Chronique entre prière et escalade en solo intégral

Dans cette nouvelle chronique vont se croiser deux films: « La prière » de Cédric Kahn et « Free solo » de Jimmy Chin et de sa femme Elizabeth Chai Vasarhelyi. Nous avons vu le premier Stéph et moi lundi dernier depuis le canapé de la mezzanine tandis que le trio était couché et que Fantôme montait la garde au pied de l’escalier et le second, hier soir, en famille. Stéphane, Victoire et Louis étaient installés sur des fauteuils pour enfants en mousse et toile et Céleste et moi étions sur le canapé. Bien sûr, Louis avait tendu sa jambe à son papa pour que ce dernier lui fasse des guilis. Bien sûr, Victoire pestait devant les gesticulations de son petit frère qui ne peut pas rester calme. Bien sûr, Céleste faisait craquer ses doigts à intervalle régulier. Bien sûr, j’étais emmitouflée dans une couverture rose. Ces deux films relatent tous deux des histoires vraies. Tous deux donnent à ressentir un fort sentiment de quête intérieure, de volonté profonde de dépassement de soi et de très forte mise en danger.

Dans « La prière », Cédric Kahn raconte l’histoire d’un jeune breton, Thomas, âgé de vingt ans en rupture de banc qui consent à venir se sevrer de l’héroïne dans une communauté créée par une religieuse italienne mais gérée par des laïcs, tous anciens toxicomanes. Le sevrage est terrible car il se fait sans recours à des produits de substitution mais avec le soutien d’un ange gardien, un volontaire déjà sevré, et des autres frères qui eux aussi ont traversé le même enfer. Le sevrage dépassé, il importe de se reconstruire dans la durée. Le travail, la prière  et les temps de parole sont les moyens utilisés pour y parvenir.Tous les acteurs sont absolument remarquables. Anthony Bajon qui incarne Thomas a reçu l’ours d’argent du meilleur acteur.

https://www.youtube.com/watch?v=Y1bR6hCyMqM

Dans « Free solo », Jimmy Chin, alpiniste, skieur et réalisateur et sa femme Elizabeth Chai Vasarhelyi suivent Alex Honnold, grimpeur professionnel américain de 33 ans célèbre pour ses ascensions en solo intégrale. On le voit se préparer à réaliser l’ascension d’une voie que jamais personne n’avait encore osée défier sans être assuré: El Capitan, une façade de 914 mètres à la verticale vertigineuse et à la surface presque tout à fait lisse. El Capitan se situe dans le parc national de Yosemite dans lequel je serais heureuse un jour d’aller marcher. Le Yosemite est niché dans les montagnes de la Sierra Nevada. Il est le second parc national classé aux Etats-Unis après Yellowstone, en 1890.

Dans le documentaire se fait jour la personnalité complexe de ce trentenaire aux airs de Peter Pan avec des yeux immenses brillants d’intelligence et de malice. En voyant évoluer Alex Honnold, on pense à Patrick Edlinger, pionnier de l’escalade à mains nues. C’était absolument fascinant de le voir épouser à la perfection les reliefs d’une montagne et évoluer telle une araignée avec grâce et facilité. Patrick Edlinger incarnait une certaine idée de la liberté de l’homme venant se confronter à une nature sans chercher à la dominer. Dans les yeux d’Alex Honnold, on retrouve la même lumière que dans ceux de Patrick Edlinger. C’est un film « La vie au bout des doigts » qui avait rendu célèbre celui qui qualifiait son sport d’opéra vertical, un art comme la danse dont « la chorégraphie est dictée par les prises ». Le film est sorti en 1982. J’avais 13 ans et je me rappelle combien les images m’ont marquée.

https://www.youtube.com/watch?v=CZlxY5rNGJk

Dans le fond de mon coeur et de mon âme, une alpiniste sommeille et, dans la partie sportive de notre tour du monde, ce sont les moments de haute montagne qui m’ont le plus plus. Avec la naissance d’enfants mis au monde sans péridurale, je ne connais rien de plus fort que de se lever à minuit dans une tente scintillante de givre, d’enfiler ses vêtements, ses chaussures et de partir faire l’ascension d’un sommet situé à 6300 mètres d’altitude. Je ne connais rien de plus incroyable que ce sentiment de dépassement de soi quand on a atteint le but en ligne de mire depuis douze heures et après que chaque pas ait été un effort tant l’air manque. Je ne connais rien de plus libérateur que de s’endormir le soir après presque dix-huit heures de marche, dans sa tente, enveloppée dans son sac de couchage et de fondre en larmes parce que, dans la descente du sommet, la corde s’est prise dans la glace et que vous êtes redescendu non pas en rappel mais au piolet, qu’en arrivant au camp de base, les porteurs, malades du fait de l’altitude avaient tout remballé, qu’il a fallu, groggy de fatigue encore descendre sur une partie glissante et que le guide, épuisé, dans un passage très raide, ne vous a pas correctement assuré et que vous avez fait une chute de plusieurs mètres et êtes tombé le dos sur la roche. Ma toute petite expérience de la haute-montagne sur des voies non techniques m’a permis de comprendre pourquoi les alpinistes ne peuvent jamais s’arrêter de grimper et sont prêts à courir le risque de mourir pour une hivernale sans assistance.

Quand nous étions à Bonneval-sur-Arc, j’ai appris la mort de deux alpinistes, l’italien Daniele Nardi et le britannique Tom Ballard, dans l’ascension du Nanga Parbat (8126 mètres) par l’éperon Mummery situé au Pakistan. C’est dans cette même tentative que la française Elisabeth Revol a été secourue en janvier 2018 par des alpinistes polonais tandis que son compagnon de cordée le polonais Krzysztof Wielicki, légende de l’himalaysme de son pays perdait la vie. Tom Ballard était le fils de l’alpiniste écossaise Alison Hargreaves disparue quelques mois après son ascension de l’Everest sur les pentes du K2. En 1988, elle avait gravi seule par la face nord l’Eiger alors qu’elle était enceinte de six mois de son fils. Quand j’ai lu que Tom Ballard était porté disparu, je me suis dit qu’il avait été rejoindre sa mère dans l’éternité des glaces. Il n’avait que six ans quand sa passion pour l’alpinisme la lui avait ravie.

Alex Honnold free soloing the Scotty-Burke offwedth pitch of Freerider on Yosemite’s El Capitan. (National Geographic/Jimmy Chin)

Dans le film sur la vie en communauté d’anciens toxicomanes et dans le documentaire sur la préparation et la réalisation de cette ascension en solo intégrale se font jour la même volonté, la même recherche d’ascèse, la même quête de dépassement de soi mais dans le film Thomas et ses frères cherchent à lutter contre la dépendance quand, dans le documentaire, on devine combien Alex Honnold est addicte à la pratique de l’escalade et que, sans doute, aucun exploit ne viendra jamais réparer les dégâts causés par les remarques toujours négatives de sa mère. La capacité d’Alex Honnold à se lancer de tels défis a suscité l’intérêt des médecins qui l’ont soumis à une IRM du cerveau. L’examen a montré que son amygdale réagissait très peu à la peur. Est-ce parce que depuis de longues années Alex Honnold vit dans le dépassement permanent de ses peurs ou parce que, dès le départ, son amygdale fonctionnait différemment? Le documentaire n’apporte pas la réponse.

https://www.youtube.com/watch?v=FRGF77fBAeM

Pendant toute la durée de l’ascension en solo intégral d’Alex Honnold, nous avons tous les mains humides et, pourtant, nous savons qu’il réussit dans son entreprise. Ce n’est pas le cas des amis qui le filment et qui, certainement, sont en apnée pendant plus de trois heures et, dans certains passages, sentent leur coeur défaillir. Je me demande quel sera le nouveau défi qu’Alex Honnold se lancera à lui-même. Quand il ne vit pas dans son Van et grimpe, il s’occupe de sa fondation Solar energy. Une partie de ses revenus sert à apporter l’électricité via des panneaux solaires dans des villages qui n’y ont jamais eu accès.

http://www.honnoldfoundation.org/#mission

Il est facile pour Stéphane et moi de faire le lien entre ces deux films. Je l’ai souvent raconté mais je vais recommencer pour celles et ceux qui découvriraient ce blog. Quand Stéphane et moi avons participé à notre journée de préparation au mariage  à Vonnas, village situé dans la Bresse, nous étions les futurs mariés les plus âgés. Nous avions 29 ans. Nos histoires de vie et ce que nous avions déjà traversé à deux ne nous laissaient aucune illusion sur la vie de couple: elle ne serait pas un long chemin couvert de pétales de roses mais un sentier escarpé, avec des passages de névés, parfois de la neige et des crevasses. Mais, ce qui compterait c’est que nous demeurions encordés l’un à l’autre la position de premier de cordée pouvant changer sachant que ce que nous chercherions par dessus tout c’est d’avancer de concert côte à côte. Pour illustrer notre propos, nous avions choisi une vieille photo en noir et blanc d’un couple d’alpinistes progressant sur une voie difficile. Bientôt vingt ans après et quelques aient été les difficultés et les avis de tempête, personne n’a dévissé. Très récemment, une amie séparée de son compagnon me demandait quel était selon moi le secret de la réussite d’un couple. Je ne prétends pas détenir la recette magique mais je pense que la parole et la persévérance sont deux éléments importants pour inscrire son couple dans la durée.

Un journaliste, dans sa critique du film « La prière » écrivait que, pour lui, ce film portait plus sur la fraternité que sur la prière. Une scène du film peut choquer alors que sa raison d’être semble assez évidente du point de vue de celle qu’une foi sans réserve anime: la religieuse ayant crée cette communauté. Après un dîner réunissant les femmes et les hommes de la communauté, chacun doit prendre la parole devant les autres pour expliquer son parcours et ce qu’il ressent à présent. Certains témoignent de leur guérison totale, d’autres parlent de leurs peurs d’affronter le monde extérieur, d’autres encore évoquent leur rechute et leur retour à la communauté. Thomas n’arrive pas à mettre des mots sur son expérience. Le soir tombé, la religieuse demande à lui parler. Il s’agenouille devant elle. Elle lui demande s’il est heureux dans la communauté et si la prière l’apaise. Par deux fois, il répond oui et par deux fois elle lui administre une gifle violente. Enfin, Thomas fond en larmes et enfouit son visage dans les genoux de la religieuse laquelle lui caresse les cheveux avec douceur l’invitant à laisser pleurer le petit Thomas prisonnier du jeune adulte et qui souffre.

Cette scène est très forte. La religieuse veut montrer à Thomas la différence entre une prière dite avec le coeur et l’âme et une prière répétée à l’envi sans qu’elle soit habitée. La religieuse a constaté que celles et ceux qui avaient quitté la communauté avec une foi pas assez chevillée au corps avaient pu replonger. Le film s’inspire de la communauté du Cénacle fondée par une soeur italienne, Elvira Petrozzi. Soeur Elvira était née dans une famille particulièrement pauvre et le fait d’avoir été exposée à l’alcoolisme de son père a fait naître plus tard chez elle le désir de se consacrer aux toxicomanes. Il existe soixante cénacles dispersés aux quatre coins de la planète.

La communauté des frères de saint-Jean propose aussi de venir en aide aux jeunes qui veulent décrocher de la drogue. Trois maisons peuvent accueillir des jeunes pour leur permettre de se reconstruire et de réfléchir à un projet de vie. Contrairement à ce qui se pratique dans les cénacles, dans les maisons des frères de Saint Jean, les jeunes ont déjà bénéficié d’un sevrage par des produits de substitution. Les trois piliers sont le travail, l’amitié et la quête de Dieu.

Le 7 mars 2016 s’éteignait à l’âge de 95 le Père Michel Jaouen célèbre pour avoir embarqué à bord de ses goélettes des délinquants et des toxicomanes pour les aider à se réinsérer dans la société. Né dans le village de Kerlouan dans le Finistère, ce fils de médecin était devenu jésuite avant d’entrer dans la résistance sous le nom de Jean le Coeur. Ordonné prêtre en 1951, il crée l’aumônerie de la jeunesse délinquante devenue l’association des amis du jeudi dimanche. Voyant la mer comme un moyen de réinsertion (il a été aumônier à la prison de Fresnes pendant 13 ans), le Père Jaouen installe une base à Landéda, dans le Finistère, en 1954. A Paris, il construit le foyer des Epinettes pour accueillir ceux qui sortent de prison et s’attache à y mélanger des personnes aux horizons très divers.

En 1968, avec le Père Alain Maucorps, il fait l’acquisition du Bel Espoir, une goélette à trois-mats à bord duquel il embarque des délinquants et des toxicomanes encadrés par un équipage d’appelés du Service militaire. Le père Jaouen et le père Alain Maucorps veulent redonner goût à la vie à ces jeunes en leur faisant éprouver la liberté liée à la navigation tout en leur donnant un cadre fort car, on le sait, la vie à bord répond à une rigueur militaire. Les délinquants et les toxicomanes sont souvent en commun d’avoir grandi dans des familles dans lesquelles les parents n’ont pas su ou pu jouer leur rôle d’éducateur, de tuteur. Les parents étaient parfois défaillants souvent violents en gestes et ou en paroles. Les jeunes n’ont pas pu ressentir de confiance en eux n’étant porté par aucun projet parental. Chez ces jeunes, le chagrin se mue en colère, une colère de plus en plus sourde qui les conduit à se mettre en danger, à chercher des limites.

Dans les Cévennes, pendant notre marche avec deux ânes, j’avais acheté dans une incroyable librairie près de la place du marché à Florac un livre passionnant:  » Marche et invente ta vie » du journaliste désormais retraité, Bernard Ollivier. J’en avais longuement parlé dans l’une de mes chroniques consacrée à la dimension thérapeutique de la marche. Frappé par une dépression très profonde, Bernard Ollivier s’est guéri en marchant des milliers de kilomètres. L’idée de son association Seuil destinée à redonner un sens à la vie de jeunes délinquants est née alors qu’il cheminait sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle et y rencontrait deux jeunes délinquants belges. Un juge intelligent leur avait fait choisir entre la marche et la prison. Depuis bientôt un an, cette lecture a continué de murir en moi et, quand je le pourrai, je serai heureuse de devenir la « marraine » de jeunes filles ayant besoin de temps, d’écoute, de bienveillance pour se reconstruire une image positive d’elles-mêmes en cheminant.

https://www.franceculture.fr/personne/bernard-ollivier

Plus je vieillis, plus j’avance dans ma pratique de sophrologue tant pédagogique qu’analytique et plus je sais que les addictions et les dépressions ne se soignent pas dans des structures médicalisées. A de très rares exceptions près, je ne connais pas de dépressifs et ou de toxicomanes qui aient repris le cours d’une vie normale après une hospitalisation. Dès la sortie, souvent, c’est la rechute violente et mortifère et ce sentiment terrible de honte vis-à-vis de ses proches qu’on déçoit une nouvelle fois…On s’en sort si on a compris les racines de son mal-être qui, souvent, remonte à la petite enfance, si on pu apprendre à combattre ses angoisses par la marche, le jardinage, la course à pied, la respiration, la contemplation, la prière, qu’on a trouvé des interlocuteurs aimants, confiants et positifs. On s’en sort si on peut aussi continuer à parler avec des personnes qui ont vécu la même chose. Les réunions des alcooliques anonymes donnent d’excellents résultats.

Plus je vieillis et plus je ressens de la colère devant l’absence réelle de prise en charge de ceux qui souffrent et qui en viennent à penser qu’ils sont condamnés au mal-être qui devient alors comme une vraie nature car le cerveau des dépressifs chroniques finit par être altéré et ne plus fonctionner positivement. Les récits que me font tant de personnes de leurs longues années d’analyse, de leur prise en charge par des psychologues cliniciens et, désormais par des coach de vie (comme si on cochait sa vie comme on dit gérer ses enfants…) me désolent. Je sais parfaitement bien qu’il existe d’authentiques thérapeutes remarquables et bienveillants mais ils ne sont pas si nombreux que cela. La posture qui consiste à laisser l’analysé ou le patient accoucher par lui-même de ses problèmes me semble atteindre vite ses limites. Le silence, finalement, ne viendrait-il pas cacher une incompétence ou alors faire en sorte que le travail dure très longtemps? Si certaines personnes ont besoin de temps, seraient perdues si on les bousculait ou si on les amenait sur des chemins qu’elles ne sont pas encore prêtes à envisager, est-il normal qu’un travail dure plus de dix ans?

Je profite de cette chronique pour remercier une nouvelle fois mon amie Constance qui fut l’un de nos témoins de mariage le 31 juillet 1999 pour une très délicate attention qu’elle a eue en prévision de nos cinquante ans et de nos vingt ans de mariage et dont Stéphane et moi avons eu vent. Constance et moi nous accompagnons depuis plus de vingt-cinq ans. Si Constance a beaucoup voyagé tant en Asie qu’en Afrique et vit depuis plusieurs années avec son mari et leurs fils à Washington où elle exerce son métier de sculpteur, nous restons toujours proches l’une de l’autre. Nous nous épaulons quand les voies deviennent plus escarpées. Nous nous réjouissons des temps de bonheur de l’une ou de l’autre.

Une convergence d’évènements nous conduit à reporter ce temps de partage que nous avions à coeur de vivre avec nos proches le dernier week-end de septembre. Nous avons envie de nous sentir vraiment dans de bonnes dispositions morales et physiques pour l’organiser.

Le printemps est là. Si nous avons toujours de belles gelées en fin de nuit, le soleil s’offre avec générosité et la nature explose de joie. Profitez-en pour marcher, de préférence en forêt pour faire le plein des bonnes ondes diffusés par les arbres, respirer tranquillement, sentir les rayons du soleil vous réchauffer, prendre le temps d’un café ou d’un apéritif à la table d’une terrasse.

Hier matin, entre deux patients, j’ai rejoint une amie et nous avons marché deux heures avant de déjeuner au soleil dans son jardin. Quel moment délicieux!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.