Chronique à la veille de l’automne

 

hirondelles.jpgA la veille du premier jour de l’automne, le grand bout de ciel qui surplombe le plateau ouvert aux quatre vents passe du soleil à la pluie comme celle qui écrit passe si vite du rire aux larmes. Les doigts d’enfant de notre fils trouvent encore quelques framboises dans le jardin. Les mûres ne sont plus qu’un souvenir, délicieux. Dans un buffet de l’entrée, dans la bonne et vieille maison de famille gardoise, des pots de confiture d’abricots, de reines-claudes et de mirabelles dorment sagement, futurs rayons de soleil sur la table des petits déjeuners sans lumière. Je ne me rappelle pas avoir vu des hirondelles rassemblées sur les fils en de grands conciliabules. Elles sont parties sous d’autres latitudes sans que je m’en aperçoive. En bas, un volet que j’ai oublié d’accrocher bat à intervalles réguliers. Dans mon bureau-cabinet, les patients ont retrouvé le plaisir de se sentir au chaud, à l’abri du sac de couchage grand froid qui m’a accompagnée pendant notre tour du monde. Le temps de la première flambée se rapproche. Il faudrait que je songe à rentrer des bûches. La nuit, Fantôme, notre berger australien, a renoué avec  le confort du canapé. Dans une panière, des vêtements d’été lavés, séchés au grand air et repassés attendent de regagner une des cantines remisées dans un garage au fond du jardin. Il ne manque plus que les sachets d’antimites.

 

joan-baez-sixties.jpgA la veille de l’automne, le pli est pris pour cette nouvelle année scolaire. Encore la fiche d’inscription à la danse classique de Victoire à remettre demain aux bénévoles de l’association et tout sera fait : la natation synchronisée et la gymnastique de l’association sportive pour Céleste, le judo et le foot pour Louis. Céleste qui fait partie de la chorale de son collège rechigne à continuer ses cours de guitare. Sans vouloir l’y forcer, j’essaie de lui faire entendre raison. Elle n’a que douze ans mais, déjà, mon esprit l’imagine jeune étudiante partant marcher avec des amis et, le soir venu, les tentes montées, animant des veillées de sa jolie voix claire portée par des accords de guitare.

 

pataugas_bristol_rose.jpgA la veille du premier jour de l’automne, les peaux palissent. Les marques des maillots s’estompent. Je porte un jean que ma sœur m’avait rapporté de New-York et des baskets qu’elle m’avait offertes pour un de mes anniversaires. Nous les avions choisies ensemble dans une boutique de la rue Saint-Honoré. Le jean et les Pataugas sont clairement arrivés en fin de course mais j’y suis attachée. Je n’aime pas les choses neuves, trop raides, trop nettes. Je ne suis pas maquillée. Bientôt, il faudra jeter un peu de terracotta sur le visage pour retrouver de l’éclat.

 

noix.jpgA la veille du premier jour de l’automne, on ne trouve déjà plus de noix au pied du grand noyer. Une nouvelle famille s’est installée dans la petite maison, non loin de chez nous. Les nouveaux propriétaires ont deux enfants. L’aîné semble aller à l’école maternelle. Le second est encore tout petit. Nous avons passé de merveilleux moments dans cette maison avec le couple qui y habitait et leur fille qui est dans la classe de Louis. A cette maison perdue au milieu des champs sont associés des souvenirs de truites cuites au barbecue, de gâteaux aux noix, de chocolat chaud, de narguilé et, pour toujours, imprimée en moi cette image d’une maman à la silhouette juvénile, aux cheveux courts faisant de la balançoire au soleil à l’heure du déjeuner. La maman de la petite camarade de Louis partie ailleurs, plus loin,  poursuivre sa vie en se libérant de son passé.

 

IMG-20150821-WA000.jpgA la veille de l’automne, j’ai demandé à un de mes patients de se rappeler un moment de plénitude, d’harmonie. Les yeux fermés, la respiration calme, il a évoqué des marches dans les Cévennes et des instants vécus dans la crypte lors d’une retraite au monastère de Saint Benoît. Tandis qu’il plongeait, corps et âme, dans ses souvenirs cévenols, je me suis rappelé les miens, notre séjour de cet été avec un couple d’amis et leurs deux enfants : la maison en pierres dans un hameau, les carafes d’eau à remplir à la source, les scorpions courant sur les poutres à l’étage où les enfants dormaient, des promenades entre forêts de châtaigniers et ruisseaux chantants, les nuits sous la tente, l’époustouflant cirque de Navacelles, frontière calcaire entre les Cévennes et les grands Causses, l’observation des étoiles filantes étendus sur les matelas dans un champ où reposaient les ânes d’un groupe de quarante marcheurs belges ayant durablement revisité tout le répertoire de Michel Sardou et un bout de marche nocturne, où, seul adulte, les cinq enfants s’étaient agrippés à moi alors que nous longions le cimetière partiellement à l’abandon ! Le souvenir de mon patient est moins peuplé. Il marche seul à découvert des sous-bois et s’abandonne à la contemplation de la vue sur le mont Aigoual.

 

IMG_2166.jpegA la veille de l’automne, les arbres sont toujours verts et le sol des forêts trop humide pour que les champignons poussent leur chapeau vers la lumière.  A Gien, samedi, dans le cadre des journées du patrimoine, nous pensions voir l’intérieur de l’église et visiter le château. La célébration de la messe de saint Hubert prévue à 18h30 empêchait les visiteurs de rentrer. A l’intérieur, des bénévoles s’activaient à décorer l’église. Je me suis demandée s’ils accrochaient des trophées de chasse en lieu et place des tableaux religieux. Le château, en pleine restauration, lui aussi, était fermé au public. Le dimanche, nous sommes allées assister à un concert en plein air de musique de chasse à courre. Six musiciens de trompes de chasse nous ont donné à entendre différents morceaux venant rythmer une chasse à courre : le point du jour, le débuché, la retraite manquée, la culbute en forêt. Si j’ai la chasse en horreur, j’aime le son des trompes de chasse et le clairon militaire de la sonnerie aux morts m’émeut à chaque fois. Les trompes de chasse ont cédé leur place à un groupe rattaché au musée de Cluny et interprétant des morceaux du Moyen-âge. Tandis que Louis s’était fait un ami, que Céleste était étendue dans un hamac, que ma belle-mère et mon mari étaient assis sur des souches, Victoire qui avait froid s’était installée sur mes genoux. Je me rappelais avoir étudié en quatrième la musique médiévale avec un professeur que je détestais : une femme autoritaire à laquelle je réussis à cacher que j’étais incapable de déchiffrer une partition.

 

IMG_20150919_172700.jpgA la veille de l’automne, ce matin, Fantôme et moi, avons pris le temps d’observer un groupe de onze chevreuils ou biches se nourrissant dans des champs cultivés interdits à la chasse. Depuis deux ans, j’ai très envie d’aller en forêt pour observer des cerfs et les entendre bramer. Quand nous habitions dans la Sarthe, notre mère, avec des amis, a eu l’occasion d’entendre le brame. Je ne sais pas si elle a vu les cerfs mais elle garde de ce moment un souvenir très fort renforcé, sans doute, par la température négative et la pleine lune.

 

L-Automne-de-la-Renaissance-d-Arcimboldo-a-Caravage.jpgA la veille de l’automne, la maison s’est beaucoup refroidie. Nous avons tous le nez qui coule. C’est l’anniversaire de ma sœur demain. Mon paquet est arrivé aujourd’hui à Miami. Elle m’a écrit qu’elle ne l’ouvrait pas. Elle le garde pour son anniversaire, pour le premier jour de l’automne. Elle et moi sommes des enfants de l’automne, des enfants des jours qui se font plus courts, des feuilles fauves, des paniers de champignons, des premiers feux de cheminée, des grandes marées sur les plages sans fin du Finistère, de la nature qui jette ses dernières forces dans la bataille avant de s’endormir dans les bras de l’hiver. Ma sœur et mon mari en sont le premier mouvement. Notre Louis en est le troisième. Margot, notre nièce, et moi jouons le deuxième.

Iphone 040.jpgA la Toussaint, depuis l’île-Tudy, au point du jour, tandis que le soleil commence juste à allumer les nuages, le ciel et l’océan, que les bateaux rentrent au port, je me rappelerai ce que nous disait notre père : « si vous naviguez droit devant vous, vous arriverez aux Antilles ». Un océan n’est rien pour deux sœurs qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour. Un très joyeux anniversaire  et une douce entrée dans l’automne !

 

 

 

Iphone 049.jpgAnne-Lorraine Guillou-Brunner