Chronique autour de l’Hermione, la frégate de la liberté

 

Colas et Tabarly fleurs.jpgDimanche dernier, l’Hermione a quitté Rochefort-sur-Mer, la ville-arsenal sortie des marais infestés de moustiques par la volonté de Colbert pour complaire à Louis XIV qui voulait une Marine. Elle a remonté la Charente pour gagner l’Atlantique. Par un de ces tours de passe-passe comme seule peut nous en réserver notre imagination, j’ai cru voir Pierre Loti et Eric Tabarly, Agnès Varda et Jacques Demy, Françoise Dorléac et Catherine Deneuve à son bord au milieu des hommes d’équipage. Michel Legrand était là également de même que tous les grands navigateurs : Colas, Kersauson, Petitpas, Poupon, Lamasou, Desjoyeaux et Le Cam. Tous ceux qui ont appris la mer sur un Pen Duick, une mésange noire, aux côtés du Capitaine. Tabarly regardait fixement Colas, trop heureux de le revoir après sa disparition en 1978, au large des Açores lors de la première course du Rhum, mais trop granitique et trop taiseux aussi pour le lui dire. Car, chez les marins, c’est comme dans une chanson de Brel : « on ne parle pas ».  

 

 

 

Gilbert_du_Motier_Marquis_de_Lafayette.PNGIls s’étaient tous donnés rendez-vous et, à la barre, La Fayette se tenait droit, sanglé dans son uniforme, scrutant la ligne d’horizon. On attendrait le vrai départ pour l’Amérique, le temps de la traversée, après les essais dans la rade au sud de l’île d’Aix, avec 78 marins à bord, pour lui expliquer qu’à l’arrivée à Boston il ne serait pas accueilli par des insurgés américains bataillant contre ces Anglais que l’Hermione retrouverait plus tard dans le golfe de Bengale, mais un peuple américain mené par un homme noir. Tout à l’heure, c’est sûr, quand on aurait quitté le port de commerce de Rochefort, on ouvrirait une grosse boîte de pâté Hénaff ; on déboucherait une bonne bouteille de Bordeaux et on partagerait un encas. Une scène de Cène atlantique !

 

 

 

Personnalité_Pierre_LOTI_copie.jpgLoti, vieilli, a revêtu son uniforme d’officier de la Marine. Il n’y avait pas touché depuis une dernière mission en Egypte, depuis que le rideau de la retraite était tombé sur quarante-deux années de service actif à bord de vingt-neuf bâtiments différents. Loti était de mauvaise humeur. Sa maison est en travaux. Elle est fermée depuis le 1er octobre 2012. On a trouvé dans les boiseries de vilaines petites bêtes qui menacent l’édifice et les collections. Loti a eu du mal à remettre la main sur son uniforme. Il l’a finalement exhumé d’une vieille malle couverte de poussière. Les jumelles, Solange et Delphine, étaient toujours aussi belles dans leurs robes minimalistes offrant à voir des jambes parfaites de danseuses classiques. Danielle Darrieux était entourée de Gene Kelly et de Michel Piccoli. Ils étaient accoudés au bastingage. Danielle Darrieux portait une robe en mousseline bleu ciel et une large capeline du même ton.

 

 

 

crabe-tambour-1977_galleryphoto_paysage_std.jpgJacques Perrin était là, aussi. Il contemplait les voiles et pensait avec émotion à ces dix-sept années écoulées pour reconstruire à l’identique l’Hermione, la frégate de la liberté partie de France le 21 mars 1780 . Peut-être, aussi, pensait-il à ses vieux complices du « crabe-tambour », Rochefort, Riche et Dufilho. Erik Orsenna, Président de la fondation Hermione, était heureux d’assister au premier départ de la frégate. Pour tous ceux qui ont œuvré sans relâche depuis 17 ans pour que le projet aboutisse, le moment où l’Hermione a quitté son nid, la double forme de radoub datant du 18ième siècle, a du être très émouvant ! Eric Tabarly ne le questionnera pas mais il se demandait pourquoi il a été baptisé Erik avec un K et non un C, comme tout le monde !

 

 

 

grade marine.jpegParmi les officiels, les élus, les curieux, les habitants, les touristes, un homme, une silhouette, un fantôme comme Colas, Tabarly, Dorléac, Demy, Dufhilo et Loti. Ce fantôme qui, pour rien au monde n’aurait voulu passer à côté d’un tel évènement, c’est mon père. En 1982, il quitte l’humidité d’un placard sarthois pour un poste de Commissaire de la République à Rochefort. Il devrait déjà avoir sa casquette de préfet. Tout le monde le sait ! Il est à l’amende, au pain sec et à l’eau. Il doit expier ses choix professionnels dans ce beau « bord de mer » qui, ironise sa femme, n’a plus de vue directe sur l’océan ! Ainsi vont certains corps dans la haute-administration ! Lors des grandes soirées sous les ors de la République, sa femme se penche discrètement vers son mari pour savoir si elle à affaire à un Général, un Amiral ou à un Colonel dans l’armée de l’air car, à Rochefort, les trois armes sont représentées. C’est à Rochefort que vous accueillez Fernand Braudel qui a été en captivité à Colditz avec votre grand-père et laissera de son passage une dédicace à l’encre noire sur la première page de son « identité de la France ».

 

 

 

345432_caille2-600_460x306.jpgVos parents vous ont « trainé » votre sœur et vous à la découverte de toutes les églises romanes de la région. Vous avez pris des bains de boue à Fourras à marée basse, été relever des casiers avec des ostréiculteurs au large de l’île d’Oléron, vu toutes les aiguilles des pendules du musée de l’île d’Aix arrêtées à l’heure officielle de la mort de Napoléon. Sur le chemin de sa dernière demeure, c’est sur cette petite île qu’il a séjourné. En Charente-Maritime, vous avez aimé les rangées de roses trémières, les rouleaux sur la grande plage de l’île d’Oléron, les méduses blanches grosses comme des soucoupes volantes, les visites aux Caillé, les propriétaires du zoo de la Palmyre, les films « ET » et « Flashdance ». Vous avez mis de côté le collège, les toilettes sales et dévastées, la bascule dans le monde de l’adolescence, les séances de spiritisme, votre chambre froide et triste, la mort de votre dernier chien, des portes qui se fermaient pour ne plus jamais s’ouvrir et la colère blanche de votre père après que vous ayez disparu plusieurs heures sans qu’on sache où vous étiez. Vous n’arrivez pas à oublier la méchanceté d’un professeur de musique, les regards malsains et les questions déplacées d’un enseignant de sciences naturelles, un premier baiser échangé sur le « many rivers to cross », vos jeans moulants, vos écharpes indiennes parfumées à l’encens se prenant dans vos longs cheveux claquant au vent comme les drapeaux tricolores sur les monuments aux morts les jours de commémoration, le regard doux et vert de votre premier amoureux, votre peine et votre honte d’avoir cessé de lui adresser la parole sur injonction maternelle, les 45 tours que vous achetiez chez le disquaire avec votre argent de poche, ces bonbons au miel qui furent vos mistral gagnants à vous et ce sentiment si étrange partagé par tant de jeunes adolescents : ne plus habiter son corps qu’on ne reconnaît plus, ne plus trouver sa place, être de passage, attendre sur un banc que le bon train entre en gare.

 

 

 

béatrix potter.jpgEt, bien sûr, vous n’avez jamais ni voulu ni pu oublier Diana que vos parents avaient engagé pour qu’elles veillent sur votre sœur et vous. Diana qui comprenait votre mal être, vous invitait dans sa chambre, vous faisait écouter « les parapluies de Cherbourg », le « si j’étais un homme » de Diane Tell et Mireille Mathieu qu’elle vénérait au plus haut point pour sa voix et son sens de la famille. Diana était une artiste. Elle avait ce pouvoir de donner vie à toutes sortes de créations. Elle vous faisait des déguisements : une robe de marquise pour votre sœur, un habit de Cléopâtre pour vous, des vêtements pour les Barbie, des peluches dont des oies grandeur nature avec des ombrelles et des petits chapeaux comme dans un album de Beatrix Potter. Diana vous a été arrachée par une valse préfectorale, le vent d’Autan et, très vite, par la mort injuste et froide. Elle s’est noyée dans les mois qui ont suivi un très grave accident de voiture. Un soir elle avait été percutée alors qu’elle était au volant par le véhicule d’un vieil élu auquel il aurait fallu retirer son permis de conduire depuis de longues années. Elle nous a manqué à nous tous. Elle nous manque encore. Son souvenir nous habite. Ses oies font la joie de nos enfants. Ses petits vêtements habillent toujours les Barbie de la vieille et bonne maison de Pont. Elle avait 24 ans. C’est la rivière Ardèche qui l’a prise comme la mer a emporté Alain Colas et Eric Tabarly. Elle était un an plus jeune que Françoise Dorléac.

 

 

 

Hermione neuve.jpgDepuis mercredi, la frégate de 12 portant 34 canons a commencé à naviguer à la voile au large de la Rochelle. Dans son sillage, l’Hermione entraîne des bateaux emblématiques comme la « Calypso », le « France » ou bien encore « Tara » qui, après avoir exposé ses flancs et ses hommes à la morsure de l’Arctique, continue sa mission en Méditerranée. C’est en avril 2015 que l’Hermione partira pour l’Amérique. Nul doute que Tabarly, Colas, Loti et Dufhilo seront à bord ! Quant aux demoiselles de Rochefort, placées sous le beaupré, elles auraient fait de magnifiques figures de proues pour la frégate ! Le jour du grand départ, c’est sûr, on aura un spécial Thalassa et le chœur des marins d’Iroise pour saluer les premiers miles de la traversée!

 

Video-Les-marins-dIroise-Santiano.jpgAnne-Lorraine Guillou-Brunner

Vincent.jpg PS: Je profite de ce billet fort en embruns pour vous annoncer la parution le 1er octobre du livre du journaliste, marin et galeriste, Vincent Hilaire: « Voyage autour du pôle à bord de Tara » aux Editions Hachette. Vincent a déjà plusieurs campagnes arctiques sur Tara à son carnet de bord. Il vous fera vivre son aventure extraordinaire à bord d’un bateau unique. Les photos qui illustrent le récit sont magnifiques. Alors, offrez-vous un voyage fascinant dans l’intimité d’un navire étonnant.

2 commentaires sur “Chronique autour de l’Hermione, la frégate de la liberté

Les commentaires sont fermés.