Chronique d’un sapin replanté

Voici une semaine, un matin, j’ai décidé que le
temps était venu de défaire crèche et sapin. Depuis que les filles avaient
installé les rois mages et leurs chameaux devant la Sainte famille, elles
rentraient de l’école et vaquaient à leurs occupations sans plus se soucier des
santons provençaux et du petit sapin qui, dans un coin du salon, commençait à manifester
des signes de lassitude et des envies de grand air. Nous n’allumions plus, le
soir venu, les guirlandes électriques. Nous ne faisions plus briller, dans un
craquement d’allumette, la mèche noire des grosses bougies beiges. Il fallait
s’y résoudre : le temps de Noël était passé.

 

Les agents municipaux
avaient retiré les décorations jetant des ponts de lumière entre les deux rives
des avenues. Les particuliers avaient, eux aussi, rangé les animaux de la
forêt, les traîneaux et tous les Père Noël lumineux transformant les jardins, à
la plus grande joie des enfants, en annexes d’Eurodisney. Sur les fenêtres, des
mamans avaient gratté, avec peine, les dessins faits au pochoir à grands coups
de fausse neige. Certaines n’étaient pas sûres de renouveler l’expérience tous
les ans ! Les galettes à la frangipane et les brioches décorées de fruits
confits étaient les reines du mois de janvier, bientôt détrônées par les crêpes
et les beignets. Dans la presse féminine, les pages consacrées aux différentes
méthodes pour mettre au repos son organisme, après les excès de fin et de début
d’année fleurissaient. Les boites de chocolats arrivaient à leur fin. Les
soldes battaient leur plein. Le Christ était à peine venu au monde que
viendrait déjà le temps de la condamnation, de la passion, de la mort et de la
résurrection. 

 

Alors, j’ai enrubanné, avec soin, chacun des
petits santons dans un morceau de papier de soie. Mentalement, j’ai dit au
revoir à chacun d’entre eux et leur ai donné rendez-vous à la fin de l’année. Je
les ai déposés dans le ventre creux de la petite crèche moussue. Ensuite, j’ai
retiré les feuilles d’automne séchées et le papier rocher. Je me suis tournée
vers le sapin. Je l’ai regardé un long moment avant de commencer à le déshabiller,
le plus délicatement possible. J’ai ôté l’étoile suspendue en haut de la
flèche, les petits sujets, toutes les guirlandes et les fins cheveux d’ange. Il
était nu mais il demeurait beau. Il ne semblait pas avoir trop souffert de la
chaleur ambiante et des feux de cheminée. Les arrosages réguliers étaient
récompensés. En rentrant de l’école, les enfants ne se sont même pas aperçus
que le sapin et la crèche avaient disparu.

 

A présent, le sapin est
dans le jardin. Dans le salon, il semblait immense. Entre le magnolia et un
arbuste dont le nom m’échappe, il paraît tout petit. Le vent fait voler, avec
grâce, les quelques fins cheveux d’ange dorés restés prisonniers de ses épines.
Un rouge-gorge est déjà venu s’y poser.  

Ce matin, j’ai découvert
une petite mésange. Elle gisait sur la terrasse. Elle
était morte en heurtant la baie vitrée. En la prenant dans creux de ma main,
j’ai pensé à tous ces êtres frappés par la violence des séismes en Haïti, à
toutes ces vies arrachées et, plus encore, à une enfant amputée d’un bras. Elle
avait tremblé comme une feuille, une nuit durant, alors que la terre
recommençait à gronder. Je me sentais totalement impuissante. Je ne pouvais
qu’espérer que les secours, en parvenant à s’organiser dans le chaos, soient
les plus efficaces possibles et que l’aide internationale, les premières
semaines passées, n’abandonnent pas Haïti à elle-même ou bien oeuvrent à sa
reconstruction sans lui ravir son autonomie.

 

 

 

Anne-Lorraine
Guillou-Brunner

 


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