Chronique d’une famille heureuse autour de la naissance d’un bébé

Victor Hugo.jpgDans notre famille maternelle, les branches supérieures du chêne généalogique ont été nourries au sein de Victor Hugo et de Charles Péguy. Alors, quand Mathieu, le mari de ma sœur Virginie, m’écrit que leur petite fille est née, ce sont les premiers vers d’un poème de Victor Hugo qui me viennent : « Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris. Son doux regard qui brille fait briller tous les yeux. »

robes bébés.jpgCharlotte a vu le jour le vendredi 16 juin, le même jour que le fils de notre cousine germaine, Marine. Elle est née à 19h20. C’est le troisième enfant de ma sœur et de son mari. Plusieurs années en arrière, quand j’ai lavé, repassé et rangé les vêtements des enfants dans une grande valise qui avait, plusieurs fois, fait la navette entre la Martinique et Paris, dans laquelle notre cocker se couchait au moment des préparatifs, je ne pensais pas les ressortir avant la naissance de mes petits-enfants…La vie est pleine de surprises et, au début de l’automne, alors que ma sœur et les siens revenaient d’un bout de vie américaine à La La Land, un bébé s’invitait. Le bébé du retour en France ! Le bébé de la maturité ! Alors, j’allais chercher, dans une sorte de garage, au fond du jardin, la grosse valise dont les mécanismes sont grippés et j’en exhumais les petites robes fleuries, les hauts délicats et les chaussons lilliputiens. Je me rappelais précisément qui, de la famille ou de nos amis, nous avait offert toutes ces choses ravissantes. Un peu plus tard, j’achetais de la laine. Je voulais tricoter une couverture pour le bébé. Quand j’ai attendu nos trois enfants j’aurais beaucoup aimé que quelqu’un tricote pour eux. J’avais pensé à ma tante et marraine, grande tricoteuse devant l’Eternel mais elle avait définitivement rangé ses aiguilles à tricoter et pratiquait l’art de la broderie. Elle m’a offert une broderie pour chacun des enfants et elles sont accrochées dans leur chambre. Je suis très attachée aux choses qui sont fait-maison. Elles ont tout de suite une dimension affective que les autres auront mais, à l’usage, avec le temps. Notre mère s’était blessée à quelques jours de Noël. Elle s’était fracturée un poignet. Bien plus expérimentée que moi, je lui confiais les pelotes de laine corail et les aiguilles. Je pensais que cela lui ferait plaisir et ferait office de rééducation. Le kinésithérapeute avec lequel elle a sympathisé au fil de ses chutes, grand amateur d’opéra, l’a félicitée d’avoir tricoté.

Main Margot.jpgQuand je découvre le message de Mathieu et la ravissante photo de ma sœur et de Charlotte, je suis sur la terrasse de la maison d’un couple d’amis avec deux autres couples. L’une des femmes a fait le choix en conscience de ne pas avoir d’enfant. Sa mère ayant cruellement manqué d’amour maternel, elle avait peur de ne pas savoir aimer un enfant. Moi qui la connais bien, je sais qu’elle aurait réussi. L’autre femme partage la vie d’un homme qui a vingt ans de plus qu’elle. S’il a un enfant d’une première union, elle a perdu le bébé qu’ils avaient attendu ensemble. Je ne peux pas partager la joie de cette naissance comme je le voudrais si ce n’est avec Catherine qui nous reçoit et vit en bonne partie pour ses enfants et ses trois petits-enfants. Le quatrième est en route. Je suis très émue. Je n’écoute plus ce qui se dit autour de moi mais l’odeur du blé mûr et du foin coupé me parvient. Je m’éclipse pour appeler ma mère. Je ne téléphone pas à ma sœur. Je les laisse vivre ce moment de bonheur familial entre eux.

philosophie.jpgLa grande sœur de Charlotte, Margot, a attaqué les épreuves du bac jeudi avec l’écrit de philosophie. Dans la famille, un lien très spécial nous unit à Margot. C’est elle qui a fait de notre mère, une grand-mère dans les dix-huit mois qui suivaient la mort de notre père. C’est elle qui a fait de Virginie et de Mathieu des parents, et de Stéphane et de moi, un oncle et une tante. Ce lien est vraiment unique. Jeudi matin, comme tant d’autres lycéens, Margot a choisi de traiter le sujet portant sur l’œuvre d’art. Je pensais que ma sœur accoucherait quand sa fille aurait fini ses écrits. Mais, avec le recul, je me dis que pour une maman voir son aînée passer son bac génère des émotions assez fortes pour déclencher un accouchement. Charlotte arrive avec un peu moins de quinze jours d’avance. Ma soeur fait les choses bien. Elle accouche en trois heures, la veille d’un week-end. Parfait pour son mari! Nous rions avec Margot de ce que Charlotte est une sacrée coquine qui aurait pu attendre encore un peu!

tanguy.jpgC’est à 17h30 que, par un SMS laconique, Mathieu m’apprend que Charlotte va arriver. Ma dernière patiente vient de sonner. C’est une femme, professeur, un peu plus jeune que moi. Je l’aide à vivre le mieux possible le départ à Aix-en-Provence de son fils aîné qui sera bachelier début juillet. Pas facile pour des parents d’accompagner les enfants vers le début d’une vraie indépendance. Déjà, et bien qu’il me reste encore quatre ans, je me prépare à cette étape inscrite au parcours des parents et des enfants. J’y pense le soir, dans mon lit. Sans transition, on passe d’un temps où on sait à peu près toujours où et avec qui sont nos enfants et à quelle heure ils vont rentrer à un temps où on ne sait plus rien et où on s’interdit de les appeler pour se rassurer. On croit que seules les mamans souffrent du départ de leurs enfants mais les papas aussi peuvent être tristes ! Le mari de Catherine qui nous reçoit vendredi soir a été bouleversé par le départ de leur fille, leur aînée. Elle avait souhaité emporter avec elle tout le contenu de sa chambre d’enfant et de jeune fille pour meubler son nouvel univers d’étudiante. Un soir, en rentrant, Catherine a découvert son mari pleurant à la vue de la chambre entièrement vide de leur fille.

scorpion.jpgCharlotte me fait beaucoup penser à sa grande sœur. Elle a ce même regard profond qui vous scrute et vous perce jusqu’au plus profond de votre âme. Un regard qui cherche à savoir qui vous êtes. Un regard de scorpion ! Margot est scorpion. Notre fils, Louis, est ascendant scorpion. Charlotte, née sous le signe des gémeaux, est aussi ascendant scorpion comme son oncle Stéphane. Quant à moi, qui aime faire les choses de manière approfondie, je suis scorpion ascendant scorpion. Au téléphone, depuis sa chambre à la maternité, ma sœur me raconte que Charlotte aime qu’on lui parle et qu’elle écoute avec beaucoup d’attention mais, quand on arrête de lui parler, elle se met à crier. J’ai été très émue par les photos de Margot et de Valentin tenant leur petite sœur dans leurs bras et, aussi, par celle de notre mère.

Céleste et maman Pont.jpgToutes les femmes n’aiment pas les bébés car ce sont des êtres dont les attentes et le niveau de dépendance obligent à se mettre durablement entre parenthèses. Les personnes plus centrées sur elles-mêmes sont bousculées par les bébés qu’elles espèrent voir grandir vite. J’envie ma sœur de replonger dans cet univers, dans ces débuts de la vie sur terre. Au téléphone, j’ai entendu Charlotte pousser des petits cris de souris caractéristiques des nourrissons. Je ne l’ai pas encore entendue pleurer mais il semblerait qu’elle est une belle voix ! J’ai tout aimé de mes années « bébé » : l’allaitement, les bains, les promenades, les sourires, les gazouillis. En revanche, il m’a fallu beaucoup de patience et de résistante pour endurer les nuits sans sommeil que Céleste et Louis m’ont fait vivre. Victoire, elle, a su d’instinct qu’il fallait qu’elle soit un bébé « facile ». Un bébé qui ne pleure pas, qui dort bien. Un bébé qui ne pèse pas sur sa maman. Une maman durablement seule dans un contexte pas facile.

plage île Tudy lever du jour.jpgNous sommes lundi. La moisson commence et ma sœur rentre chez elle avec son mari et son bébé. Margot, à Carnot, passe son écrit d’anglais. Valentin a repris ses cours en classe de cinquième. Il fait très chaud. L’incendie qui ravage le Portugal et a fait tant de morts est épouvantable. En France, dans le Sud-est et en Corse, les pompiers sont en alerte. Nous entrons dans une semaine de canicule. Depuis le drame de l’épisode de canicule 2003, on est sur le qui-vive dans les maisons de retraite. Je portais Céleste cet été-là. Comme nous étions bien dans le Finistère, à Bénodet ! L’océan était si froid que j’avais des contractions mais je n’hésitais pas à me baigner pour accompagner Margot.

Ile sud Nouvelle Zélande.jpgNous ne verrons pas Charlotte tout de suite. En plus de quinze jours, elle aura déjà beaucoup changé ! Les bébés se transforment si vite ! Margot est la seule nièce que j’ai vue dans les heures qui ont suivi sa naissance. J’étais bouleversée de tenir dans mes bras ce petit être minuscule. J’étais arrivée en TGV de la Loire. Ma sœur était épuisée. Je portais une sorte de poncho en alpaga rouge qu’elle m’avait offert à Noël, le Noël avant que nous nous envolions pour la Nouvelle-Zélande. Ma sœur me semblait un peu perdue comme le sont souvent les jeunes mamans. Elle avait vingt-six ans mais là, dans cette petite chambre, je la voyais avec son visage d’enfant, son expression de petit oiseau tombé du nid. Avec Mathieu, nous avions été déjeuner dans un restaurant chinois.

cousins bretagne.jpgMaintenant, presque dix-sept années ont passé et Margot va quitter le toit parental pour aller étudier en Angleterre ! Valentin va rester à la maison avec ses parents et Charlotte. Le départ de Margot ne sera pas facile pour Valentin. Ces deux enfants-là sont très complices et s’aiment profondément. Plus jeunes, avant de partir pour les Etats-Unis, et bien qu’ils aient chacun leur chambre, très souvent, Valentin s’invitait dans celle de sa sœur. Avec la naissance de Charlotte, Margot n’est plus la seule fille et Valentin perd sa position de benjamin. Les cartes sont rebattues. Je me dis qu’avec cette différence d’âge, forcément, Charlotte se construira un peu en marge de la vie de sa fratrie et de ses cousins. Charlotte ne pourra pas partager les mêmes vacances, les mêmes fêtes de Noël. Elle sera la « petite » sœur, la « petite » cousine.

cousins.jpgElle sera un bébé choyé, entouré, couvé par une armada de « grands ». Elle sera, pour sa grand-mère, le dernier vrai rayon de soleil. Sa grand-mère si heureuse, si émue de la tenir dans ses bras le samedi. Sa grand-mère si malheureuse en pensant qu’elle ne la verrait pas grandir comme les autres. Cette pensée que ma mère avait exprimée m’avait rendue très malheureuse. Elle m’avait rappelée cette ombre qui passait sur le visage de notre grand-mère quand elle se penchait sur Margot, Céleste, Valentin, Victoire et Louis, ses arrière-petits-enfants. Louis avait sept mois quand elle s’est éteinte. Elle avait fêté ses quatre-vingt-dix. Elle n’était pas prête à partir. Elle avait encore bien trop de choses à vivre mais son pauvre cœur était usé par toutes les épreuves traversées.

Notre grand-mère adorait les bébés. Elle fondait devant leurs sourires d’ange, leurs gazouillis, leur chair si tendre. Elle leur racontait des histoires, leur chantait des chansons et les berçait jusqu’à ce qu’ils s’endorment. Elle aimait ce poème de Victor Hugo sur lequel je vous laisse en souhaitant une heureuse et longue vie pleine de joie, d’amour et de partage à Charlotte !

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

PS: Pensez à me suivre à compter du 30 juin sur http://horscadre.ovh/

Lorsque l’enfant paraît, le cercle de familleAl robe kimono.jpg Applaudit à grands cris.
Son doux regard qui brille
Fait briller tous les yeux,
Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
Se dérident soudain à voir l’enfant paraître,
Innocent et joyeux.

Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre
Fasse autour d’un grand feu vacillant dans la chambre
Les chaises se toucher,
Quand l’enfant vient, la joie arrive et nous éclaire.
On rit, on se récrie, on l’appelle, et sa mère
Tremble à le voir marcher.

Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme,
De patrie et de Dieu, des poètes, de l’âme
Qui s’élève en priant ;
L’enfant paraît, adieu le ciel et la patrie
Et les poètes saints ! la grave causerie
S’arrête en souriant.

La nuit, quand l’homme dort, quand l’esprit rêve, à l’heure
Où l’on entend gémir, comme une voix qui pleure,
L’onde entre les roseaux,
Si l’aube tout à coup là-bas luit comme un phare,
Sa clarté dans les champs éveille une fanfare
De cloches et d’oiseaux.

Enfant, vous êtes l’aube et mon âme est la plaineMaman, grand-mère et AL.jpg
Qui des plus douces fleurs embaume son haleine
Quand vous la respirez ;
Mon âme est la forêt dont les sombres ramures
S’emplissent pour vous seul de suaves murmures
Et de rayons dorés !

Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies,
Car vos petites mains, joyeuses et bénies,
N’ont point mal fait encor ;
Jamais vos jeunes pas n’ont touché notre fange,
Tête sacrée ! enfant aux cheveux blonds ! bel ange
À l’auréole d’or !

Vous êtes parmi nous la colombe de l’arche.
Vos pieds tendres et purs n’ont point l’âge où l’on marche.
Vos ailes sont d’azur.
Sans le comprendre encor vous regardez le monde.
Double virginité ! corps où rien n’est immonde,
Âme où rien n’est impur !

Il est si beau, l’enfant, avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
Ses pleurs vite apaisés,
Laissant errer sa vue étonnée et ravie,
Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie
Et sa bouche aux baisers !

Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j’aime,
Frères, parents, amis, et mes ennemis même
Dans le mal triomphants,
De jamais voir, Seigneur ! l’été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
La maison sans enfants !

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