Chronique d’une première impression d’été

gelée mâtinale.jpgIl suffit d’un soir, d’un soir comme celui-là pour que tout s’oublie : les longs mois d’un hiver interminable, les gelées matinales, les visages blêmes, les défenses immunitaires en berne et ces ciels plombés, brisant net, tout espoir d’entrapercevoir les rayons du soleil.

lumière d'or.jpgA presque neuf heures, la température est délicieuse. La lumière est d’or, comme dans les films de Kusturica, comme à la plage, en fin de journée, avantor que l’humidité n’imprègne le sable. lapin de garenne.jpgLes grandes oreilles d’un lapin de garenne dépassent des hautes herbes. A contre-jour, elles sont d’un rouge transparent. Dans ma tête, Antônio Carlos Jobin s’est invité et, avec lui, sa « girl from Ipanama ». ipanema.jpgMeubles anciens et pièces contemporaines peuvent s’unir en des accords parfaits. Bossa nova et tableaux campagnards, aussi. Le blé s’étend à perte de vue. blé.jpgTous les épis, serrés les uns contre les autres, forment une sorte d’immense tapis dans des tons, tour à tour, verts et blonds, chauds et tendres, sur lequel on voudrait pouvoir marcher tant il semble inviter à une douce caresse. Des coquelicots viennent ajouter quelques notes vermillon.

panier_piquenique.jpgles enfants du marais.jpgTout à l’heure, en quittant le village qui semblait déjà endormi, j’ai remarqué un groupe de pêcheurs qui pique-niquait au bord de la rivière. Ils avaient l’air heureux. Ils riaient sans peur de faire fuir le poisson. J’ai imaginé des bouteilles de vin des pays de la Loire, prenant le frais, dans l’eau, retenues, par des bouts de ficelle grossière, cette ficelle qu’on utilisait, autrefois, pour fermer des cartons, et dont la corde finissait toujours par s’effilocher. On les sentait dans un juste rapport au temps et aux bonheurs simples. Leur repas terminé, on se serait attendu à ce qu’ils regagnent leurs cabanes du marais comme les grands enfants poètes du film de Jean Becker.

Dix heures trente. Le jour dispute à la nuit, de plus en plus faiblement, un pan du ciel. Il n’éclaire plus que la ligne d’horizon. L’étoile du Berger s’est allumée, belle Vénus célébrant le coucher du soleil. Le bleu noircit. Un couple de chauve-souris joue les ombres chinoises. Un grillon chante, encore, au milieu des pivoines aux pétales largement épanouis. Dans le lointain, on entend des voitures, des voix enjouées. En tendant l’oreille, je crois deviner les moutons se déplaçant, avec lenteur, d’un pommier à un poirier. Encore plus loin, les grenouilles conciliabulent, dans la mare, entre feuilles de nénuphars et iris jaunes et sauvages.

feux_saint-jean.jpgMes yeux se ferment. Je respire à pleins poumons cet air léger, ces odeurs d’herbe verte, de blé mûrissant, de fleurs chauffées par le soleil. Je vois se profiler, à l’horizon, la fin de la quinzaine de Roland Garros et le début du Tour de France. Je vois, encore, des fêtes de fin d’année scolaire, des dîners entre membres d’associations sportives, des feux de la Saint Jean et des clafoutis.

cerises-cerisiers-pluies-puylaurens-france-4287073017-965906.jpgAvant d’ouvrir les yeux, de quitter, à regret, cette soirée aux notes d’été, je vois un petit garçon perché dans un arbre. Ce petit garçon est breton. Cet arbre est un cerisier. Il donne de gros fruits grenat. Leur jus est incroyablement sucré. Il laisse, sur les vêtements, des taches indélébiles. Cet arbre borde un chemin qui passe entre deux champs. Le petit garçon rêve tout en mangeant des cerises. Ici, il se sent à l’abri. Je l’écoute. Il récite un poème. Je reconnais « Ma bohême » d’Arthur Rimbaud. Ce soir, assis dans ce cerisier, il se croit ce Petit-Poucet rêveur, égrenant, parmi des ombres fantastiques, des rîmes, dans sa course. arthur_rimbaud.jpg

liberty_vintage_tea_romance.jpgProfitons de ces quelques belles journées et de ces soirées délicieuses car, déjà, la pythie de Delphes nous souffle que les thermomètres vont repartir à la baisse, les robes légères et les chaussures ouvertes retourner à l’obscurité des placards.

Anne-Lorraine Guillo
u-Brunner

9 commentaires sur “Chronique d’une première impression d’été

  1. Bonjour,chez nous aussi l’été est arrivé,mais en Bretagne nous n’avons pas encore de cerises, ,mon mari me parle souvent d’une petite fille à qui on avait donné un grand cageot plein de ces fruits rouges,il revoit ses yeux ébahis.
    A bientôt de vous lire

  2. merci pour votre message. Le temps des cerises est un temps merveilleux, sans doute parce qu’il est très court! Le petit garçon dont j’évoque le souvenir était né à Quimper mais aimait, les beaux jours revenus, grimper dans les cerisiers bordant un chemin appartenant à sa marraine. C’était à quelques kilomètres de Concarneau. Malheureusement, le petit garçon est mort. Le chemin a été vendu et ses filles et ses petits enfants ne peuvent plus grimper dans les cerisiers pour y manger les fruits. A très bientôt et vive le temps des cerises!

  3. je croyais que vous vous étiez reconnue en la petite fille émerveillée devant les cerises .parce que c’est vous

  4. Chère Bruine,
    Je ne m’étais pas reconnue sous les traits de la petite fille ouvrant de grands yeux devant un plein cageot de cerises. Pourtant, je me rappelle qu’adulte et vivant dans le Gard, une amie de mes parents m’avait offert de monter à la haute échelle pour ramasser des cerises dans son jardin. J’étais repartie, ravie, avec plusieurs kilos de fruits et, pour la première fois, m’étais lancée dans la réalisation de confiture. L’expérience n’avait pas été tout à fait concluante!
    ps: à compter du 1er juillet, le Courrier International se ferme aux blogs des internautes, en raison de violations répétées des conditions d’utilisation. Il faut que je trouve un autre hébergeur. si vous avez des idées, elles sont les bienvenues.

  5. Chère Bruine,
    Je ne suis pas certaine d’avoir bien compris: votre mari m’a connue enfant?

  6. eh!!oui chère Anne Lorraine,il vous a connu enfant,lui aussi grimpait dans les cerisiers chez sa tante,il ne reste qu’un cerisier et si vous passez par là au temps des cerises ,rien ne vous empêche de grimper dans l’arbre.

  7. Chère Bruine,
    Cela ne pouvait être que vous! C’est amusant de se découvrir, pas à pas, de cette manière-là! La dernière fois que j’ai vu la ferme, j’attendais Céleste. Phine était encore là. Je promets de monter dans le cerisier quand je reviendrai. Affectueuses pensées tout autour de vous et merci encore pour vos gentils messages depuis plusieurs mois.

  8. Pour moi ça a été très émouvant de vous lire,nous avons retrouvé une photo à la ferme avec les 3 garçons accompagnés de votre grand mère,la marraine de votre Papa et la maman de Pierre.
    Votre Papa doit avoir 2 ans
    Nous mettons tous les souvenirs de côté et si un jour vous voulez les récupérer,vous serez la bien venue .
    Merci pour tout,je continuerai toutes les semaines à taper
    « anne lorraine guillou »
    à bientôt

  9. C’est avec joie que je viendrai vous voir avec tous les miens, que je ferai votre connaissance et que je regarderai tous les trésors que vous conservez. Notre père avait, pour la ferme de sa marraine, un attachement très particulier que seules les natures nostalgiques peuvent, je crois, comprendre. Dans le souvenir des « trois garçons », ce soir, j’ai dégusté une grosse poignée de cerises. A très bientôt.

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