Chronique chlorophylle

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Pour arracher, à une poignée de propriétaires octogénaires élevés dans la plus pure tradition victorienne, la location d’un appartement new yorkais, doté d’un splendide jardin d’hiver et d’une grande terrasse, aurais-je été capable de contracter un mariage blanc, avec un français, mal rasé, mal dégrossi, en quête du sésame pour un travail longue durée sous les étoiles de l’oncle Sam, comme la délicieuse héroïne du charmant « green card » ?

 

green-card-1990-6300-392807566.jpgPour arriver à mes fins, aurais-je pu tout apprendre de la vie d’un parfait étranger, qu’il s’agisse de l’emplacement de ses tatouages ou de l’âge auquel on lui a retiré son appendice ? Enfin, en vue de la réalisation d’albums photos communs, me serais-je amusée à prendre la pose en maillot de bain, genre vacances à Hawaï ou en combinaison de ski, genre vacances à Val d’Isère, depuis la terrasse de mon appartement ?

 

Tistou_les_pouces_verts.jpgSincèrement, je ne le crois pas, même si j’avais été horticultrice et avais employé une partie de ma belle énergie à me prendre pour Tistou les pouces verts en installant des potagers, en plein cœur de Harlem. Ceci dit, et malgré des connaissances très limitées en botanique et une pratique modérée du jardinage, j’aime vraiment les jardins. C’est en Nouvelle-Zélande, qu’il m’a été donné de voir l’un des plus jolis.

 

Après une belle étape de vélo, nous nous étions arrêtés pour dîner dans le seul restaurant existant dans un périmètre de quinze kilomètres. Grâce à mon carnet de voyage que j’ai exhumé pour l’occasion, je peux vous dire, sans erreur possible, que le restaurant s’appelait « the store » et qu’il était situé à Kekerengu, sur la côte Est de l’île du Sud. The Store2.JPG

 

the store.jpgImaginez une spacieuse maison, construite de plain pied, avec de larges baies vitrées ouvertes sur le Pacific et un jardin à l’anglaise, un plafond, tendu de toile de jute, soutenu par d’énormes poutres entourées de cordes de chanvre, au cœur de la pièce, une grande cheminée à double foyer et des objets, à vendre, rapportés du Rajasthan comme des vasques en métal martelé, des corbeilles en osier, des animaux en cuivre ou en bois tressé, et enfin, une terrasse en forme de L couverte de cèdre rouge. L’endroit nous plaisait assez pour tenter notre premier camping sauvage en terre kiwi. Monsieur et madame Macfarlane, les propriétaires, dont les descendants sont arrivés d’Ecosse un peu avant la fin du dix-neuvième siècle, nous ont laissés planter notre tente, sur la plage, en contre bas du restaurant.

 

The Store garden.JPGQuand nous nous sommes endormis, le ciel était chargé et la température extérieure plutôt fraîche. Dans la nuit, nous avons essuyé un orage digne de ceux qui craquent, avec violence, au-dessus des toits de Paris, à la fin août. La tente prenait l’eau de toute part. Nous n’avions pas pensé à nous assurer de l’étanchéité des coutures. Grossière erreur pour qui aspire à un camping confortable de ce côté-ci de l’hémisphère Sud ! Au matin, après un petit-déjeuner pantagruélique, finalement peu compatible avec une grande journée de vélo, nos hôtes nous ont offert de visiter le jardin de leur maison, surplombant l’océan. C’était un vrai paradis ! Nature, sculptures, bassins et lieux dédiés à la lecture solitaire, à la conversation sous les étoiles, ou au silence méditatif s’y mariaient en un accord parfait.

 

jardin-4-2009-370.1261472622.JPGSamedi dernier, comme j’étais seule avec mon petit garçon, je me suis enfin décidée à passer la porte d’entrée du Grand Courtoiseau, propriété privée, dont les superbes jardins sont ouverts au public de la mi-avril aux premiers jours de novembre. Située dans le Loiret, quelques kilomètres après Château Renard, la propriété, un manoir du dix-huitième siècle, est entourée de six hectares de jardins dont le travail de réhabilitation a commencé en 1991.bus
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Le soleil marchait vers les cinq heures quand nous sommes arrivés devant l’entrée. Nous y avons été accueillis par une femme charmante, accompagnée de sa fille. C’était vraiment une journée magnifique. Les tulipes s’offraient avec générosité. Les fleurs mauves ou roses des magnolias étaient superbes. Les camélias étaient déjà fanés. Pour profiter des roses, des massifs de lavande, des mètres de glycine serpentant le long de la façade du manoir, nous reviendrions. courtoiseau2.jpg

 

hibou_sculpture.jpgLouis demandait à plonger son nez dans le cœur odorant des fleurs. Il s’amusait à caresser les animaux et les insectes sculptés dans le métal ou fabriqués avec des objets de récupération par l’artiste Gill. Il s’arrêtait devant chaque bassin pour observer la nage tranquille des poissons rouges et écouter les murmures de l’eau retombant en pluie fine. A l’ombre des buis religieusement taillés, nous avons marqué une halte sur des chaises en bois. Louis m’a offert un thé imaginaire, un thé russe dont les arômes de bergamote et d’agrumes se mêlaient à celui des magnolias. J’ai bu mon thé dans une délicate tasse en porcelaine de Chine. Louis m’a tendu une tranche de gâteau au chocolat. La tranche était posée sur une assiette dont les motifs floraux étaient identiques à ceux de la tasse. Je l’ai complimenté sur le parfum si agréable de son thé et sur le fondant de son gâteau. Il a souri tout en faisant mine de me resservir. Il s’est penché pour ramasser la serviette qui avait glissé de mes genoux.TeaTime02.jpg

 

courtoiseau.jpgNous n’étions qu’en avril, et un air frais commençait à souffler entre les allées des jardins. Alors, nous avons dit au revoir aux sculptures et aux poissons rouges, à la dame de l’entrée et à sa fille et nous sommes remontés dans notre voiture. hirondelles.jpgChemin faisant, je me disais que la réussite d’un jardin résidait dans un équilibre subtil à trouver entre ombres et lumières, fleurs et arbres, sculptures et points d’eau, espaces de repos et mélange des genres. Les allées et les massifs taillés au cordeau du Versailles, façon Le Nôtre, ne m’ont jamais touchée. C’est trop froid, trop rigoureux, allez, j’ose, trop cartésien, trop mathématique pour un esprit hors cadre. Je leur préfère mille fois le désordre apparent des jardins à l’anglaise où les plantes évoluent en liberté. Comme beaucoup, je dois, aussi, avouer un vrai penchant pour les jardins méditerranéens dont les fragrances sont un enchantement pour les odorats fins. Sainte-agnes Jardin Medieval _ Mairie Sainte-agnes.jpg

 

LapinGarenneDSCN4619.jpgLe soir venu, au moment de fermer les volets, j’ai respiré, à pleins poumons, l’odeur de l’herbe chauffée par ce soleil d’avril, ai vu nos trois lapins qui regagnaient leur terrier et ai été heureuse de constater que les tulipes jaunes que j’ai plantées étaient en passe de s’ouvrir. Dans son lit, un petit garçon dormait déjà. Dans sa main, il serrait fortement une affiche que la dame des jardins lui avait offerte. Sur la route, un papa conduisait tandis qu’à l’arrière, deux petites filles, bien bronzées, se faisaient une joie de montrer à leur maman, l’aînée sa première étoile, la cadette son ourson.

 

 

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Anne-Lorraine Guillou-Brunner