Chronique autour de Noël (bûche et embûche)

Nous voici à la case 23 du calendrier de l’Avent. Chez les enfants les plus jeunes, l’excitation monte à l’approche de Noël. Chez les adultes qui accueillent leur famille, on peut sentir un mélange de joie et de stress majoré par la fatigue toujours présente en fin d’année. Je ressors une chronique écrite début janvier 2011. Céleste avait huit ans, Victoire six et Louis seulement quatre. Je l’aime particulièrement. Je la crois capable d’entrer en résonance avec beaucoup d’histoires car elle parle de ce que nous mettons dans cette grande fête de Noël, que nous soyons chrétiens ou pas, nos attentes parfois déçues, l’énergie déployée à réunir les siens dans une ambiance chaleureuse, la capacité de certains à tout détruire, la joie d’avoir vraiment trouvé le cadeau qui fait plaisir, la présence/absence plus ou moins acceptée de ceux qui n’ont plus leur assiette à la table du repas, les sujets à éviter, les paroles maladroites, le caractère éphémère de ces deux jours qui, pourtant, autrefois, occupaient plusieurs pages dans les albums photos.

Tout à l’heure, nos deux mamans pousseront la porte d’entrée. Fantôme sera en transe. Les enfants se précipiteront. Une maman arrivera de l’Ain et l’autre de la région parisienne. Une maman aura des tulipes et une jacinthe. Une autre du champagne, du foie gras et la pintade du déjeuner de demain. Louis sera à un anniversaire et, de mon côté, je serai dans mon cabinet espérant que les arrivées ne soient pas trop bruyantes.

Le plateau est toujours balayé par un vent tonique. Les champs détrempés ont pris des airs de rizières. A côté de nos santons lilliputiens, les cinq jacinthes bleues sont gigantesques. En dépit de mes efforts pour lui conserver toute sa splendeur, le joli sapin perd ses épines. Je les ramasse le matin et, comme toujours, je pense au conte d’Andersen. Un petit patient va arriver. Un petit garçon de sept ans qui subit, avec tous ses camarades, les violences répétées de deux élèves en grande détresse. L’un des enfants est maltraité dans sa famille et l’autre a été retiré à la sienne et placé dans un foyer. Des démarches sont en cours pour venir en aide tant aux deux enfants violents qu’à toute la classe. L’institutrice, souvent déplacée par son administration, ne prend pas la mesure de ce qui se joue dans sa classe. C’est la maman du petit garçon qui s’est saisi du problème.

J’ai offert à Muguette des jacinthes. Elle était vraiment heureuse car André, son mari, lui en offrait toujours à l’approche des fêtes de fin d’année. Depuis qu’André est parti, Muguette n’a plus le coeur à fêter Noël. Plus de décoration, plus de crèche, de sapin. Muguette ira déjeuner le 25 en Sologne entourée de ses deux fils, de sa belle-fille et de son unique petite-fille qui a le même âge que Céleste.

Depuis plusieurs semaines, tous les matins, je donne du pain sec au petit mouton qu’une famille d’origine marocaine a mis en pension chez nos voisins. Je le vois grandir tout en sachant qu’un jour il ne sera plus là. Il est destiné à servir de plat principal à une grande fête religieuse. Quand je l’ai su, je me suis dit que je devrais cesser d’aller le voir et lui parler mais je n’ai pas pu. Il s’était déjà habitué à Fantôme et à moi. Quand il nous voit, il se précipite et, de joie, fait des bonds. Il ne se laisse pas caresser. Il repousse du front ma main ouverte. C’est un mâle. Muguette m’a dit qu’il ne fallait pas lui caresser le front mais l’encolure. J’essaie mais sans succès.

Je pense aux familles dont les maisons ont été déjà inondées deux fois en quinze jours. Je n’ai pas oublié la détresse des habitants du Loiret lors de la crue centenaire. Le niveau des rivières est très élevé et j’imagine les souvenirs terribles que cela peut raviver. Je vous souhaite à tous de passer un très joyeux Noël et même s’il devait y avoir des petits dérapages, finalement, on ne conserve que le meilleur. Nous ne serons que sept. Demain, ma soeur s’envolera pour le Maroc, la soeur de Stéphane pour la Guadeloupe. Le frère de Stéphane, lui, est dans l’Ain. Avec sa femme, ils accueillent tous leurs enfants et petits-enfants. A la Montagne, Mathieu a mis Charlotte sur les skis. Elle semble enchantée!

Combien de fois, depuis son enfance, avait-elle observé des insectes se débattant derrière les carreaux des fenêtres ? Toujours, très vite, elle avait pris les petites bêtes en pitié et avait fait en sorte de les rendre à leur liberté. L’idée que les insectes ailés meurent d’épuisement lui était insupportable !

Combien de fois, elle-même, n’avait-elle pas eu le sentiment d’être cette petite bête collée à la vitre et ne parvenant pas à comprendre pourquoi ce qu’elle voyait si bien et lui semblait si beau et naturel restait inaccessible ? Pourquoi son esprit plus que son corps rencontrait-il cette surface froide et invisible ?

A quelques heures du réveillon de Noël, les sèche-cheveux sont en surchauffe. Les vitrines des salons de coiffure et de beauté sont embuées. Impossible de voir ce qui se trame à l’intérieur, de jeter, à la dérobée, un regard amusé en direction de ces têtes empapillotées, colorées, décolorées, transformées en tapis de feuilles d’automne, de deviner tous ces malheureux poils pris au piège de milliers de kilomètres de cire chaude, tiède ou froide, d’entrapercevoir des corps relâchés, abandonnés et pétris entre des mains vigoureuses, des visages, tout à l’heure tendus à l’extrême et désormais crèmés, lissés, maquillés. L’humidité saturant l’air, dégoulinant le long des portes et des baies vitrées, donne à penser que cette petite ville gardoise s’est transformée en un village vietnamien en période de mousson.

Par dessus tout, la passante qui remonte les allées du Midi regrette de ne pas pouvoir entendre les sujets de conversation des occupantes de ces gynécées, de ces temples dédiés à la beauté et au bien-être féminin, ou plutôt, les longs monologues des clientes passant en revue les maris pas assez attentionnés ou trop sensibles aux attentions des autres, les enfants difficiles, les adolescents rebelles, les étudiants déprimés et déprimants, les mères trop souvent critiques, les belles-mères très envahissantes, les piques des belles-sœurs ou des beaux-frères pour lesquels l’Elu n’est jamais assez bien et vient « voler » le grand frère ou la grande sœur adoré, celui ou celle pour lequel on aurait été capable de traverser la Manche à la nage, les menus de Noël susceptibles de changer trente fois de suite entre le 1er décembre et le 23, les interrogations existentielles liées à la décoration de la table, les thèmes qui peuvent fâcher, vexer, agacer qu’on se jure d’éviter et qu’on se surprend à aborder avant même d’avoir passé le cap de l’entrée et les inconscientes comparaisons entre les uns et les autres.

La passante qui continue de regarder la vitre embuée d’un des quinze salons de beauté de cette petite ville pense qu’en deux repas, Noël sera plié et rangé sur la pile des souvenirs communs de la grande armoire familiale. Chacun aura fait de son mieux pour se montrer sous son meilleur jour, mettre de côté toutes les grosses contrariétés et les disparitions tristement programmées, résister aux critiques, cacher sa déception devant le cadeau surprise qui, une fois encore, lui montrera qu’on n’a pas encore compris qui il est, pire, qu’on s’ingénie à le vouloir autrement, voir de l’humour là où il n’y en avait pas, réussir à louer les délices d’un chapon obèse et d’une bûche maison trop sucrée et couverte de sujets tous plus kitchs les uns que les autres parce que l’aîné de la fratrie les collectionne depuis des années et trouve amusant de laisser les enfants les planter tous dans le mélange chocolat/marron comme s’il s’agissait de la clôture d’un défilé automne/hiver de Jean-Paul Gauthier.

Dans ces mêmes familles, un supplément d’âme et une réelle volonté de sublimer ses différences pourront faire d’un Noël divisé en deux repas, un magnifique moment d’échanges, de chaleur, de gaieté et d’amour et pas seulement un immense règlement de compte avec tirs à vue. Les plus courageux et les plus désireux de sublimer orgies de nourritures terrestres et avalanches de cadeaux iront chercher dans une église, entre 23h30 et deux heures du matin, le sens profond de cette fête. Dans ce lieu de culte entouré d’un temple, d’une mosquée et d’une synagogue aujourd’hui désaffectée, les fidèles ne seront pas assassinés au nom du Très-Haut! La plus jeune des petites filles, celle des deux ayant reçu le baptême ici-même, s’endormira sur les genoux d’une mère qui luttera, vaille que vaille, pour ne pas sombrer à son tour. La position assise, obligée par le poids de ce corps de plus en plus lourd et menaçant de s’affaler sur les pavés, rendra plus dur encore le combat contre la chape de plomb tombant sur ses paupières. A la fin de l’office, le Père remontra l’allée centrale et les enfants viendront faire bénir leur petit Jésus. Enfin, l’assemblée réunie ne fera plus qu’un seul et même corps entonnant à pleins poumons le toujours si porteur « les anges dans nos campagnes ».

Courageuse jusqu’au bout, une petite fille de dix ans ira se recueillir devant une bougie, non loin de la crèche provençale et des santons en cire du dix-huitième siècle. Ses pensées s’envoleront jusqu’au lit de son arrière grand-père qui, dans son sommeil, les recevra.

Parfois et presque contre son gré, on aura ouvert le cercle et invité à la table des festivités les absents au repas. En même temps, ils y avaient leur place, les arrières grands-parents, les grands-parents, les grands tantes, les grands oncles, les cousins, les amis défunts, partis en ayant pris tout leur temps ou en ayant opté pour un départ prématuré. Ils étaient tous là, un peu comme s’ils remplissaient des vides laissés entre les convives. Et il y avait celui qui avait le don, malgré lui, comme si c’était plus fort que lui, et que la journée des préparatifs, commencée par l’achat d’un sapin toujours si immense qu’il fallait en décapiter la flèche, poursuivie avec la confection de la traditionnelle bûche maison avec reconstitution méticuleuse des aspérités de l’écorce à grands coups de fourchette, s’était déroulée dans la joie de grands éclats de rire, de saboter la fête à la dernière minute, de claquer les portes comme personne et de lire, dans un instinct de provocation ultime, la définition du repas de Noël extraite du dictionnaire de Pierre Desproges. Celle qu’on cherchait tant à provoquer accusait le coup sans broncher. Le provocateur avait eu son moment de gloire. Prise entre deux feux, une femme souffrait et ses filles avec. Sur les photos, trop souvent, les paupières étaient gonflées. Le déjeuner avait du mal à passer.

Demain, dans une semaine, il fuirait ces fêtes de fin d’année si mal vécues et ce jour de naissance ayant, pour lui, le très mauvais goût de revenir ainsi tous les ans à date fixe. Il essaierait de tirer sa révérence avant que ne retentissent tous les flonflons du bal, que ne s’entrechoquent des millions de flûtes de champagne, que ne s’échangent des milliards de bons vœux et de baisers systématisés. Finalement, il serait heureux qu’on le récupère sur le fil et que sur ce fil il recommence sa marche de funambule lunaire et que personne n’ait l’air de lui en tenir rigueur.

Alors la vie reprendrait ses droits jusqu’au prochain Noël qui sait si bien transformer en hammam les salons de coiffure et de beauté et faire souffler comme un air de bûche façon Danielle Thomson dans toutes les familles, y compris les plus aimantes et les plus aimées.

« Famille, je vous hais ! » Non, André, « famille, trop, je vous aime ! »

Alors que 2011 nous permette à tous de trouver la juste distance, celle dans laquelle nous pouvons nous aimer sans nous heurter et d’avoir également « le courage des petits moyens qui incarnent l’espérance dans la patience du quotidien[1] ».

Puissions-nous habiter les 365 jours de 2011 comme si chacun était le premier ou le dernier qu’il nous soit donné de vivre !

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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