Chronique d’un dixième anniversaire et retour sur une naissance par césarienne

 

Edouard Boubat.jpgDemain, dimanche, jour officiel de l’ouverture de la chasse, leur aînée aura dix ans. Pour cette maman, les décades sont importantes et, dans sa tête, déjà, elle pense à la prochaine qui se profile à l’horizon, aux 20 ans, pour elle, plus importants que les 18 ans. Sans doute parce que, 20 ans, c’est l’âge des poètes maudits, des peintres morts sans reconnaissance. 20 ans, ce sont des chansons sublimes qui vous emportent bien au-delà des mots comme certains clichés d’Edouard Boubat. 20 ans, c’est l’âge de son cœur et de sa tête. Parfois, sa mère qui lui a administré sa dernière paire de gifles le jour de ses 20 ans justement lui dit que c’est terrible de vieillir. On se regarde dans la glace et on ne sait pas qui on y voit, qui est cette personne dont les traits sculptés par le temps et les épreuves de la vie nous coupent de celle que l’on se sait être au plus profond de son âme. Sur les photos de ses 20 ans, célébrés chez leur grand-mère, à Paris, elle porte les cheveux attachés et une jupe à carreaux rouges que l’amie qui partage tout avec elle lui a prêtée. Elle a les yeux encore brillants et les paupières gonflées quand elle se penche au-dessus du gâteau pour en souffler les bougies. Elle a le cœur gros. Elle a fait des taches d’eau salée sur le dessus de son lit dans la chambre qui a abrité, ses nuits d’enfant de 3 à 5 ans. Sa mère lui a toujours dit qu’elle restait jolie même quand elle pleurait.

 

 

 

bronx-mural1.jpgCela lui rappelle un de leurs amis de fac, un ami allemand originaire de Dortmund, un photographe qui lui a offert des albums de ses photos et qui aimait, par dessus tout, saisir les femmes dans leurs moments de grande fragilité, voire de détresse. Son frère était artiste peintre. Il vivait dans le Bronx à New-York et il saisissait les silhouettes bigarées des hommes, des femmes et des enfants noirs sur des toiles de plus en plus grandes. Elle se rappelle une exposition organisée chez un galeriste d’origine libanaise, dans une rue du 11ième pas très loin de Bastille. Il lui avait offert, car elle l’avait aidée dans ses démarches, une toile de son frère, un homme dans des tons orange et rouges. Elle est triste car elle aimait beaucoup ce sujet et elle l’a perdu. A la faveur de l’ultime déménagement, elle pense l’avoir oublié dans une trappe au-dessus de l’entrée.

 

 

 

dragon-bleu-et-blancde-la-dynastie-qing.1258886265.jpgDemain, leur aînée aura 10 ans et elle sent combien elle a grandi. La petite fille, cet été, en Corse, a fait la liste de ses amis, des enfants de son âge, mais également des adultes : Brigitte, sa maîtresse adorée, son autre possibilité de maman, qu’elle a eue pendant deux ans et à laquelle elle pense si souvent. Annette, qui a veillé sur elle pendant sa dernière année de crèche, une année douloureuse pour une petite fille déménagée, séparée de longs mois de son papa, et à nouveau arrachée à lui quand elle pensait qu’il ne repartirait plus. Un papa qui disait que sa fille évoquait pour lui un magnifique vase, mais un vase fêlé, un vase qui était tombé, s’était cassé et qu’on avait tenté de réparer. Une petite fille qui, à trois jours de souffler ses 10 bougies, versaient de grosses larmes en songeant que, toute petite, elle avait pu repousser les gestes de tendresse paternelle car, blessée deux fois, elle avait dressé entre elle et lui une muraille de Chine pour se protéger. Elle aurait pu, physiquement, s’envelopper de kilos supplémentaires ou couvrir sa peau de psoriasis ou d’eczéma, elle avait choisi de se couper de son père et d’exprimer sa douleur dans des crises de violence que sa maman, seule 15 jours par mois avec elle et sa petite soeur âgée de 9 mois, sans personne avec qui parler, hormis les dames de la crèche, avait du essuyer, absorber. La maman avait toujours mis des mots sur ce que la petite fille traversait. Elle tentait de l’aider, de lui tendre la main. Il avait fallu attendre que les mots viennent du papa pour que la petite fille s’apaise et, progressivement, répare ses blessures et renonce à la colère quand elle serait vraiment guérie.

 

 

 

pâté hénaff.jpgLa maman qui se lève tôt, qui fuit le sommeil, qui est pressée de vivre comme si elle allait mourir demain, pour renaître après, regarde, ce samedi 14 septembre, la pluie qui dégringole le long de la baie vitrée. Leur fille est née en pleine canicule et, depuis 10 ans, il a toujours fait un temps sublime le jour de son anniversaire. On était dehors. Les enfants se balançaient dans le hamac sous le prunus. On organisait des olympiades supervisées par le papa. La course en sac et le jeu des pommes à aller attraper entre ses dents dans une bassine d’eau avaient toujours beaucoup de succès comme le défilé de mode avec la collection de chapeaux tant maternels que paternels. La maman ne se fait pas d’illusion. La pluie va durer et cet anniversaire aura un goût de beurre salé, de pâté Hénaff, de cidre brut, de ciré après une nuit en mer, de varech, de pointe du Raz. Bref, cela promet d’être turbulent avec plus de 20 enfants à la maison. Leur aînée a demandé à garder trois amies à dormir le soir. Pas de problème. La maman est prête à tout, ou presque, quand il s’agit de forger des souvenirs d’enfance indélébiles dans les mémoires de ses enfants. Le papa ne dit rien, mais il n’en pense pas moins. Ainsi, il songe que sa femme a perdu la raison, qu’elle pourrait tout aussi bien offrir à tous les enfants de rester dormir. Franchement, quand on aime on ne compte pas…

 

 

 

EB1.jpgTandis que le papa passe du bassin de la piscine aux boxes du poney club avec les filles, la maman s’active dans sa cuisine avec son fils qui a enfilé le tablier que sa mamie et son papi lui avaient offert et qui a sorti les maniques qui vont avec. Il n’a pas mis la toque. Elle le gêne un peu. On écoute les Gypsy king, une musique qui l’envoûte, la fait voyager très loin, la renvoie en Camargue, aux Saintes Maries de la mer pendant le grand rassemblement gitan du mois de mai. Elle voit les saintes portées jusqu’à la mer, la haie de guardians, les pélerins qui avancent dans les eaux oubliant les vagues prêts à rejoindre l’autre rive de la Méditerranée, la terre des saintes persécutées. Elle sent la chaleur des hommes et des bougies dans l’église dont les murs sont couverts d’ex-voto. Le païen et le sacré communient comme dans cette église de Chichicastenanguo au Guatemala. Elle songe à un échange qu’elle a eu avec sa mère sur Dieu, sur le besoin, à partir de Saint Paul, d’incarner Dieu à l’image de l’homme, de le donner à voir au monde visible pour que les hommes puissent croire en lui quand, dans l’islam, le nom de Dieu n’est pas même écrit tant il est le Tout que l’homme ne peut pas concevoir. L’incarnation de Dieu prend sa racine dans les cultes païens, les panthéons des dieux de l’antiquité, des divinités des barbares. Les églises n’ont-elles pas été édifiées sur d’anciens temples païens et les hommes de commencer à tout mélanger, leur vie et celle de Dieu et de le rendre responsable de tous leurs maux et d’attendre une réponse à toutes leurs interrogations. Dieu est tellement au-dessus de cela qu’il ne peut qu’être loué, jamais sollicité et la prière est là comme le moyen de puiser en soi les ressources nécessaires pour vivre et, parfois, seulement survivre, enfin, cheminer jusqu’à la mort et s’ouvrir, éventuellement, à un au-delà, une plénitude éternelle.

 

 

 

Amilly-20130903-00773.jpgLa maman regarde l’eau qui tombe sur la terrasse. Le hamac se balance sous le prunus, mais il n’y a personne dedans ! Cette après-midi, quatre mamans seront là, quatre amies et l’une d’entre elles animera deux heures durant un atelier onglerie. Une autre maman s’improvisera son assistante. Les petites filles défileront les unes après les autres et tendront des ongles rongés à des stades divers aux mains expertes de la maman de Matisse et de Lucile. Les garçons s’essaieront à la sculpture de ballons en chien, chat, oiseau. On sortira malgré la pluie. On sautera sur la toile détrempée du trampoline. On pédalera et on trottinera sous l’eau. On sera dégoulinant. On aura même envie de piquer une tête dans la piscine à 17°, la température de l’océan à Bénodet au mois de juillet ! Le fondant au chocolat sera vite expédié et les mamans qui ont faim se consoleront avec le gâteau au yaourt et petit-suisse aromatisé avec du citron vert (zest et jus). On aura du mal à allumer la seconde fontaine lumineuse mais on finira par y arriver. Le dernier enfant sera reparti à 19 heures et la maison ne comptera plus que 12 âmes dont un chien, deux chats et un poisson rouge.

 

 

 

IMG-20130827-00660.jpgMoustache, le cadeau de leur grande pour ses 10 ans, sera passé de bras en bras pendant toute la journée. Le plus grand aura été veillé par un garçon qui se sera soucié de le nourrir et de le laisser aller se promener. Ce chat, Kraspek, de moins en moins sauvage dans une vie à la fois rustique et chaleureuse, entre parties de chasse nocturne et séances de sophrologie diurne et fins de nuit d’écriture dans un bureau éclairé faiblement, rejoindra sa famille mercredi soir et, samedi, il sera installé dans la soute d’un avion. Il y séjournera 11 heures. La maman de trois qui s’est beaucoup attaché à lui, aime observer les scènes de vie entre les chats et le chien et qui l’aurait volontiers gardé, sans même que sa mère ait besoin de faire le forcing, de la culpabiliser encore et toujours, d’évoquer une soi-disant « dette de chat » que sa sœur redouterait de contracter auprès d’elle si elle le laissait le temps d’avoir trouvé ses marques angelines, se demande comment il va vivre ce changement de pays, s’il arrivera à se faire comprendre de ses homologues américains, si, là-bas, les souris désireuses de percer du côté des studio Disney, craquent mieux sous la dent que les mulots du Gâtinais ! Depuis plus d’un an, le chat, dans l’esprit et le cœur de leur mère, cristallise toute sa peine de voir partir sa seconde fille, son gendre, la petite-fille qui a fait d’elle une grand-mère, peu de temps après la mort de son mari et le petit-fils grâce auquel, enfin, elle a pu assouvir son rêve de garçon, rêve presque idéal d’un garçon aux yeux bleus, aux cheveux blonds et à l’intelligence aigüe, un garçon qui vient en rappeler d’autres sur des photos en noir et blanc, un peu passées, celles du père et du mari.

 

 

 

La maman de trois se rappelle, comme tous les ans, à cette époque l’arrivée de leur aînée et elle vous donne à lire le texte qu’elle a écrit et qui s’appelle « avant d’être trois ».

 

 

 

gorilles-dans-la-ii-1988-04-g.jpgElle a une très jolie chambre aux murs vert d’eau, spacieuse, lumineuse, calme. Elle a la chance, aussi, d’avoir une salle de bains aussi confortable que celle d’un centre de thalassothérapie. Pourtant, Elle ne voit rien de tout cela. La nuit est tombée sur ce dimanche de septembre. Elle est seule, étendue dans un lit étroit. Elle regarde, pour la seconde fois, « gorilles dans la brume » et elle pleure en silence. Elle aurait pu demander à son mari de rester avec elle mais elle n’y a pas pensé. Cette nuit va être longue, elle le sait. Elle tient son ventre entre ses mains. Elle caresse son bébé, sa fille, qui bouge beaucoup. Cette nuit est leur dernière nuit d’absolue fusion charnelle. Demain, sa vie à ciel ouvert aura commencé et la leur ne sera plus jamais comme avant.

 

 

 

Jusqu’au bout, elle espère que son bébé va se mettre la tête en bas mais elle ne se retourne pas. Le terme était prévu pour le 24, le jour de la naissance de son père. Le médecin a arrêté la date du 15. Il lui a laissé la liberté de la mettre au monde sans intervention mais elle a peur de cet accouchement. Elle a peur qu’elle souffre, peur qu’il y ait un problème. En même temps, une petite voix lui souffle que si sa fille ne s’est jamais retournée, c’est parce qu’elle ne voulait pas qu’elle s’en aille, qu’elle voulait la garder pour elle toute seule ou bien encore  qu’elle avait peur de leur vie, à tous les trois, une fois qu’elle serait vraiment là. Cette pensée la culpabilise.

 

 

 

veste ROLWALING 008.jpgElle a eu la chance de faire partie de ces femmes qui traversent leur grossesse sans encombres. Pas de nausées, pas de vertiges, pas de contractions et presque pas de maux de dos. Elle était vraiment heureuse, épanouie et, maintenant, elle a peur. Peur de cette opération. Ce n’est pas l’idée qu’elle se faisait d’une naissance. La nuit avance. Elle ne cherche pas à compter les moutons. Elle sait qu’elle ne dormira pas. Elle en a pris son parti. Elle parle à sa petite fille en essayant de se détendre. Régulièrement, des pleurs de bébés déchirent le silence. Ils durent très longtemps. Ces cris sont chargés de peurs. Ils transmettent l’angoisse de ceux qui les poussent et de celles qui, toutes seules dans leur chambre, ne parviennent pas à satisfaire les besoins élémentaires de leurs enfants. Le jour se lève. Elle entend des bruits de chariots poussés dans les couloirs, des pas feutrés, des portes qui s’ouvrent et se referment. La maternité se réveille. Il est huit heures. Encore une magnifique journée de fin d’été. Son mari arrive. Elle lui fait part de ses angoisses. Il essaie de la réconforter du mieux qu’il peut. Il a les traits tirés. La peau de son visage est pâle. Il sera papa dans moins d’une heure.

 

 

 

Les infirmières la préparent : cathéter, sonde et chemise verte. Elle essaie de sourire à son mari. C’est difficile mais, quand même, elle y arrive ! Elle s’en veut de ne pas parvenir à dominer son angoisse en se concentrant sur ce si grand bonheur : la naissance de leur petite fille.

 

 

 

Céleste 005.jpgElle est au bloc. Il y a tant de monde qu’on se croirait dans le dernier endroit à la mode. Elle compte plusieurs infirmières, des aides soignantes, l’interne en gynécologie et, bien sûr, le médecin qui va pratiquer la césarienne. C’est lui qui l’a suivie pendant la grossesse. L’opération est programmée à 8h30. Tout est prêt. Tout le monde est à son poste. Seul l’anesthésiste manque à l’appel. Le médecin le fait biper une fois, deux fois mais sans succès. Un silence pesant s’installe au bloc. Maintenant, nue sous sa blouse légère, elle est gelée. Elle commence à claquer des dents. Une infirmière s’en rend compte et va lui chercher une couverture de survie qu’elle déplie. Elle ressemble à une grosse papillote. Le médecin s’emporte et, d’un geste sec, arrache sa blouse. Elle a beau savoir qu’il est furieux car, en bas, à l’étage des rendez-vous, des dizaines de patientes commencent à s’agglutiner dans la salle d’attente, qu’il ne réussira plus à rectifier le tir et qu’il n’est pas à l’abri d’une urgence l’obligeant à passer de son bureau au bloc, c’en est trop pour elle. Elle se relève et lui explique calmement mais très fermement qu’elle n’a pas du tout envie de mettre son enfant au monde dans ces conditions-là. Si l’ambiance ne change pas, elle descend de la table et retourne dans sa chambre. Il l’écoute avec attention. Elle n’est plus un gros morceau de viande. Elle regagne son statut d’être humain, de patient doté de droits dont celui d’être traité avec dignité.

 

 

 

Le médecin anesthésiste arrive enfin. Ce n’est pas celui qui devait pratiquer l’anesthésie. Son confrère s’évertue à réanimer un monsieur. L’infirmière qui lui a apporté la couverture lui glisse à l’oreille qu’elle a gagné au change. En une fraction de seconde, le docteur Lambert a pris le pouls du bloc et de cette future maman aussi terrorisée que frigorifiée. Il pratique la rachianesthésie.  Elle perd toute sensation dans le bas de son corps. Elle est comme un poids mort. Le docteur Lambert reste à ses côtés. Elle se concentre sur sa voix qui est douce et pénètre profondément en elle. Dehors, son mari fait les cent pas. Il doit se demander pourquoi ils tardent tant. L’obstétricien a incisé. Avant de faire naître leur fille, il la retourne. L’incision est très étroite. Il pense nécessaire que le bébé ressente un passage. Au moment d’aller la chercher, il invite la primipare à mimer une poussée. Elle ne sent rien. Ce geste est purement symbolique. Il consiste à la rendre un tant soit peu actrice de la naissance de son enfant. Elle s’exécute mais est frustrée. Dans trois jours, le docteur Lambert viendra la voir. Elle lui a fait porter une lettre pour le remercier car sans lui elle sera descendue de la table d’opération et serait retournée dans sa chambre. Après qu’elle lui ait raconté toutes ces heures passées dans des salles de réanimation et ce travail de recherche mené autour des dons post mortem, de la définition de la mort, il ne s’étonne plus de ce qu’elle a traversé le jour de la césarienne. Il pense qu’elle a vécu une angoisse de mort profonde souvent associée à la naissance d’un enfant et laissant remonter les deuils, de façon spectaculaire quand ils ont été différés. Quand on met un enfant au monde, on lui offre la vie mais aussi cette expérience ultime qui se prépare toute une vie, celle de la mort, une expérience qu’il vivra seul, même si on lui tient la main.

 

 

 

Céleste 006-2.jpgEt puis, elle est là, belle, rose comme seuls arrivent à l’être les bébés césarisés, les bébés cueillis au chaud du nid. Toute la salle pousse un cri d’exclamation.  Elle voit, ensuite, que tous les spectateurs ont les yeux tournés vers le hublot de la porte du bloc. Son mari a assisté à la naissance de sa fille et l’équipe s’attend, d’une seconde à l’autre, à ce qu’il s’écroule sur le sol. Mais, non. Il reste bien campé sur ses deux jambes et leur fait, en langage de plongée, le signe ok. Leur fille ressemble étonnamment à son père. Elle est belle. Ses joues sont pleines et au-dessus de son crâne, des petits cheveux blonds roux dessinent des boucles collées par le vernix. Elle a juste le temps de lui caresser la joue et deux infirmières l’emmènent. La température dans le bloc est trop basse pour un vrai câlin. Le médecin, très concentré, retourne à son ouvrage. Il faut, maintenant, recoudre les différentes épaisseurs incisées. Elle s’abandonne. Son esprit est vide.

 

 

 

On l’installe en salle de réveil. Sa gorge est sèche. Elle est affamée. A intervalles réguliers, elle remue ses doigts de pieds, essaie de décoller ses mollets. Rien à faire : toujours aucune sensation. C’est assez angoissant. Son esprit quitte la salle, quitte son corps et se promène dans les couloirs de la maternité. Il entre dans sa chambre vert d’eau. Son mari tient leur fille dans ses bras. Elle est endormie. Elle ressemble à un bouton de rose. Sa tête repose, inclinée, sur la poitrine de son papa. Ses lèvres sont entr’ouvertes. Son esprit repart sur la pointe des pieds et retrouve facilement le chemin de la salle de réveil. Le bas de son corps sort enfin de son sommeil artificiel. Deux aides-soignantes la remontent dans la chambre et l’installent dans le lit. Son mari s’approche doucement d’elle et lui  place dans les bras leur petite fille. C’est la première fois depuis sa naissance qu’ils sont tous les trois. Ils étaient un couple. Ils sont désormais une famille. Ils n’étaient responsables que de nous-mêmes. Ils ont maintenant la responsabilité d’une petite fille. Avec elle, ils ne connaîtront que des premières fois.

 

vacances 012.jpgAnne-Lorraine Guillou-Brunner