Hier, Louis a mal au ventre. A une consommation exagérée de crêpes nappées de pâte à tartiner se sont ajoutés un coup de froid et cette inquiétude toujours plus ou moins latente de retourner au collège après une période de vacances. Un papa parti à Paris avec un ami, Louis s’invite dans notre lit. Je parviens à le rassurer et il peut trouver, même tard, le chemin qui mène à un sommeil paisible. A la fin de l’hiver dernier, Louis et Victoire ont été contaminés par leur petite cousine Charlotte. Cette dernière transportait dans ses couches ce virus que tout parent redoute. On le nomme au choix rotavirus, norovirus, astrovirus ou adénovirus. Tous ces noms font penser à ceux que portaient les « méchants » dans le dessin-animé Goldorak. Ma soeur n’avait pas fait le lien entre les selles nauséabondes de sa petite dernière et la présence d’un virus. Victoire et Louis ont été vraiment très malades. Comme d’habitude, je les ai accompagnés dans cette épreuve de nuit (le jour, ce n’est pas rigolo) et j’ai lavé et désinfecté les chambres, les toilettes, les poignets de porte.
Stéphane, lui, dormait dans le lit de Céleste et Charlotte, avec son oncle, avait consenti à s’endormir dans le lit-parapluie. Nous avions à coeur que ma soeur puisse passer une nuit normale. Charlotte était, à cette époque, assez perturbée par ce que ses parents traversaient. Ni Victoire, tombée la première, ni Louis, frappé en second, n’avaient eu le temps de gagner les toilettes. Victoire avait été terrassée dans son lit et Louis, lui, avait réussi à arriver jusqu’à notre chambre où il avait, debout, abondamment exprimé le contenu de son estomac. Louis s’était métamorphosé en geyser islandais. Au pied de ma table de chevet, une pile de livres avait « pris cher » comme on dit aujourd’hui. Des semaines après, sous le sommier, je trouvais encore des reliefs de cet épisode. On aurait pu penser que Hans Hartung était venu s’essayer au tachisme sur le parquet de notre chambre!
Tandis que je réalisais pas moins de vingt navettes entre le garage et notre chambre, la salle de bains et les toilettes, Stéphane et Charlotte dormaient d’un sommeil de plomb. Je n’ai pas un mari très aidant dans ce genre de circonstances. De mon côté, cette capacité à prendre soin des autres quand ils sont malades s’est sans doute développée quand j’étais étudiante. Il n’était pas rare que je veille un ou une amie ayant trop bu. Bien sûr, parfois, cela me donnait des hauts-le-coeur mais je parvenais à les juguler. Une année, les enfants étaient encore très jeunes, ils ont tous été malades la même nuit. Il faisait très froid et j’étais obligée de faire des courants d’air dans la maison. Tandis qu’un enfant se lavait sous la douche, je m’occupais de nettoyer la chambre d’un autre. A la fin, je n’avais même plus de drap pour refaire les lits! N’écoutant que son courage, Stéphane avait tenu à m’aider. Il avait fourré les draps souillés dans la machine et l’avait faite tourner. Il avait oublié une étape peu reluisante: celle qui consiste à retirer les morceaux collés aux draps en les faisant tremper dans la baignoire…Le lendemain matin, quand j’ai voulu étendre le contenu de la machine, j’ai eu droit à un feu d’artifice de coquillettes et de jambon. Je me rappelle avoir éclaté de rire. Un rire un peu nerveux avec trois heures de sommeil au compteur. En mon for intérieur, j’ai pensé qu’il était préférable qu’il continue de faire comme s’il n’entendait pas de bruit autour de lui.
Victoire n’avait plus été malade de la sorte depuis un épisode très violent qui s’était accompagnée d’une crise de bile. Elle devait avoir cinq ans. Elle refusait que cela se reproduise et je l’avais vue lutter une nuit entière pour combattre les spasmes qui la secouaient. Je me retrouvais dans cette hantise qui habitait Victoire d’être prise de vomissements. A l’âge de sept ans, en Martinique où nous habitions, j’avais été rendue malade par du jambon certainement avarié. Comme Victoire, j’avais eu une crise de bile et encore comme elle je m’étais fait le serment que cela ne m’arriverait plus jamais. Et, en effet, cela ne s’est plus jamais produit avant un épisode de déshydratation intense à San Pedro de Atacama (nous avions été faire du vélo dans le désert le plus sec du monde en n’emportant pas assez d’eau et nous nous étions perdus à la nuit en quittant la vallée de la lune…) et après qu’une personne m’ait tenu des propos injustes et méchants que mon esprit n’avait pas pu les digérer. A l’issue de son dernier épisode de gastro-entérite, Victoire m’a dit deux choses qui sont révélatrices de son caractère à la fois très volontaire et profondément généreux: « Je te demande pardon de ne pas avoir eu le temps d’aller aux toilettes » et » maintenant, c’est fini, je n’ai plus peur! ». Louis, de son côté, a été très choqué par la violence de l’épisode dernier et de son caractère non maîtrisable. Alors, hier, il redoutait que cela se reproduise.
Beaucoup de gens ont déjà été malades pendant les vacances de Noël: syndrome grippal ou gastro-entérite. Récemment, j’ai lu qu’en Bretagne, on avait du interdire la commercialisation des huîtres dont les parcs avaient été contaminés par le virus de la gastro-entérite. Cela donne une idée assez charmante de la manière dont on continue de traiter les mers et les océans: comme des poubelles! Je me rappelle qu’un été alors que je passais des vacances à Nice chez notre grand-mère maternelle qui y possédait un appartement, nous avions vu arriver sur l’eau des bateaux de la mairie. Des employés ramassaient avec des filets de gros rats morts noyés dans les égouts après le violent orage de la veille. Les eaux usées venaient rejoindre la mer par de gros tuyaux en ciment.
Tandis que j’écris et que le soleil vient faire fondre lentement le givre laissée par une nuit froide et un ciel piqué d’étoiles, Louis dort encore. Céleste est au lycée. Victoire au collège. Un papa à Paris et Fantôme dort la tête posée sur la dernière marche de l’escalier.
De l’Australie nous parviennent des images dignes de l’Apocalypse de saint Jean ou de l’enfer peint par Jérôme Bosch. L’île-continent se consume. Des milliers de civils ont été évacués se jetant sur des routes encombrées. Les villes suffoquent. Des centaines de milliers d’animaux ont péri dans les flammes. La colère monte comme la température. Qui parlera des ravages causés par l’exploitation du charbon? En Indonésie et aux Philippines, ce sont des inondations mortelles. Avant les fêtes, la France a aussi été frappée par des pluies diluviennes et des vents violents.
Les terribles incendies qui ont ravagé l’Amazonie et la Sibérie n’ont finalement que peu ému l’opinion publique. Quant à nos présidents et présidentes, nous savons combien ils sont ligotés par les grands groupes. Il suffit d’avoir suivi le feuilleton « Total, huile de palme, parlementaires et Gouvernement » pour s’en convaincre.
Seuls les citoyens peuvent inverser le cours des choses en s’unissant. Je l’écrivais voici peu mais, déjà, tous, nous pouvons apprendre à nos enfants à aimer la nature, la faune et la flore. Nous pouvons marcher ou faire du vélo, recycler, consommer moins et mieux, réparer plutôt que jeter, cuisiner les restes, ne pas gaspiller l’eau, le gaz et l’électricité. Je sais que je n’aurai pas de retraite. Certes, je n’exerce pas un métier physiquement pénible. Je ne suis pas exposée à des produits dangereux. Je n’ai pas commencé à travailler à seize ans. Je comprends que, dans certaines professions, il ne soit pas possible de repousser l’âge du départ à la retraite. Mais, je pense qu’aujourd’hui, ce qui fait vraiment sens et mérite qu’on combatte activement et solidairement, c’est l’environnement. L’environnement est un sujet à la fois vital et universel. A quoi bon vieillir bien si notre maison brûle?
Née fin 1969, je constate que c’est ma génération qui est la plus mobilisée pour sauver la planète. Au-dessus et au-dessous de nous, on a un peu tendance à s’ancrer dans une sorte de politique de la terre brûlée en se disant « après moi le déluge ». Je ne ressens pas de vraie prise de conscience chez nos trois enfants âgés respectivement de 16, bientôt 15 et 12 ans. J’essaie de me rassurer en me disant que c’est normal. Ils sont à l’âge où, par définition, on est dans le rejet du modèle parental. Victoire, pourtant si intelligente, refuse d’ouvrir ses neurones au danger du portable tant pour la planète que pour sa santé. Louis ne veut pas admettre que les céréales industrielles sont des bombes à retardement pour son équilibre.
Céleste, elle, me dit : « t’inquiète pas maman. On fera attention quand on sera adultes. On a compris le message ». J’ai réussi à imposer des pâtes à tartiner sans huile de palme…Une vraie réussite quand on sait combien un certain produit dont je refuse de prononcer le nom a fabriqué des générations d’accrocs et participe à la déforestation de l’Asie du Sud-Est, à la mort des grands singes et est également une source de pollution massive de l’air.
En ces premiers jours de 2020, je formule un voeu: que nous sachions retrouver en nous cette âme animiste que nos ancêtres possédaient et qui leur permettaient de vivre en bonne intelligence avec la nature. Je pense aussi à saint François d’Assise souvent représenté entouré d’oiseaux dont la légende raconte qu’il parlait leur langue. Nous n’avons nul besoin d’un antéchrist pour vivre l’Apocalypse. Nos appétits égoïstes lui ont laissé tout l’espace pour être au monde.
Gardez-vous des virus! Le lavage des mains demeure le moyen le plus efficace de ne pas y succomber. Une autre piste: Prenons exemple sur nos pas si lointains voisins anglais et évitons les doubles, triples ou quadruples bisous donnés à tout-va.
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
En clin d’oeil, le cadeau rigolo fait à Stéphane et trouvé dans l’une des boutiques du musée du Quai Branly. La fête des morts au Mexique me fascine. Elle est très présente dans l’oeuvre de Frida Khalo.