Chronique de l’anniversaire d’une soeur, première chronique Loiret-Californie

 

kahlo-frida-1931-sized.jpgUn jour, vous vous réveillez. Votre sœur est partie vivre avec les siens, sa famille à elle, à des milliers de kilomètres de vous. Deux océans vous séparent. Vous vous réveillez. C’est le deuxième jour de l’automne et elle aura 39 ans dans quelques heures. Alors, vous vous demandez comment une telle chose est possible, comment les deux sœurs qui vivaient en Martinique ont pu atteindre cet âge presque canonique pour des sœurs. Mais, c’est un fait et cela ne changera pas, le regard que vous portez sur elle est le même depuis qu’elle est votre sœur. Vous allez toujours au-delà des premiers signes du temps qui la font plus belle encore. Elle s’agace que vous laissiez l’argent s’installer dans vos cheveux. Elle est triste quand, parfois, vous ne prenez pas assez soin de vous, que vous vous maltraitez, que vous vous oubliez, que vous renoncez à vous et ce n’est pas parce qu’elle vous en veut de ne pas être une sœur valorisante mais parce qu’elle sait qui vous êtes en profondeur, à quoi vous pouvez prétendre, où vous êtes capable d’aller.  Elle le sait, vous le lui avez dit, au plus fort de la tourmente, quand, parfois, vous avez été traversé par l’envie de lâcher la barre et de laisser le bateau dériver sur les récifs noirs et rugueux.  Elle a été votre astrolabe, votre boussole intérieure. C’était avant les trois enfants.

 

 

 

tempête.jpgEt, enfin, après des années de navigation en haute mer sans balise, sans port, sans phare, vous trouvez le port, le port de Brest, le phare d’Alexandrie, la balise en mer d’Iroise, vous vous êtes retrouvé car, en fait, il fallait que vous vous rencontriez dans la solitude des premières années d’un plateau exposé au vent mauvais, offert au maïs et aux tournesols, il fallait que vous preniez toute la mesure d’une phrase, celle de Gandhi : « Le voyage le plus important pour l’homme, c’est celui qui consiste, au moins une fois dans sa vie, à faire le tour de soi-même ». Vous aviez voyagé tout autour de la France et de ses DOM, vous aviez déménagé des dizaines de fois dans Paris, vous aviez sillonné la terre de la Nouvelle-Zélande à la Patagonie chilienne, de Punta Arenas à San Pedro d’Attacama, de Lapaz à Panama city, de Managua à Antigua, de Vancouver à Banff, de Delhi à Leh, de Fort Cochin à Jodphur, mais, vous ne vous étiez pas rencontré.

 

 

 

astrolabe4.jpgVos parents avaient réussi le tour de force d’avancer dans la vie en faisant l’économie de cette rencontre avec eux-mêmes. Ils avaient cru se rencontrer dans l’intérêt profond porté à l’autre, aux autres mais ils étaient dans la fuite d’eux-mêmes. Ils se désertaient ! Votre sœur et vous avez fait le choix de la rencontre et, durant deux jours, les deux jours qui ont précédé son départ, vous avez pu aller encore plus loin dans la rencontre et, aussi, vous re-rencontrer dans des postures de femmes et de sœurs, d’épouses et de mamans. L’enfance, l’adolescence, les années de construction adulte, les silences et les jeux, les peines et les rires, les morts et les vivants étaient là, présents, mais cela n’était enfin plus une douleur et seulement un amour, l’amour de deux sœurs nées dans une famille tourmentée qui s’étaient construites vaille que vaille et avaient tâtonné longtemps pour aller vers le bonheur.

 

 

 

Camille_Claudel_atelier.jpgSois heureuse ma sœur, ma jumelle. Ne ménage pas ta peine ! Prends la main de ton mari, il te guide ! Assume la joie ! Ne pense plus à ceux qui n’y sont pas parvenus, mais aime les dans la tendresse car, à leur manière, ils ont essayé d’être heureux mais que c’était trop difficile !

 

 

 

Virginie, Joséphine, Aurore

 


 

Dans tes cheveux dorés, l’humidité tropicale lance des rouleaux bouclés.

 

Ton nez est comme un petit monticule de terre dans une vallée non labourée.

 

Tes yeux noirs que la fatigue fait se saluer analysent tout sur leur passage.

 

Ton ventre, poussé en avant, menace ton jeune équilibre.

 

 

 

Petite Virginie, tu avances en noir et blanc sur les dalles de la terrasse ombragée.

 

Tu souris aux anolies, cours après les chats que tu vêts comme des poupées et peuples tes jardins secrets de personnage de légende.

 

Réo, le fidèle adopté, te suit, pas à pas, dans tes aventures au monde des Colonnes.

 

 

 

Toute la maisonnée est concentrée sur toi et tes silencieuses activités.

 

martiniquaise.jpgMarie-Denise t’entoure d’un amour tout maternel. Claire te promène sur sa belle épaule musclée. Stanislas te suspend dans les airs. Emile te prépare à manger et Emilienne te surveille à la dérobée.

 

 

 

Jblog-32346-josephine-de-beauharnais-270213044624-846603721.jpgoséphine, dés que la reine paraît, tu te jettes à son cou et t’accroches à sa jambe comme le naufragé à sa bouée.

 

Triste, mais fière, tous les soirs ou presque, tu regardes la Mère-Reine partir, si belle, à des soirées. A ses côtés, le Père-Roi, si fier de l’accompagner.

 

 

 

Virginie-Joséphine, le Roi-Père a rêvé ta naissance. Il voit en toi comme en lui-même et l’amour qu’il te porte est immense en dépit des maladresses, des silences et de la distance bretonne.

 

 

 

Anne-Lorraine, que ton accent antillais transforme en Anne-Loaine, jalouse, cruelle, mais aussi tendre et aimante, te protège d’instinct à l’ombre de ses longs cils noirs.

 

 

 

Toutes les deux, vous enfermez en vous-mêmes pour oublier les absences du père et les premières larmes amères de la mère.

 

 

 

972_Martinique_othd.jpgLes Noëls sont grandioses, les anniversaires féériques, les week-ends maritimes, mais les parents de lointains voyageurs mondains s’abîmant dans la fuite d’eux-mêmes.

 

 

 

La métropole t’a volé tes rouleaux bouclés, arraché à tes bonnes fées, contrainte à l’esclavage de vêtements trop serrés et privé de ton soleil bien-aimé.

 

Ton âme blessée a laissé pousser sur ton corps les traces rouges de sa douleur, mais, avec l’harmonie retrouvée, l’amour de ton mari, de tes enfants, les rayons de Los Angeles, les stigmates s’effacent.

 

 

 

Lumio-20130712-00089.jpgVirginie, ma sœur, mon enfant, mon amie, la Martinique, premier berceau, t’a offert en cadeau la liberté, l’indépendance, l’originalité, la créativité, l’amour des grands espaces et, aujourd’hui, je t’écris, alors que deux océans nous tiennent en respect, un Atlantique et un Pacifique, ma fierté pour celle que tu es et l’Aurore qui, enfin, en toi paraît.

 

 

 

Pour les 39 ans de ma sœur, un poème écrit le 29 août 1998 et retravaillé le 23 septembre 2013.

 

 

 

Saint-Germain-des-Prés-20130910-00871.jpgAnne-Lorraine Guillou-Brunner