Ici, comme tous les ans, à la même époque, les températures dégringolent pour remonter dans la journée. Les nuits sont noires et piquées d’étoiles. A partir trop légèrement vêtus, les enfants ont tous le nez qui coule. Des mouchoirs chiffonnées décorent les abords du lit de Victoire. Céleste, elle, les laisse derrière elle comme le Petit Poucet ses cailloux ou ses morceaux de pain. Louis, lui, ne se mouche jamais. Il renifle comme mon père et mon oncle. Un truc de Breton?
Dans toutes les familles, on a retrouvé ses marques. Les formulaires ont été remplis, les papiers des assurances transmis, les livres pour le français et l’histoire commandés. Les dernières fournitures scolaires sont achetées. Les tenues de sport sont renouvelées. Il ne reste plus qu’à caler les activités sportives et artistiques. Céleste ne veut toujours rien faire si ce n’est se promener avec Fantôme ou faire du vélo avec ses parents. Victoire continue la gym avec son amie Léonie. Après avoir pratiqué dans la longue durée le judo, fait une incursion d’une année en ovalie, détesté la pratique de la natation où il a passé plus de temps sur un banc que dans le bassin, Louis va s’essayer au tennis. Il a déjà une raquette offerte par sa tante paternelle à Noël dernier. Louis est plus calme. Gageons que cela continue et que sur un terrain il ne se transforme pas en un John Mcenroe!
Tandis que j’écris, Charlotte et Christophe vont et viennent sur la toiture qui, début juillet, a été couverte d’une bâche verte pour éviter que la pluie ne s’immisce entre les tuiles. Cette bâche verte a plongé le cabinet dans une pénombre propice à la confidence et à la détente. Par jour de grand vent soufflant sur le plateau, la bâche claquait comme la grand-voile d’un bateau pris dans les tourments des quarantièmes rugissants. Dans ces moments-là, le surnom d’Ar-Men que j’ai donné au cabinet prenait sa pleine dimension. Charlotte et Christophe seront contraints de s’adapter à mon emploi du temps. Quand je serai en séance, ils en profiteront pour changer les fenêtres des chambres du bas de la maison. Notre cohabitation va durer quinze jours. Je prie pour que de l’eau ne se soit pas infiltrée entre les tuiles disjointes et que l’isolation ne soit pas à changer.
Depuis une semaine, j’ai repris mes bonnes habitudes: première et dernière sur le pont. Pas facile quand l’alarme de mon portable sonne à 5h30. Le soleil n’est plus là pour prendre mon cerveau par la main et l’aider à entraîner mon corps. Je caresse Fantôme, fais entrer les chroniqueurs de la matinale de France Inter dans la cuisine-salle à manger-salon, mets la bouilloire en route, vide le lave-vaisselle, prépare le thé de notre aînée, vais m’habiller dans la salle de bains, me coiffe, dépose du mascara sur mes cils, réveille Céleste, vais prendre mon petit-déjeuner, donne un peu de beurre frais à Fantôme, réapprovisionne les mangeoires des oiseaux avec des graines dites graines pour « oiseaux du ciel », m’assure que Victoire a allumé sa lumière, vais réveiller Louis et pars déposer Céleste dans le coeur du village, en face de l’ancienne gare.
Tous les matins, Céleste et moi admirons quelques instants une maman chevreuil et son petit dont les silhouettes se détachent sur un ciel souvent rose. Mon coeur se serre en songeant que samedi les chasseurs vont envahir les bois, les forêts et les champs. Ce petit perdra-t-il sa mère? Les animaux ont tant souffert de la canicule que la chasse devrait être interdite ou repoussée pour les espèces qui n’ont pas besoin d’être régulées. Sur la place, nous retrouvons Pauline, l’une de mes trois filleules. Sa maman la dépose avant de prendre le train de 7h19 pour Paris. Véronique, la maman de Pauline, aurait pu faire une carrière de pilote de F1 tant elle conduit vite et n’est pas loin, parfois, de faire descendre Pauline sans arrêter sa voiture. Ma soeur et moi avons connu ça avec notre mère. Pendant quinze bonnes minutes, avec les filles, nous échangeons autour du week-end passé, des cours de la journée, des féminicides, des mesures à prendre pour sauver la planète, de la cheville de Pauline qui demeure à la fois fragile et douloureuse, des frères et soeurs. J’aime ces moments partagés dans la voiture.
Avec les filles, nous voyons arriver les autres lycéens. Le lundi, les pensionnaires traînent derrière eux de grosses valises qu’ils vont glisser dans la soute. Il n’y a qu’un seul jeune qui fume. Avant les vacances, il était passé à la cigarette électronique. Il est revenu aux cigarettes roulées. Certains jeunes sont désormais partis mener leurs études à Paris, Tours, Orléans, Blois ou encore plus loin, Toulouse, Nantes ou Marseille. Une petite jeune fille m’amuse particulièrement tant son allure me rappelle Victoire, notre deuxième fille. Elle est toujours tirée à quatre épingles. Je suis presque sûre qu’elle se lisse les cheveux qu’elle porte en carré et qu’elle ne prend pas de petit-déjeuner. Ses tenues vestimentaires sont très réfléchies. Jeudi dernier alors qu’il faisait six degrés au point du jour, elle portait une jupe courte sur des jambes nues. Elle avait froid, très froid et tentait de tirer sur les manches de son blouson en cuir pour y cacher ses mains. Cette élève en classe de terminale relit souvent ses notes avant les évaluations. Sous l’auvent où les lycéens se massent comme les hirondelles sur les fils, elle est à la seule à le faire.
Hier, dimanche, Louis et Victoire étant invités tous deux à un anniversaire surprise dans un village assez éloigné, Stéphane et moi en avons profité pour aller nous promener dans l’Yonne. Nous avons flâné dans Charny dont l’ambiance est si chaleureuse le jour du marché. A la terrasse ensoleillée d’un café, mes yeux ont rencontré ceux d’un astrophysicien engagé activement dans la défense de la biodiversité né au Canada et vivant dans la région: Hubert Reeves. Il m’a souri et je lui ai rendu son sourire. La haute stature mise à part, Hubert Reeves ressemble beaucoup à ce vieux monsieur délicieux chez lequel nous avions séjourné sur l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande: J-D Macfarlane.
Comme nous avions aimé ce temps passé dans cette famille! Le soir, J-D, toujours flanqué d’un chien scottish, nous invitait à siroter un verre de sherry dans son salon. Le bow-window ouvrait sur un jardin dans lequel les fleurs n’étaient jamais cueillies pour en faire des bouquets. Un feu réconfortant crépitait dans la cheminée. J-D écoutait les émissions d’histoire de la BBC. Ses ancêtres avaient quitté l’Ecosse en 1872 et s’étaient établis sur l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande où ils avaient construit leur ferme. Les nombreuses dépendances de la ferme servaient de points de chute à des randonneurs ou de lieux de vacances à des familles. J-D est mort mais son fils, Mike et sa femme australienne, Linda, partagent leur vie entre Staging Post et Christchurch. J’aimerais vraiment faire découvrir ce lieu aux enfants et entreprendre avec eux la marche de trois jours reliant trois fermes dont celle d’Hawkswood.
Depuis de longs mois, pour son travail, Stéphane avait besoin d’entrer en contact avec Hubert Reeves. Je lui glisse qu’il est assis à la terrasse du café. Il va le voir. Il se présente à lui et conviennent de se rencontrer bientôt. Si Paul Eluard avait été là, il nous aurait dit qu’il n’y a pas de hasard, que des rendez-vous. Il fait un peu frais pour un pique-nique. Nous poussons la porte d’un restaurant qui jouit d’une excellente réputation. Mon mari aura 50 ans le 24 septembre. Nous sommes tous les deux. Je l’invite à déjeuner. Une petite table donnant sur le jardin et proche de la cheminée nous attend. Nous déjeunons entre deux vieilles dames charmantes et une tablée de trente personnes célébrant les trente ans d’une des leurs.
Cela fait du bien de façon parfaitement impromptue de casser la routine. C’est ainsi que les couples reprennent leur souffle. Après ce délicieux déjeuner, nous allons nous garer près du monument aux morts de La ferté-Loupière. Avec le trio, nous étions venus admirer l’incroyable danse macabre de l’église dont l’intérieur évoque une église hispanique. Nous suivons un GR qui serpente entre des champs desséchés et un bout de forêt. La lumière de la fin de l’été est d’une grande douceur. Les nuages jettent de longues ombres sur les prés. Des vaches ruminent sous des pommiers. La boucle nous ramène à La Ferté-Loupière. Nous retournons dans l’église et nous y asseyions pour profiter du calme qui y règne. Nous allons visiter le prieuré où des artistes exposent leurs oeuvres et son jardin absolument magnifique malgré la canicule.
Quand nous rejoignons la maison après ce dimanche si agréable, Céleste nous attend avec un cake au citron. La journée s’achève entre la leçon d’allemand de Louis, le dessin de Céleste, le français et l’histoire de Victoire. Mes yeux se ferment après que j’ai refermé un livre qui me plait beaucoup et que je partage avec vous. « La libraire de la place aux herbes » d’Eric de Kermel. Ce roman extrêmement positif raconte l’histoire d’une femme, professeur de français au lycée Montaigne, qui décide de quitter Paris et son métier pour devenir libraire à Uzès, dans le Gard. Le roman est construit autour des lecteurs qui poussent la porte du magasin et avec lesquels la libraire entretient une relation privilégiée. Ce livre permet de retrouver des livres qu’on a déjà lus ou d’en découvrir de nouveaux. A la lecture de ce roman préfacé par Erik Orsenna, j’ai appris que la ville d’Uzès chère à mon coeur avait été classée par le « Guardian » à la deuxième position des quarante lieux à voir dans le monde. Bien sûr, je préfère, et de très loin, le marché de Pont-Saint-Esprit, ville qui compte aussi un libraire tout à fait unique.
Charlotte et Christophe font tant de bruit sur mon bout de toit qu’il me semble que des hippopotames s’y déplacent!
Dimanche, notre Céleste aura seize ans! C’est la première fois qu’elle ne me demande pas de réunir des amies. Sa mamie arrive vendredi soir. Nous serons en tout petit comité pour la voir souffler ses bougies plantées sur la tarte aux framboises sans coulis mais avec crème dont elle m’a passée commande. Le week-end suivant, nous aurons peut-être sa tante maternelle et ses cousins. Alors nous fêterions à nouveau les seize ans de Céleste et les anniversaires de ma soeur et de mon mari. En septembre, notre famille ne compte pas moins de cinq anniversaires!
Passez une agréable semaine!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
J’ai eu la chance de rencontrer Hubert Reeves à Charny une fois aussi. Cet homme est d’une gentillesse, d’une douceur et d’une humilité incroyable. Peut de personnes peuvent se vanter d’avoir ne serait ce que la moitié de la carrière de cet homme et malgré tout il parle avec une simplicité déconcertante.
Vous avez eu beaucoup de chance de le rencontrer et oui, je pense aussi que le hasard fait bien les choses parfois…
Nous nous sommes seulement souri. J’ai laissé Stéphane aller le voir et se présenter à lui. Je serais heureuse de découvrir son petit paradis à Malicorne. Merci pour votre message. A très bientôt
Quels délices ces chroniques, merci chère amie de les partager. Vous me manquez tant, vos rires, nos discussions, votre présence tout simplement. 😌