Chronique anti-connasse

 

Olympe.jpgTandis que le Népal continue de sortir son peuple des décombres, que les passeurs exposent les migrants à une traversée inhumaine, que la grande muette vient d’avouer qu’elle enquêtait depuis un an sur des abus sexuels commis par ses hommes en Centrafrique sur des enfants moyennant argent et nourriture, qu’on célébrait hier l’anniversaire de l’accès des femmes françaises au droit de vote, Camille Cottin envahit notre espace avec sa « connasse, princesse des coeurs ». Que les choses soient claires, je n’ai rien contre Camille Cottin. Il m’est arrivé de la voir jouer aux côtés de ma sœur et de la croiser dans quelques bistros parisiens. Je sais trop que le monde des comédiens est dur pour qu’on ne saisisse pas la balle au vol, mais de là à accepter de prêter ses beaux yeux clairs et son talent à une connasse, je m’interroge.

 

George Sand.jpgAprès l’immense succès de librairie rencontré par « la femme parfaite est une connasse » à l’été 2013, Canal + chaîne hautement formatée qui entend vous dire ce que vous devez lire, voir, écouter et penser pour être tendance, et que je me suis mise à prendre en horreur en quittant Paris, a surfé sur la vague et fait de Camille sa « connasse ». On ne devrait jamais écrire sur ce qu’on n’a pas vu mais, je vous dois cette vérité, je n’ai jamais suivi le moindre épisode de la « connasse ». Ce seul mot de « connasse » me hérisse tant il est chargé de vulgarité. Tous les noms en « asse » me font le même effet : « radasse », « pouffiasse », « pétasse ». Je n’aime pas plus « lavasse » et « mélasse ». J’entends encore dans mon oreille retentir le mot « pouffiasse » prononcé par Guy Bedos dans un de ses sketchs. Il y campait une sorte de macho dragueur.

 

Camille Claudel.jpgCamille Cottin devenue la connasse la plus adulée de l’hexagone, il ne restait plus qu’à la faire glisser du petit au grand écran. C’est chose faite ! Là encore, il ne me sera pas possible de m’asseoir dans une salle obscure pour suivre les aventures de la connasse, de surcroît, princesse des coeurs. « Manquerait plus qu’elle morde » pourrait grincer Mado la Niçoise.

 

Romy Schneider.jpgJe le redis : je n’ai rien contre Camille Cottin. Je me rappelle l’avoir vue jouer, en Avignon, avec ma sœur et d’autres camarades formés à même école d’art dramatique à Paris, celle de Jean Périmony. La pièce s’intitulait « Family boutique ». C’était drôle et léger. Je n’ai rien contre Camille mais, en revanche, j’en ai beaucoup après la mère spirituelle de « la femme parfaite est une connasse », Anne-Sophie Girard. Elle a eu tant de succès avec son premier opus qu’elle en a commis un second. J’en ai après Canal+ qui a donné une image à la connasse. J’en ai après Eloïse Lang et Noémie Saglio qui en ont fait un film. J’en ai après cette société qui ne semble pas comprendre combien il est humiliant pour les femmes de banaliser le terme de connasse et pire d’en faire l’épithète de choix d’une femme parfaite ! Je ne comprends pas ! Cela me dépasse !  Comment des femmes ont-elles pu lire le livre, rire des sketchs et comment peuvent-elles ne pas voir combien elles se font du mal ? Au-travers de « la connasse », ce sont toutes les femmes qui sont humiliées. J’ai trop de respect pour mes aînées, pour toutes ces femmes merveilleuses, courageuses, militantes pour tolérer que dans l’esprit d’une partie des Français les femmes parfaites soient des connasses. Non seulement l’image des femmes est salie mais en plus on banalise la vulgarité. On ne se rend même plus compte que le mot « connasse » est très violent.

 

Simone Veil.jpgMontherlant et Guitry étaient d’abominables misogynes mais ils n’étaient pas vulgaires. Notre société devient vulgaire et les femmes qui rient de « la connasse » ne mesurent pas qu’elles régressent et se dévalorisent dans le regard des hommes. Les droits que les femmes se sont vues reconnaître en France sont encore récents. Ils sont fragiles. Il a fallu attendre 1907 pour que la femme mariée puisse percevoir un salaire, 1938 pour que la réforme du Code civil supprime l’incapacité de la femme mariée, 1965 pour que le mari ne soit plus désigné comme le « chef de famille », que la femme puisse exercer un métier et ouvrir seule un compte bancaire, 1972 pour que soit adopté (sur le papier) le principe « à métier égal, un salaire égal », 1980 pour que le viol reçoive en droit pénal la qualification de crime. Ce ne sont là que quelques exemples sur la longue route de la vraie liberté des femmes, une liberté que tant d’autres, ailleurs, nous envient et espèrent un jour pour elles, leurs filles et leurs petites-filles. Quand on laisse se répandre sur les étals des librairies, sur les écrans des chaînes de télévision et sur les façades des cinémas l’idée que la femme est une connasse, on a vraiment du souci à se faire s’agissant de la manière dont les jeunes générations vont réussir à bien vivre ensemble, à élever leurs enfants, à se respecter mutuellement.

 

Brigitte Bardot et Annie Girardot.jpgJ’ai vraiment la vulgarité en horreur. Je laisse le mot de la fin à Paul Valéry, mot que j’ai souvent entendu repris dans la bouche de notre père : « il y a trois sortes de femmes : les emmerdeuses, les emmerdantes et les emmerderesses ». Plus élégant, quand même ! Une autre époque !

 

 

 

Emma.jpgAnne-Lorraine Guillou-Brunner, une emmerderesse !

 

5 commentaires sur “Chronique anti-connasse

  1. Bon, moi j’ai fait mon choix: face aux connasses, j’ai opté pour l’emmerderesse, sans regrets.

  2. Il est des noms comme celui de Bedos qui m’agressent ..il salit , mèchament ..
    Ce persifleur pédant et vulgaire provoque en moi un Haut le cœur.. Sa grossièreté en général aussi…
    Ce qui n’est pas le cas de Mado la niçoise…son accent chantant décrit le Vieux Nice populaire et fait oublier parfois les situations cocasses ..
    Une « enfant  » du MIDI
    Je ne connais pas Camile Cottin…
    Vous avez choisi pour illustrer vos réflexions
    des visages féminins si beaux qu’on ressent leur âme même quand je temps les (nous ) a abîmées ..
    Romy, Simone , Brigitte, Annie et George …!

  3. Chère Anne,
    je vous remercie d’avoir si volontiers glissé du mur de François aux pages de ce blog. Encore aujourd’hui, je ne sais pas très bien quoi penser de Guy Bedos mais ce que je ressens, c’est une hypersensibilité, une tristesse, une immense colère transformées avec le temps en vinaigre. Un vinaigre de vin qui, à nouveau, semble tourner au balsamique. Il m’arrive de le croiser marchant seul le long d’une plage en Haute-Corse. Mado la Niçoise est un personnage très, très attachant! Les femmes qui illustrent le billet sont, pour moi, éternelles comme le sont tous les êtres qui nous sont chers et que le temps abime sans que les yeux du coeur acceptent de le voir.

  4. Merci à vous pour l’écriture de cet article !
    Quand j’ai vu l’affiche, c’est comme si j’avais reçu une gifle. Et puis je me suis dit « qu’est-ce qui te prend ». Mais non, ça n’a rien à voir.
    C’est ne pas accepter ce terme réducteur et humiliant qu’employait mon ex-mari et qui m’est revenu en boomerang.
    C’est de la violence dont il faudrait rigoler avec un sourire Canal +
    He bien non ! Et merci de l’écrire, votre article me fait beaucoup de bien.

  5. Chère Olivia,
    comme Anne, vous avez eu la gentillesse de passer du mur de François aux pages du blog. Si la lecture de cet article vous a fait beaucoup de bien, alors je suis heureuse. Comme vous, j’ai été choquée par l’utilisation devenue si banale de ce terme odieux de « connasse » pour parler d’une femme. Ce terme est très violent, vraiment violent et je suis étonnée que son utilisation soit si facilement acceptée, banalisée. J’en veux beaucoup à Canal + et je ne comprends pas le pouvoir de lobotomisation que cette chaîne semble avoir sur les esprits de ceux qui en sont adeptes. Cette chaîne a su faire souffler un vent nouveau. Elle était décapante mais dans le bon sens du terme. C’est fini! Elle est devenue péremptoire, dictatoriale et narcissique.

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