouvelles de mes patients ne s’avère pas évidente. Tandis que Stéphane travaille encore et que les cousins disputent des parties de bac, nous partageons nos ressentis depuis le canapé rouge sur lequel, l’hiver, Fantôme s’installe pour la nuit. Le canapé est vieux, passablement décoloré et maculé de taches diverses que je dissimule sous des plaids. Il faudrait le changer mais alors il faudrait que Fantôme renonce au confort de ses nuits d’hiver et même de ses après-midis quand un bon feu crépite dans la cheminée et qu’on l’entend rêver.

Le soir, après le dîner, les enfants partent faire du vélo sur les petites routes. Quand ils rentrent la nuit est tombée. Leurs joues sont bien roses. Nous piquons du nez. Ils sont encore plein d’énergie. La cohabitation entre les parents et les adolescents n’est pas toujours aisée. Il semblerait que nous ne vivions plus sur le même fuseau horaire. Dans la classe de Céleste, élève de première, les jeunes s’endorment en moyenne à cinq heures du matin. Les élèves écoutent les cours du matin du fond de leur lit. Certains se rendorment…

Tandis que je finis ma chronique, Margot est en visio dans mon bureau. Valentin écoute son cours d’économie sur le canapé de la mezzanine tandis que Louis dort encore. Stéph travaille au fond du jardin, Fantôme est sous la table et ma soeur et moi nous faisons face avec nos deux pommes. Tout autour de nous, du miel, du beurre, un reste de gâteau aux myrtilles, des céréales, du pain rassis, des muffins, une paire de chaussettes et une Barbie miniature. Les restes du petit déjeuner effacés, il faudra se soucier du déjeuner.

Charlotte vient de toquer à la baie vitrée. Elle a la patte de son doudou dans la bouche, les cheveux en bataille. Sa maman lui prépare son biberon qu’elle va boire installée dans la canapé rouge. Dans le garage, la jeune tourterelle attend le réveil de Céleste pour avoir, elle aussi, son biberon que je ne sais pas lui donner. Le fils d’une amie a apporté hier un tricycle pour Charlotte. Nous irons voir Muguette cette après-midi. Ce matin, une voisine venait la chercher pour 9h00 et la conduisait chez elle où, Magalie, leur coiffeuse, allait leur couper les cheveux. Les salons de coiffure sont en pleine ébullition. J’imagine de la buée sur les vitres, des odeurs de shampoing et de colorant, des cheveux coupés jonchant le sol et des échanges ouatés. La relation qu’une femme entretient avec le coiffeur qui a compris vraiment qui elle est peut être vraiment unique. Mon coiffeur, c’est Céleste et elle sait qui je suis!

Restez prudents. C’est la seule manière pour que nous ne soyons pas tous reconfinés dans les semaines à venir, que notre économie reparte, que puissions envisager de partir cet été et que nos enfants fassent leur rentrée en septembre.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

PS: j’ai choisi cette pivoine car c’est une fleur que notre maman aime beaucoup.

1 commentaire sur “Chronique de deux soeurs et de six cousins réunis

  1. Que c’est un joli moment passé avec vous ! j’espère que tout va rentrer dans l’ordre pour vous .
    Notre maison à la montagne est aussi pour Nico et moi notre maison de famille , celle à laquelle j’ai rêvé tant d’années et celle que Nico a dû reconstruire ; A chaque vacances ma soeur et ma nièce y viennent une semaine avec ma mère et nous sommes alors huit en permanence, plus les amis du village qui vont et viennent : il m’arrive souvent de prendre mon petit dèj en pyjama et de voir un des voisins venir toquer à la fenêtre , dire bonjour, apporter des oeufs ou de la salade, venir demander les conseils de l’armurier et cette belle familiarité me manque ici … ces matins de campagne , l’odeur de bois de ma maison , le froid du petit matin ….Passez une très belle journée. Bises de Marseille

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