Chronique autour d’une nouvelle rentrée

Voilà, c’est fait! Tous les enfants sont rentrés. Jeudi dernier, seule, dans mon cabinet, bercée par les doux ronronnements de Cookie, le chaton entré récemment dans notre famille, je réalisais que c’était la première fois depuis le vendredi 13 mars que les enfants étaient tous en classe en même temps à la journée complète. Comment une chose aussi « ordinaire » pouvait-elle avoir cette dimension « extraordinaire »? J’étais triste d’apprendre que pour certains élèves les écoles étaient déjà fermées en raison de cas de coronavirus (je ne dirais jamais le ou la Covid. Ce terme me fait horreur!). Je pensais à la joie de tant d’élèves de retrouver leur école, leurs camarades et des professeurs dans la « vraie vie ». Je pensais aussi au bonheur des professeurs de renouer avec leur métier tel qu’ils ont à coeur de le vivre. Notre aînée, Céleste, m’a raconté que les professeurs, au lycée, s’amusaient de ce que le port des masques leur donnait des boutons et le sentiment de redevenir des adolescents.

La rentrée des classes a enterré durablement ces fins de semaines libérées de préoccupations scolaires. J’ai déjà découvert un très beau texte d’Henry Bauchau,  vais me plonger dans deux oeuvres que je n’ai jamais lues: « Lettre à Ménécée » d’Epicure et « La confession d’un enfant du siècle » de Musset. Dimanche, après le déjeuner, j’ai aidé Louis dans des exercices de grammaire. Pendant le confinement, la grammaire, version moderne et ultra scientifique, nous a donné beaucoup de fil à retordre. Louis et moi devenions fous avec tout ce jargon rendant à la fois indigestes et incompréhensibles des notions qui, déjà, ne sont pas faciles d’accès. Plus j’essayais de comprendre et plus mon cerveau se verrouillait!

Maintenant que notre trio est rentré en classe et que nous avons accueilli Cookie, je n’ai pas encore réussi à trouver une organisation satisfaisante pour moi. Depuis que Céleste est au lycée et que Louis a rejoint Victoire au collège, mes débuts de journée étaient réglées comme du papier à musique: réveil à 5h45, petit-déjeuner dans la cuisine avec Fantôme et les chroniqueurs de France Inter, préparation du thé de Céleste, réveil de Céleste, rangement, mise en route d’une machine, départ pour le car, arrêt sur la place de l’église pour aller chercher Pauline, ma seconde filleule, attente du car devant l’ancienne gare du village, retour à la maison, lits, aspirateur, départ de Victoire et de Louis, promenade avec Fantôme, visite à Muguette, second café à la maison et sophrologie en sabots. Cette organisation me permettait d’avoir un petit temps pour moi, rien qu’à moi, un temps où je pouvais prendre mon petit-déjeuner et me préparer seule.

Maintenant, Cookie me réveille à 5h00. C’est encore un bébé. Je laisse passer certaines choses. Quand il sera parfaitement habitué à la maison, il dormira dans la cuisine avec Fantôme. Cookie me réveille donc à 5h00 en venant se nicher dans mon cou. Plus besoin de réveil! Maintenant, j’ai les ronrons! En arrivant au pied de l’escalier, je trouve Fantôme qui réclame des câlins. Céleste, cette année, a décidé de se réveiller seule. J’ai à peine fini de vider le lave-vaisselle, que Céleste est là. Quand je veux m’habiller, je trouve les deux filles qui papotent dans la salle de bains. Je n’écoute plus la radio. Je suis décalée dans le post que j’ai pris l’habitude d’écrire sur Instagram avec le confinement. Je me sens bousculée et c’est une sensation que j’aime si peu que j’ai toujours été prête à faire le sacrifice d’un bout de nuit pour ne pas l’éprouver et ne pas pressurer mon entourage.

Quand j’étais professeur, je n’hésitais jamais à dire à mes étudiants que je n’avais pas la réponse à une question qu’ils m’avaient posée. Le droit privé est une matière immense. On ne peut pas entièrement la posséder. Maintenant que je suis thérapeute, je ne cache pas que j’ai traversé, depuis l’adolescence, quatre dépressions très profondes. La nouvelle étant toujours plus violente que la précédente. Avoir traversé et surmonté des épisodes dépressifs est un atout majeur pour comprendre et aider encore mieux des patients momentanément fragilisés. J’attendais beaucoup de notre marche sur le chemin de Stevenson. La marche a le don de me permettre de refabriquer de l’énergie mais, cette fois, il n’en fut rien et même, cette marche de huit jours effectuée sous un soleil de plomb, a creusé encore un peu plus ma fatigue.

Quand nous sommes rentrés à la maison, je ne supportais plus rien. Tout ce qui avait trait aux courses, à la cuisine, au ménage me donnait presque la nausée. Quant à la maison, en tant que lieu de vie, je ne voyais plus que tout ce qui s’y est abimé en quinze ans. Je sais que la fin du mois d’août et les premiers jours de septembre sont souvent calmes au cabinet mais je n’en pouvais plus de ce calme. J’aurais aimé pouvoir me reposer, mettre à profit le peu de patients reçus pour arriver à me détendre mais je n’y parvenais pas car, voir le cabinet vivoter, était source d’angoisse. J’ai senti que je glissais et, tous les jours, j’ai lutté pour que la dépression ne m’emporte pas. Une nouvelle fois l’origine de ma fragilité tenait à une perte de repères et à du surmenage. Je me suis accrochée pour venir à bout de chaque chose, toutes ces choses qu’en temps normal nous enfilons le long d’un fil comme autant de petites perles sans même y penser. J’ai bataillé pour apprécier mes marches au point du jour, mes échanges avec Muguette, remettre quelques étincelles au fond de mes prunelles. C’est seulement auprès de mes patients que je me sentais vivante.

Je suis encore loin d’avoir retrouvé tout mon élan vital mais je pense que je ne plongerai pas. La période que nous avons traversée a été une terrible épreuve pour la plupart d’entre nous. Nous sommes très nombreux à avoir abordé le mois de septembre dans un état de fatigue morale et physique profond. Plus que jamais, en ce moment, quand je marche je me concentre sur la magie de la lumière en cette été finissant, la couleur rouge carmin des tiges de sarrasin, l’odeur des pommes et des poires tombées des arbres, la rosée du matin qui arrive à transpercer mes baskets, les battements d’aile d’une chouette, le travail de dentellière des araignées. Ces dernières semaines, il a vraiment fallu que je lutte car mon esprit ne parvenait plus à se concentrer sur tout ce que la nature a le don de nous offrir jour après jour.

La semaine passée, j’ai assouvi un très vieux fantasme en me coupant seule les cheveux. Ils avaient beaucoup poussé. Ils m’arrivaient à la poitrine. Je me suis installée dans la salle de bains face au grand miroir et me suis munie des ciseaux que Stéphane utilise pour couper les cheveux de Louis et les siens. En quatre coups de ciseaux donnés sans trembler, j’avais retrouvé une meilleure tête. J’ai hésité à prélever une poignée de cheveux pour les glisser dans une enveloppe sur laquelle j’aurais inscrit « cheveux AL 50 ans ». Finalement, je ne l’ai pas fait. Je me suis contentée de regarder l’importante masse de cheveux encore châtains dans la poubelle.

Ce matin, à 7h45, Fantôme et moi trouvons Muguette dans son potager. L’arche de Noé est nourrie. Une belle lumière dorée enveloppe le plateau. Nous entrons dans la cuisine et nous asseyons toutes deux sur des tabourets. J’ai apporté à Muguette une part de la tarte aux pommes que j’ai faite hier, une tarte avec une vraie pâte brisée pas une pâte industrielle. Cela n’a rien à voir! Des voitures stationnent le long de la route près de la mare aux canards. La mare de Muguette a commencé par perdre ses canards avant que le premier été de sécheresse et de canicule la prive d’eau. Maintenant, des roseaux poussent dans l’anarchie la plus complète. Quand les enfants étaient petits, la mare aux canards était LE but de LA grande promenade du dimanche. Nous emportions du pain sec. Bien qu’il n’y ait plus de mare et encore moins de canards, nous continuons tous à parler de « la mare aux canards ». Hier, Muguette a été « kidnappée » par des amis du matin jusqu’au soir: vide-grenier organisé par les infirmières de l’hôpital de Gien et, ensuite, déjeuner bucolique à l’étang de ses amis. Un vrai dimanche à la campagne!

Comme presque tous les Français, j’ai eu du chagrin en apprenant la mort d’Annie Cordy dont nous avons parlé avec Muguette. Je ne me souvenais pas qu’elle jouait dans « Le chat » de Pierre Granier-Deferre, un des films qui, à ce jour, m’a le plus bouleversée. La non communication ou la fin de la communication dans un couple que l’amour unit encore me rendent très malheureuse.

Pour finir sur une note plus légère, je ne peux que vous recommander d’aller voir, dés mercredi prochain, une comédie portée par des acteurs épatants dont Laure Calamy et Benjamin Laverhne et intitulée « Antoinette dans les Cévennes ». Vous y découvrirez une partie du chemin de Stevenson et pourrez rire en voyant la malheureuse Antoinette tentant de faire avancer son bel âne de Provence répondant au prénom de Patrick. La perspective de retourner dans une salle obscure masquée ne me tentait pas mais j’espère que nous pourrons aller voir ce film en famille. Idéalement, j’aurais aimé que nos neveux puissent nous y accompagner. Ci-dessous, la bande annonce du film.

https://www.youtube.com/watch?v=qsbBWaCKlW4

Passez toutes et tous une belle semaine encore estivale.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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