Chronique d’un début juillet maussade

Stéphane est enfermé dans son bureau, Céleste et Louis dorment encore. Ma première patiente de la journée a annulé son rendez-vous. Je n’étais pas étonnée. Je possède un sixième sens quand il s’agit d’anticiper un rendez-vous qui n’aura pas lieu. J’espère que tous les membres du pèlerinage VTT n’ont pas eu trop de pluie au réveil. Il fait sombre dans la maison. La température doit atteindre les 15 degrés. Je ne me plains pas. J’avais si peur que nous traversions un nouvel été caniculaire. La moisson devrait commencer.

Fantôme et moi sommes allés voir Muguette ce matin. Elle m’a demandé de démonter son aspirateur sans sac. La dernière fois, il était rempli de lentilles du Puy et de bouts de verre car Muguette avait fait tomber un bocal. Ses doigts déformés et douloureux lui jouent des tours. Je suis allée jeter le contenu du réservoir dans la brouette près du poulailler sur la montagne de mauvaises herbes que Muguette a arrachées hier. Elle m’a félicitée pour la part de couscous que je lui avais apportée et m’a donné des oeufs. Assises dans la cuisine, nous avons parlé de recettes de cuisine. Muguette me racontait qu’autrefois elle faisait un filet mignon en croute et, qu’à la ferme où elle a travaillé quatorze ans, le dimanche, Mantine, la grand-mère, utilisait tous les restes de viande pour faire un hachis parmentier. Récemment, Franck, l’un des deux fils de Muguette, a préparé un chou farci.

Dans la semaine, nous avions fait le tour du potager. De belles tomates sont formées, des tomates de plusieurs variétés dont ces petites tomates jaunes en forme de poire délicieuses. Nous observons des courgettes et leurs grandes fleurs jaunes qui me renvoient toujours à des souvenirs de séjours niçois chez notre grand-mère maternelle qui en faisait des beignets fondants dont je raffolais avec une salade croquante. Il va falloir repiquer les poireaux. Certaines salades ont tellement monté que je dis à Muguette qu’elle pourra en faire des sapins de Noël. Il y a aussi des poivrons verts, des concombres en formation, des oignons rouges à ramasser, des carottes et des pommes de terre cachées sous terre. Muguette me propose un chou mais, en cette saison, cela ne me tente pas trop et puis j’ai horreur de l’odeur du chou.

En novembre, Louis a refusé de fêter son anniversaire. Il voulait attendre les beaux jours pour inviter à dormir sous la tente ses deux amis les plus proches. Enfin, vendredi dernier, Louis accueille Erwan et Mala. Avant leur arrivée, Victoire aide Louis à monter la tente jaune, l’une des deux tentes que nous avions dans nos sacs à dos pendant notre évasion d’une année. Nos tentes ont repris du service lorsque, deux étés, nous sommes partis marcher avec des amis et nos neveux et des ânes sur le chemin de Stevenson. C’est au bord du Pacifique, sur l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande, à la faveur d’un orage très fort, que nous avions découvert que nous aurions dû, avant de nous en servir, étancher les coutures. Cette nuit-là, nous prenions l’eau! Les enfants la montent souvent quand ils ont des amis. Certaines personnes ne résistent pas au plaisir de toujours racheter des choses neuves. J’aime les vieilles choses qui racontent des histoires. Tous les joints qui assurent l’étanchéité de la tente sont partis. En Nouvelle-Zélande, Stéphane avait uniquement trouvé du silicone noir. Notre tente jaune désormais zébrée de bandes noires ressemblaient à une grosse abeille tranchant sur le gazon vert et toujours impeccablement tondu des airs de camping.

Vers dix-sept heures, nous entendons des pneus crissant sur les graviers et, dans les minutes qui suivent, les jappements joyeux de Fantôme célébrant le retour de l’Ain de Stéphane, de Céleste et de deux de ses amies. Le soir, à la table du dîner partagé sous les canisses, l’ambiance est très joyeuse.

Samedi matin, je me lève de bonne heure. Je tangue encore. Hier, j’ai oublié de prendre mon médicament. Une chaleur lourde, une ambiance presque tropicale. Je cherche des oiseaux exotiques dans le prunus mais n’en vois pas. Sur le balcon de la fenêtre de mon bureau, j’ai accroché à nouveau des boules de graisse. Les mésanges font bombance. De la tente jaune montent les voix de Louis et de Mala. Erwan semble dormir encore. Céleste devait passer la nuit sous les étoiles comme dans la si belle nouvelle de Daudet mais, manifestement, elle a renoncé. Je vais bientôt réveiller Victoire. Elle sera d’une humeur délicieuse. J’essaierai de ne pas la noyer sous une avalanche de mots. Victoire et Louis ne se reverront pas avant trois semaines et, pendant le pèlerinage VTT pas de téléphone portable. Juliette et Roméo éprouveront le manque qui rend les retrouvailles si magiques!

Ce matin, sur sa moto, Louis nous ouvrait la voie jusqu’au presbytère de Montargis. Paul (le Père) est arrivé très vite au volant d’une voiture immatriculée dans l’Ille-et-Vilaine avec des autocollants Jésus-Christ sur ses rétroviseurs et une aile bien amochée. Jules, meilleur ami de Louis et amie très proche de Victoire, nous a rejoints ainsi qu’un couple de paroissiens, jeunes retraités, qui va participer à l’encadrement du campement. Paul transporte autant de matériel qu’un DJ. Espérons que le temps ne sera pas trop maussade car camper sous la pluie, ce n’est pas toujours amusant. En rentrant à la maison, j’ai vu un renard qui avait été percuté par une voiture. Je me suis garée sur le bas-côté et suis allée le chercher pour le mettre sous un arbre. Je ne voulais pas qu’il soit écrasé. Son corps était chaud et son poil si doux. J’ai pensé à notre tante et à notre oncle qui, tous les jours, dans le massif de l’Estérel, ont la visite d’une maman renard et de ses trois renardeaux.

Hier, tandis que Céleste est partie rejoindre des amis, que Louis écoute de la musique, que Victoire avec Jules et d’autres lycéens doit animer la première veillée du pèlerinage VTT, Stéph et moi nous installons devant France 5 pour suivre le troisième volet » Aux manettes » que le journaliste de « gauche » Laurent Cibien a tourné sur Edouard Philippe, son pote de « droite ». J’ai beau être rodée aux choses de l’Etat, le documentaire me semble interminable. Si on sent qu’Edouard Philippe a à coeur de « faire le job » et d’impulser la politique de changement désirée par Emmanuel Macron, on ne perçoit pas de vision, d’amour vrai et profond pour la France et ses habitants. Sur certains sujets, Edouard Philippe a une pensée très jésuite. Les bains de foule servent surtout à mesurer sa popularité.

S’agissant de l’écologie, c’est la douche froide! Un matin, seule dans la cuisine, j’ai entendu sur les ondes de France Inter, Nicolas Hulot annonçant sa démission du Gouvernement. On sentait toute la déception dans sa voix chargée d’émotion. L’écologie n’est pas une priorité…Le sera-t-elle jamais? C’est terrible! On vous objectera qu’il y a toujours plus important comme enjeux pour l’Etat que de réduire les émissions de CO2, de combattre le plastique à usage unique, de privilégier le circuit court dans une alimentation de qualité. Dans un registre ultra léger, je souris de constater que sur les tables des bureaux de Matignon les lampes sont toujours les mêmes.

Pendant que je suivais ce documentaire, je pensais à ce que notre père avait vécu quand, en 1980, on lui avait offert de quitter momentanément son corps habituel pour rejoindre la garde rapprochée de Raymond Barre à Matignon. Déjà, le bateau prenait l’eau et la politique de très grande austérité menée par le Premier ministre ne satisfaisait pas les Français. Notre père avait dû se sentir flatté. En 1974, il avait aimé participer à la campagne électorale de Jacques Chaban-Delmas. Raymond Barre et notre père s’entendaient à merveille. Un chef de cabinet occupe une place assez particulière auprès d’un ministre et de sa famille. La fonction qu’il a occupée nous aura valu à ma soeur et à moi de voyager dans la DS des Barre et de prendre un avion avec eux. Ma soeur était en face du Premier ministre et moi j’étais assise en face de sa femme. Dans le couloir, notre père se tordait le cou derrière les pages largement dépliées du Monde pour s’assurer que ses deux filles se tenaient correctement!

Pour que nous ne soyons pas obligés de quitter la Sarthe en catastrophe et parce que le seul appartement de fonction qu’on avait offert à notre père se situait dans une tour du 13ème que notre mère trouvait épouvantable, nous nous étions installées notre mère, ma soeur et moi à « Chêne de coeur », dans le village de Saint-Pavace. Notre mère renouait avec des souvenirs de son enfance dans la propriété de parents de son père et devait aussi s’imaginer quelque part dans le film de Jean-Paul Rappeneau « La vie de château ». D’ailleurs, l’une des propriétaires, anglaise de naissance, avait, pendant la guerre, caché des parachutistes anglais. Notre père revenait le week-end et, clairement, auprès de nous il s’ennuyait vite. Les récitations de poésie dans l’immense salon devenaient une torture pour moi! Notre mère aimait faire venir un abbé, ami de la famille, pour qu’il célèbre la messe dans la chapelle. C’était amusant de voir sortis de grandes armoires les habits sacerdotaux. La chapelle était couverte de toile d’araignées. Notre mère s’activait pour les enlever.

Un certain dimanche de mai, alors que je dansais avec les chaussons à pointe et dans le tutu rose que notre grand-mère m’avait offerts, le téléphone avait sonné. Notre mère était partie se promener avec des amis. C’était notre père. D’une voix blanche, il m’avait soufflé: « Tu diras à maman que c’est foutu ». Il n’était pas encore quinze heures. J’apprenais ce jour-là que les résultats d’une élection tombent très tôt. Après plusieurs mois de placard et d’humeur massacrante, notre père qui ne vivait que pour son métier regagnait son corps d’origine mais pas du tout comme cela aurait dû se passer. Je conserve toujours dans un tiroir du bureau de notre grand-père cette longue lettre que j’avais écrite à Raymond Barre quand j’étais étudiante en droit pour lui demander pourquoi il n’avait pas, contrairement à tous ses prédécesseurs, pris le soin, avant son départ, de mettre à l’abri celles et ceux qui s’étaient « mouillés » pour lui.

Ce matin, une de mes patientes m’a annoncé la mort de son mari qui était aussi venu me consulter. Il est parti après cinq semaines de coma à l’hôpital Paul Brousse à Paris. P avait fait plusieurs encéphalopathie hépatique. Les encéphalopathies se succédant de plus en plus vite, il devait recevoir une greffe de foie. Je l’avais aidé à s’y préparer. P était un homme incroyable doté d’une volonté de fer et d’une force physique peu ordinaire. Il aimait relever des défis et il était prêt à traverser cette nouvelle épreuve. Les médecins étaient impressionnés par sa capacité de récupération après chaque coma. P aimait la vie. P aimait sa femme et leur fille. Il ne voulait pas partir. M et lui avaient encore tant de choses à accomplir. P avait peur de la mort, une peur panique. La faute à une personne qui l’avait fait remonter dans des vies passées. Il s’était vu brûler sur un bucher et avait compris pourquoi, bien que cuisinier, il redoutait la chaleur et les flammes. Il était effrayé à l’idée de revivre cette expérience traumatisante en mourant. Plongé dans le coma, je devine qu’il a lutté de toutes ses forces pour ne pas partir. Maintenant, il est en paix.

Depuis deux ou trois ans, Stéphane avions cette chance immense de pouvoir nous retrouver tous les deux en juillet et reprendre des forces même si nous continuions à travailler. Cette fois-ci, ce ne sera pas le cas. Stéphane va accompagner nos enfants et un ami de Louis dans l’Ain dimanche et reviendra avec eux le dimanche suivant. J’ai offert aux enfants de les emmener quelques jours à Paris et ils sont enchantés. Cela fait une éternité que nous n’avons pas été à Paris ensemble. Au programme, j’ai inscrit la rétrospective des toiles du peintre danois Peder Severin Kroyer au musée Marmottan, des photographies de Henri Cartier-Bresson à la BNF avec découverte des fresques sur les façades des immeubles dans le 13ème arrondissement, une visite à la Samaritaine et, aussi, l’exposition sur Napoléon à la Villette. Céleste a envie d’aller au musée de l’illusion.

Demain matin, les élèves de terminale auront les résultats du bac. Romane vient chercher Céleste à la maison. Toutes deux vont récupérer Tays à la gare et, ensuite, elles iront au lycée découvrir leurs résultats. Je vais acheter une bouteille de champagne et la mettre au frais. Le soir, on fera un apéritif et, vendredi, une fois que Victoire sera rentrée de son pèlerinage VTT, on ira au restaurant. Un chapitre se referme. Un nouveau va s’ouvrir. Je souhaite à Céleste et à tous les bacheliers qui vont commencer leur vie de jeunes adultes de trouver la voie dans laquelle ils pourront exprimer ce qu’il y a de meilleur en eux.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

2 commentaires sur “Chronique d’un début juillet maussade

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