Une pluie tiède mouille le plateau. Devant la maison de Muguette, le champ a été retourné et des topinambours y seront bientôt plantés. Je n’en ai jamais mangé. Elle m’évoque l’Occupation, le rationnement et les longues files d’attente devant les magasins alimentaires. Muguette et Eugène m’ont dit que c’était délicieux et fin comme la chair de l’artichaut. D’ailleurs, il se nomme aussi artichaut de Jérusalem. Franck, le fils cadet de Muguette, les mange avec une vinaigrette. Moineaux et mésanges charbonnières se régalent des boules de graisse accrochées sur la balcon de mon cabinet. Depuis quelques jours, j’ai la visite d’un rouge-gorge et j’ai même vu un merle au plumage marron. La pie observe tout ce manège depuis une branche du sapin.
Noël, cette merveilleuse fête de la lumière et du partage, préparé de longues semaines dans nos coeurs et passé à la vitesse d’une étoile filante dans un ciel d’août. Il y a ceux qui se préparent à la Nativité tout au long de l’Avent en allumant une nouvelle bougie rouge dans leur couronne tressée dans des branches de sapin. Il y a ceux qui réfléchissent très longtemps aux cadeaux qui pourront faire le plus plaisir. En général, ils ont glané des idées tout au long de l’année. Il y a ceux qui compulsent des magazines de cuisine pour imaginer les menus du réveillon et du déjeuner de Noël. Il y a ceux, encore, qui se demandent quelle personne isolée ils pourraient inviter. Chacun prépare cette période à sa manière selon qu’il est ou non croyant, selon que cette fête a été ou non associée à des souvenirs heureux. Pour certains, Noëls, ce n’est qu’une source de stress: penser à des menus, faire des courses, cuisiner, décorer la table, ranger, recommencer le lendemain et voir sa maison envahie par des proches qu’on aime infiniment mais qui vont nous bouleverser dans nos petites habitudes.
Tant de choses se transmettent de parents aux enfants. Si les parents se sont réjouis de Noël et qu’accueillir leurs proches a toujours été une occasion de se réjouir même si cela peut, bien sûr, engendrer de la fatigue alors, normalement, les enfants devraient à leur tour le moment venu ressentir la même joie à l’idée de marcher dans leurs pas. Il m’arrivé déjà de songer à ce que seront nos Noël quand nos enfants auront tous fondé une famille. Voici quelques années, nous avions loué un Airbnb à Saint Malo. La chambre des enfants, au premier étage, m’avait beaucoup plu. Elle contenait quatre lits qu’on pouvait entièrement isoler par des rideaux colorés. C’est le système utilisé autrefois dans les hôpitaux et les dortoirs pour que les malades et les pensionnaires aient leur intimité. Quand nous aurons des petits-enfants, j’aimerais bien les installer dans une grande chambre faisant office de dortoir. Quels souvenirs inoubliables ils pourraient s’y forger et combien de fois les parents seraient alors obligés de monter les voir pour leur demander de dormir!
Cette année, j’avais choisi, pour la table, une nappe blanche brodée qui m’a été envoyée de la Martinique par Marie-Denise. Marie-Denise était une très jeune fille quand elle a commencé à veiller sur ma soeur et moi alors que notre père était en poste à Fort-de-France. Ma soeur avait un peu plus de trois mois et j’avais cinq ans. Un été, Marie-Denise nous avait accompagnés en métropole. Notre maman a toujours conservé des liens étroits avec Marie-Denise. Les assiettes légèrement crème avec un fin liseré argenté et les couverts sont des cadeaux de mariage. Les verres colorés ont été achetés par notre maman quand nous vivions à Metz. Elle avait été les chercher à la manufacture de Saint Louis. Les verres à eau, eux, viennent de Venise et ce sont mes beaux-parents qui nous les ont offerts à Stéphane et à moi quand nous nous sommes fiancés. Enfin, les porte-couteau étaient à notre grand-mère maternelle. Je voulais des tulipes mais je n’ai trouvé que des roses déjà légèrement fatiguées.
Le 24, Victoire m’a accompagnée à la veillée dans la petite église de Chuelles. Les enfants du catéchisme avaient très joliment décorés l’église: des sapins couverts de boules rouges et dorées, des cloches suspendus avec des rubans aux piliers et la crèche devant l’autel. Nous avons retrouvé Christine et Rémi qui sont des paroissiens très investis depuis toujours. Ils ont partagé avec nous la messe et le déjeuner de confirmation de Victoire. Victoire a fait leur connaissance lors du pèlerinage VTT organisé tout début juillet et auquel elle participera à nouveau l’année prochaine. Le Père Ernst qui a succédé au Père Paul en septembre a évoqué la personnalité du Père Bleneau mort voici dix ans et qui a été durant trente ans à la tête des églises de Chuelles et de Saint Firmin des bois. Je n’avais jamais entendu parler de lui avant qu’Eugène me raconte qu’en qualité de conducteur de car il avait conduit le Père Bleneau et tout un groupe d’enfants et d’adolescents en vacances au Cap-Nord ou en Grèce. En Grèce, ils avaient été visiter les monastères orthodoxes des Météores. Voici très longtemps, les moines refusaient l’accès du site aux femmes. Depuis les années 70, les femmes y sont autorisées à condition de porter une jupe. Rémi m’a expliqué que le Père Bleneau venait d’une famille de riches cultivateurs et que sa soeur était religieuse. Il finançait lui-même les voyages. Il savait que les enfants d’agriculteurs ne partent pas en vacances l’été car les parents travaillent et que lorsqu’ils sont éleveurs ils ne partent jamais! Quand le Père Bleneau est mort, tout ce qu’il possédait à été légué à l’évêché.
Le 24 alors que nous prenons l’apéritif devant la cheminée sans feu mais la crèche dans laquelle le petit Jésus repose désormais entre le boeuf et l’âne gris et que nous venons de nous donner nos cadeaux, Louis est pris d’un coup de déprime. Il trouve notre Noël à 5 triste. Je lui rappelle que le week-end dernier, nous étions 11 et que la maison était tout sauf triste. Avec notre maman, ma soeur, ses enfants et Antoine, le copain de Margot, nous fêtions un pré-Noël. Louis, le copain de Victoire, était le grand absent de notre réunion de famille. Le matin, chez le couple qui l’emploie et où il se forme au métier de menuisier, il s’était sectionné la première phalange de l’index gauche en débitant une pièce de bois. Les pompiers l’avaient transféré à Orléans où il avait été greffé. Nous étions tous très tristes pour Louis. Le soir, avant d’aller se coucher Louis me dira: « Ne t’inquiète pas maman, c’était bien quand même ». Le 25, Fantôme souhaite une grande promenade en dépit de son coussinet qui ne cicatrise pas depuis de très longs mois. Toute la maison sommeille. Je m’habille et nous partons. En passant devant chez Muguette, j’entends les poules qui caquètent de bonheur après avoir pondu. Le chemin est glissant et boueux. Très vite, le bas de mon pantalon en velours jaune est moucheté de taches brunes. Fantôme a envie de passer par les bois. Je le suis. Nous faisons fuir une harde de dix chevreuils. En rentrant, j’allume la radio, ceins mon tablier autour de ma taille et me lance dans la préparation d’une farce sans recette. Je mélange de la chair à saucisse avec du pain de mie trempée dans du lait, un petit suisse, des myrtilles, de la muscade et du madère. J’ai acheté un poulet pattes bleues de la Bresse, clin d’oeil à la région dont est originaire Stéphane.
L’après-midi du 25 après avoir enlevé la belle nappe blanche, rangé toute la vaisselle et remis les petits objets de décoration dans un bocal en verre, Stéphane, les filles et moi nous étendions sur le vieux canapé de la mezzanine pour rire des accès de folie de Marina Fois et Laurent Lafitte dans les deux opus de « Papa ou maman ». La séance de cinéma finie, je commençais le dernier roman de Rufin que ma soeur m’a offert avec le chat lové sur mon ventre. Je finissais par sombrer et j’ai eu beaucoup de mal à émerger pour descendre vider le lave-vaisselle et me soucier du diner fait des restes du déjeuner.
Hier, Noël est déjà derrière nous et l’idée d’entendre des chants de Noël devient insupportable. Nous allons en voiture jusqu’à Larchant, village situé à une petite heure de la maison. Avant de nous garer en lisière du domaine de la Commanderie dépendante de la forêt de Fontainebleau, nous avons été admirer la basilique de saint Mathurin. Dés le début du XIe siècle, l’histoire de Larchant est étroitement liée à celle du Chapitre de Paris. Larchant, situé dans le pays et comté de Gâtinais, est confié à l’église Notre-Dame de Paris, avec les « forêts, domaines, petits domaines, vignes, prés, terres cultes et incultes, avec l’église dédiée en l’honneur de saint Mathurin, et avec toutes ses dépendances » par Rainaud, évêque de Paris, pour obtenir le pardon des fautes commises par ses parents, « le Comte Bouchard et sa très estimée épouse Elisabeth ». Le Chapitre de Notre-Dame va donc jouer, en tant que seigneur de Larchant, un rôle primordial à Larchant jusqu’à la Révolution française, notamment s’agissant de l’église de Larchant, dédiée à saint Mathurin et siège d’un très important pèlerinage. Au XIVe siècle, ce pèlerinage était si florissant que les chanoines estimèrent pouvoir soustraire une partie des revenus de la paroisse pour subvenir aux besoins des clercs des matines de Notre-Dame de Paris.
L’église est dédiée à saint Mathurin, que la légende fait naître à Larchant, à la fin du IIe siècle. Il fut ordonné prêtre à l’âge de vingt ans. La ville de Rome était alors frappée de maux divers et la fille de l’empereur Maximien Hercule fut tourmentée par le démon qui, lui-même, se mit à crier qu’il fallait faire venir de Gaule, pour le chasser, un serviteur du Christ nommé Mathurin. Arrivé à Rome, Mathurin guérit les malades qui s’étaient portés à sa rencontre et sauva la fille de l’empereur, Théodora. Il resta trois ans à Rome, accomplissant de nombreux miracles. Au moment de mourir, il demanda que son corps fut ramené dans son village natal. L’empereur fit en sorte que le corps de Mathurin fut ramené à Larchant. Sur son tombeau, de nombreux miracles se produisirent et furent à l’origine d’un pèlerinage très important au Moyen Âge.
Pendant deux bonnes heures, nous marchons sur un sentier de sable fin parsemé d’épingles de pin. Les rochers me font penser à une colonie d’éléphants de mer ou à des tortues des Galapagos. Cela sent bon l’humus. Peu de marcheurs et une pluie parfois assez soutenue pour que nous allions nous abriter sous l’un des rochers. Pas de grimpeur aujourd’hui. Avec la pluie, les pierres sont glissantes et n’offrent aucune prise. L’éléphant est vraiment la star de Larchant. Quant à Dame Jouanne, avec ses 15 mètres, elle est le rocher le plus haut de toute la forêt de Fontainebleau. Cette forêt a un pouvoir magique: celui de suspendre le temps. On y perd aussi très facilement tous ses repères. Seule, je serais parfaitement incapable de revenir à mon point de départ! Avant de remonter dans la voiture, je marche en direction de l’auberge de Dame Jouanne appelée aussi chalet Jaubert. Un cheval et un âne se promènent dans un grand enclos. Pas de carte. L’auberge est fermée jusqu’au 3 janvier. Cela doit être agréable d’y dîner aux beaux jours après une grande marche. Je regrette que nous n’ayons pas pu emmener Fantôme avec nous. La forêt, c’est ce qu’il préfère. Malheureusement, sa blessure sur son coussinet s’est rouverte avec les quelques jours de gel. Il ne doit pas trop marcher et, tous les soirs, nous désinfectons la blessure, mettons une crème cicatrisante, le bandons et lui enfilons une chaussette pour qu’il n’enlève pas le tout. Les bergers australiens sont des animaux qui cicatrisent très mal.
Quand nous rentrons, nous trouvons les filles devant « Priscilla, folle du désert ». Ce film australien traité comme une comédie musicale et un road-movie raconte l’épopée de trois travestis artistes de music-hall quittant leur club de Sidney pour aller donner des représentations dans un casino perdu dans le désert. J’ai eu la chance de voir le film au cinéma à sa sortie en 1995. L’ambiance était complètement délirante dans la salle: les spectateurs, debout, dansant et chantant sur des morceaux légendaires d’ABBA ou de Village People. Les filles sont fascinées par les paysages, les couleurs, les tenues et les maquillages des acteurs. J’ai appris qu’en 2000 lors de l’ouverture des JO à Sidney une chaussure à talon pailletée identique à celle du film avait fait partie du spectacle pour rendre hommage à la communauté LGBT.
Ce matin, un peu avant 8h30, Victoire et moi sommes devant la gare. Louis et son papa nous rejoignent. Victoire et Louis prennent un Blablacar pour aller passer quelques jours à Tours chez Margot, la soeur de Louis. Louis est heureux de faire découvrir Tours à Victoire. Tandis que Céleste attend Justine et que Louis va partir rejoindre des amis, Stéphane et moi décidons d’aller voir « La panthère des neiges ». Je m’attends à ce qu’il y ait beaucoup de monde au cinéma et je trouve que nous partons trop tard. En effet, nous ne verrons pas le documentaire mais aurons vu Benoît et ses deux fils qui, eux, espéraient voir « Spiderman ». Entre le mauvais temps, les vacances, la sortie de films « grand public » et la peur de voir les salles tirer le rideau, la file est aussi longue qu’elle peut l’être devant le château de Versailles! Je suis très déçue et comme je suis déçue je suis en colère…
A Tours, il a fait beau. Les voix enjouées de Céleste et de Justine me parviennent. Louis dort chez Erwan. Je suis réveillée depuis 4 heures. C’est pénible de ne pas dormir quand on le pourrait! Omicron nous cerne de plus en plus. Les officines n’ont plus de tests antigéniques. Cette fin d’année n’est pas très amusante. Normalement, Stéphane et moi serons seuls pour dire au revoir à 2021. Nous sommes tellement fatigués qu’il y a de grande chance pour que nous ne soyons même pas capables d’attendre les 12 coups de minuit. Cela nous était arrivés quand nous avions loué avec les enfants un Airbnb à Marseille. Les enfants étaient consternés…
Cette chronique est la dernière avant 2022. Avant d’y mettre un point final, je voudrais partager avec vous le moment le plus incroyable de mon année 2021: cette soirée passée au bord de l’étang d’Orléans à la tombée du soir pour entendre les cerfs bramer. Les vacances corses furent également merveilleuses comme mon anniversaire à Paris chez ma soeur et la messe de confirmation de Victoire.
A l’année prochaine!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner