Chronique de retrouvailles

Puerto Natales.JPGDix ans plus tôt, ils s’étaient rencontrés au mois de février, dans la petite ville de Puerto Natales, en Patagonie chilienne. Ils étaient français. Il était anglais. Ils avaient trouvé un point de chute dans la maison de Nancy. Nancy hébergeait pour une nuit, parfois plusieurs semaines, des voyageurs. On descendait du bus sans trop savoir où on allait trouver un toit et elle était là. Elle s’approchait de vous sans précipitation. Elle vous offrait de venir chez elle et tout naturellement, vous lui emboitiez le pas dans les rues de la ville. Son sourire était doux, son verbe rare mais son rire vous surprenait telle la cavalcade d’un groupe de poneys sauvages dans la New Forest. Très vite, vous aviez l’impression de l’avoir toujours connue et d’être un membre de sa famille. Chez elle, la vie s’organisait dans la cuisine. Une grosse bouilloire en fer blanc crachait du matin au soir sa vapeur blanche au-dessus du poêle. bouilloire.jpg

 

torres-del-paine-park-chili.JPGLes voyageurs échangeaient autour d’une table étroite couverte d’une toile cirée à motifs jaunes et blancs. La plupart d’entre eux revenaient aussi enthousiastes que fourbus du parc national de Torres del Paine. Les autres attendaient de le découvrir. On dépliait des cartes et on échangeait ses impressions en buvant un verre de gato rosso ou de gato bianco. Les cartes de ceux qui revenaient, après une semaine de marche, étaient abimées. Elles avaient été exposées à l’humidité, au vent. A force d’être dépliées et repliées, elles avaient gagné en épaisseur. Maintenant, elles étaient chères à leurs propriétaires. Une anecdote, un souvenir était enfoui dans chacun de leurs plis. Les vitres des deux grandes fenêtres de la cuisine se couvraient doucement de buée. Pas assez, cependant, pour cacher à la vue des voyageurs un ciel rendu étonnement bleu par la pureté de l’air. C’était une illusion mais, ici, on pouvait se croire comme à l’abri de la pollution. Mieux, dans un endroit du monde qui continuerait à vivre ignorant de la révolution industrielle.

 

ruines-ecosse-avec-ruines-dore-gustave.jpgBen s’exprimait dans un espagnol parfait et, physiquement, il tenait plus du latin que du celte. Pourtant, c’était un pur produit britannique et, du côté paternel, ses ancêtres avaient possédé un château en Ecosse dont il ne demeurait plus qu’un tas de ruines au-dessus desquelles les moutons devaient sauter avec aisance. Il était au terme d’un voyage de six mois commencé au Mexique. Dans quelques jours, il retrouverait sa chère île et ses élèves.

 

wwoofing.jpgIls avaient un point commun : la Nouvelle-Zélande. Ses études secondaires terminées, Ben était parti travailler dans une ferme en qualité de wwoofer. Le wwoofing est un mouvement associatif né en Angleterre en 1971. Il permet à des agriculteurs décidés à promouvoir une agriculture biologique de recevoir chez eux des personnes souhaitant travailler en échange du gîte et du couvert. Dans une ferme de l’île du Sud, il était tombé sous le charme de ce pays. Il rêvait du jour où il y retournerait. En Nouvelle-Zélande, assurément, il avait du, sans même le savoir, croiser de lointains cousins écossais.

 

rolwaling-himal-nepal.jpgBen était rentré en Angleterre tandis que le couple de français continuait son périple. Huit mois plus loin, le même couple avait la joie d’aller accueillir à l’aéroport international de Katmandou leur ami anglais. En s’installant dans le taxi, il s’était réjoui de ne pas avoir à accrocher sa ceinture de sécurité et tout son être avait cherché à prendre le pouls de ce pays où il posait le pied pour la toute première fois. Pendant trois semaines, ils avaient marché dans des endroits absolument superbes et les liens qui s’étaient tissés alors entre eux étaient définitifs. Dans une des nombreuses agences de trekking du quartier de Thamel, de vieilles photos de leur expédition dans le Rolwaling doivent finir de jaunir. Quelques semaines après, Ben, au Tibet, rencontrait dans un car une jeune suisse italienne.

 

chenille.jpgBen et Katya étaient venus les voir dans le Gard. Le couple de trois n’avait pour l’heure que leur numéro un âgé d’un an mais déjà numéro deux se développait à l’abri des entrailles maternelles. Un soir, on avait projeté les diapositives de l’Amérique du Sud et du Népal. Comme presque tout le monde, ils avaient succombé aux charmes de ce bout de Provence et avaient été conquis par la beauté sauvage des gorges de l’Ardèche. De leur passage, numéro un avait conservé dans sa bibliothèque l’histoire de la chenille affamée qui se transforme en un magnifique papillon.

 

rugby france angleterre.jpgPendant sept ans, ils avaient échangé de loin en loin. Les hommes avaient plaisir à s’envoyer des sms pendant les grandes rencontres France/Angleterre du tournoi des six nations et aussi lors de la coupe du monde. Ben et Katya s’étaient mariés en petit comité quelque part sur l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande. Le père avait célébré leur union face à l’océan pacifique. Si la mariée portait une belle robe blanche, ses pieds étaient nus dans l’herbe grasse et verte. Le marié, de son côté, avait une veste mais pas de cravate. Le soleil de fin de journée faisait briller dans leurs yeux des reflets dorés.

 

eurostar.jpgEt cette semaine, ils étaient là sur le quai de la gare. En plus de leurs deux énormes sacs à dos, ils tenaient par la main une adorable petite fille de quatorze mois, une Zoé, incroyable mélange de son père et de sa mère. La petite fille
avait voyagé depuis Londres, empruntant deux trains et le métro, sans manifester la moindre impatience.

 

cepes-2.jpgEntre cueillettes de magnifiques cèpes de Bordeaux dans les bois et parties de pêche sous une chaude pluie estivale, repas animés et farniente dans le hamac, éclats de rire des enfants et rappel des souvenirs chiliens et népalais, les trois jours étaient vite passés. Un matin, déjà, il fallait s’embrasser sans savoir quand on pourrait se revoir. Pour eux, une chose semblait acquise : même si de longues années pouvaient s’écouler avant qu’ils se retrouvent, l’amitié née dans la cuisine de Nancy, façonnée le long des flancs népalais était inoxydable.

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Quinze jours après le retour à la maison, les traces blanches des maillots de bain sur les peaux hâlées s’estompent mais le soleil des vacances continue de faire danser des reflets dorés dans les mèches des cheveux. Les filles portent autour du cou les colliers confectionnés avec des coquillages ramassés dans le sable corse. Les deux listes des fournitures scolaires sont toujours en bonne place sur le bureau maternel. Les géraniums se remettent doucement de la quantité massive de pluie reçue en leur absence. Le bougainvillier a attendu leur retour pour se couvrir de fleurs rouge orangé. Numéro trois a retrouvé, sous le matelas de son lit, son deuxième doudou qu’on avait cru définitivement perdu.

mures.jpgTous les soirs, après le dîner, les enfants poussent la porte du portillon et vont se régaler de mûres gorgées de soleil sucré. Au centre aéré, les enfants jouent autour des dieux et déesses de la mythologie. A nouveau, les commodes disparaissent sous une accumulation d’objets confectionnés avec les animateurs : masques en plâtre, mikado et sa boîte, puzzles, balles de jonglage. La rentrée gagne du terrain dans les esprits. Les araignées replient leurs toiles. Les enfants se réjouissent de retrouver tous leurs amis et d’échanger leurs souvenirs de vacances et les murs des écoles et des garderies de se couvrir, à nouveau, de dessins, de peintures et de collages.

 

Bonne fin de mois d’août !

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner