Chronique de trente-six heures à Paris dans la vie d’une femme

carte-monde.jpgDimanche, elle avait espéré quitter la maison avant que la nuit ne devienne aussi épaisse qu’une couche d’écran total néo-zélandais et, très vite, le cadran de la nouvelle pendule de la cuisine, une pendule couverte de noms de capitales lui rappelant leur grande respiration de treize mois, sur quatre continents, s’était mis à indiquer vingt et une heure trente.

Le trio dormait du sommeil du juste après un week-end bien rempli. Le samedi, numéro un était partie, pas coiffée (non mais, à quoi ça sert ?) et à peine habillée (Quentin, je le connais depuis toujours et il m’aime comme je suis !) fêter les huit ans d’un petit camarade des années crèche au bowling, numéro deux avait reçu trois petites amies et numéro trois, un petit copain, accompagné de sa maman. Les petites filles s’étaient déguisées tout l’après-midi et, à intervalles réguliers, numéro deux était sortie de sa chambre, transformée en théâtre d’opérations militaires, en pleurant à chaudes larmes parce que ses petites amies ne voulaient plus jouer aux jeux qu’elle avait initiés. Une maman s’était évertuée à lui faire comprendre que les petites filles n’étaient pas des objets mis à sa disposition mais des êtres faits de chair et de sang qui pouvaient très légitimement avoir envie de jouer à autre chose qu’à ce qu’elle avait décidé sans qu’il soit nécessaire de voir dans ce choix la fin ou un manque d’amour. A aucun moment, elle avait eu le sentiment que numéro deux avait vraiment compris l’explication et, pour être honnête, les crises de sa fille n’étaient pas sans lui rappeler celle d’une autre petite fille au grand cœur mais redoutablement autoritaire et chef de bande au même âge, que la petite princesse au visage tout chiffonné qui se tenait devant elle et n’avait pas du tout envie de prêter une oreille attentive à un laïus qu’elle connaissait par cœur !

Le-fils-a-Jo (2).jpgNuméro trois et son petit camarade avaient, de leur côté, sans larmes et sans cris, joué, dans une harmonie parfaite, aux pirates auxquels le petit joueur de rugby en herbe préférait retirer le dessus de la tête, donnant l’impression que les pirates avaient rencontré, au larges des côtes de Barbarie, de redoutables chefs Sioux arrivés là par l’opération de l’esprit du grand bison ! Désormais, elle en était sûre et d’ailleurs, elle ne faisait plus rien pour repousser le plus loin possible cette éventualité terrible pour une mère attachée aux ourlets parfaits et délicats des oreilles de son fils et à la courbe grecque de son nez, son fils serait un inconditionnel de l’ovalie, « un fils à Jo », un mangeur de boue, un fou du plaquage, un amoureux de la mêlée, un pilier de troisième mi-temps. Dans la famille, personne n’avait joué au rugby, sauf elle, au collège, à Rochefort sur mer, et elle n’avait jamais oublié ce qu’une bande de filles âgées de treize ans pouvait donner sur un terrain de rugby en plein hiver océanique : non pas un délicieux pas de deux entre deux soeurs jumelles mais plutôt un immense règlement de compte à OK corral !ovalie.jpg

galette-des-rois.jpgLa maman du petit garçon et la maman du trio avaient été heureuses d’échanger autour d’une tasse de thé, d’un gâteau roulé au chocolat et d’une galette maison frangipane, poires et éclats de chocolat. Dans la galette, on avait pris soin de glisser autant de fèves qu’il y avait d’enfants ! Le papa était là mais personne ne pouvait le voir. Du fond du jardin, non loin du prunus qui, au printemps se couvrirait de ravissantes petites fleurs roses et apporterait comme un air de fête japonais dans ce bout du Gâtinais, il travaillait sans relâche dans une ancienne remise bientôt reconvertie en bureau bunker. Dans son bureau diablement ouvert sur tout le reste de la maison, il ne parvenait plus à réfléchir et à passer ses coups de téléphone après l’arrivée de la « meute » entre 18h40 et 18h50. Il était impossible de canaliser la belle énergie du trio et les heurts entre lui et sa femme s’étaient multipliés. Elle se sentait parquée avec le trio au rez de chaussée quand, lui, à l’étage, se sentait agressé par le trio auquel sa femme pouvait assez facilement ajouter sa propre énergie ! Donc, parce qu’il était las que les clients potentiels et les fournisseurs attitrés entendent, dans le téléphone, en fond sonore, les hurlements du trio, les éclats de rire, les mots d’esprit de « la famille pirate » et les rappels au calme maternels, il avait décidé de s’expatrier à cinquante mètres de la zone de turbulences. Demain, il ne lui resterait plus qu’une couche de peinture blanche et des plinthes à poser. Il était heureux du travail accompli. Les enfants l’avaient aidé le matin. Les manteaux, remisés dans la buanderie, étaient là pour l’attester !pirates.jpg

Le samedi, la porte d’entrée s’était refermée vers 19 heures sur les derniers parents. Miraculeusement, elle n’avait pas aspiré le fin bracelet d’or qu’une des petites amies de numéro deux avait perdu sur le damier noir et blanc de la grande pièce du bas. C’est au moment où la maman de Noémie appelait pour faire part de la disparition du dit bijou que la maman aspirante avait vu briller le bracelet sur un carreau noir.

buzz l'éclaire.jpgLe dimanche, on avait déjeuné, très tard, avec une amie et ses deux enfants âgés de huit et six ans. Les filles avaient offert un défilé de haute couture, les garçons avaient joué aux voitures, à monsieur patate et à Buzz l’éclair (elle y jouait également, dans son bureau, quand numéro trois et ses sœurs étaient à l’école !) et le papa avait honoré ces dames de sa présence entre deux couches de blanc et deux plinthes. La galette aux pommes avait eu plus de succès auprès des enfants que la galette aux framboises. Des amis voisins s’étaient joints avec leur petite Cerise à la joyeuse bande et tout ce petit monde avait devisé et joué, refait le monde et chanté, ri et dansé autour d’une tasse de café transformée en tasse de thé et, pour finir, métamorphosée en verre de Ti’punch pour ces messieurs et de muscat pour ces dames.

ohio.gifAprès le départ des amis, la maison était dans un état proche de l’Ohio. La maman n’était pas affolée plus que ça. Avec les années, elle avait appris à faire face à
toutes les situations de rangement, y compris les plus désespérées et, de ce point de vue là, le dernier anniversaire de numéro deux en avril et l’avant-dernière version de la Saint Nicolas avec concours d’œufs Kinder écrasés dans les chambres des enfants resteraient, à jamais, de grands moments ! Son mari et elle, dans les deux cas, avaient été au bord de la rupture. Elle avait senti passer sur sa nuque le vent frais de la lame imaginée par monsieur Guillotin. Elle s’était dit que les fins d’après-midis de goûters d’enfants étaient pour leur couple ce qu’étaient pour celui de leurs parents respectifs et de tant d’autres, les merveilleux départs en vacances avec leur chapelet d’embouteillages, d’arrêts tendus sur des airs d’autoroute bruyantes, de files d’attente dans des toilettes sales, sans papier et surchauffées, de chamailleries dans les fratries, de menaces parentales fantasmées ou concrétisées, d’animaux suffoquant, de poissons rouges et de tortues de Californie trimballés dans des sacs en plastique suspendus au rétroviseur et d’accrochages très violents entre les adultes parce que celui qui conduit reproche à celui qui ne conduit pas de ne pas être capable de lire correctement cette carte qu’il a tant dépliée qu’elle l’ampute de toute une partie de son pare-brise, pire d’avoir, trop tard, crié que c’était là, justement là qu’il fallait sortir ! Sur l’autoroute, difficile de tenter une marche arrière, y compris, il y a trente ans !

marry poppins 1.jpgAu moment de partir dans une nuit froide et épaisse, ses yeux avaient été attirés par les magnifiques dessins réalisés avec de grosses craies de couleur sur la bande de pierre entourant le devant de la longère. Elle avait revu la scène où les pouvoirs prodigieux de Mary Poppins permettent aux enfants d’entrer dans les tableaux imaginés et d’y vivre des moments spupercalifragilisticexpidelilicieusement bons !

monsieur patate.gifElle a en horreur de conduire à la nuit tombée à la fois parce qu’elle est éblouie par ces ignobles phares blancs auxquels elle n’a jamais pu s’habituer et parce que sa vision est effrayante. Elle a un rendez-vous chez l’ophtalmologiste mi-février. Il était temps. Ce sera l’occasion de se débarrasser d’une paire de lunettes que ne renierait pas une certaine chanteuse grecque devenue député européen et croisée à Strasbourg quand elle y avait travaillé ! A cette peur de conduire la nuit vient s’ajouter celle de l’explosion de son pneu avant gauche déformé par une jolie hernie consécutive à une rencontre fortuite avec un bord de rond-point ! Quand elle roule sur un revêtement rugueux comme il s’en trouve un dans le sens Paris-Lyon, elle est à peu près certaine que la voiture va, dans un grand éclat de rire, se disloquer comme les yeux, le nez, les oreilles, la bouche, le chapeau et les bras de monsieur patate ! Enfin quand un père n’a jamais été en mesure de dominer son angoisse de rouler, que son métier lui a permis de vivre sans conduire jamais et qu’une mère était un véritable fou du volant des affreuses CX de fonction et terrorisée à l’idée de crever un pneu de l’une de ses 4L collector ayant survécu à tout, y compris à l’humidité saline des Antilles, seule, la nuit, sur une départementale non éclairée, bordée de larges platanes cachant, forcément, des brigands armés de poignards étincelants, les freins à une conduite sereine sont nombreux !

crevaison.jpgOnze heures du soir ! Elle est arrivée à bon port. Ni crevaison ni brigand ! Elle se gare à la place laissée inoccupée par l’ancienne conductrice de CX et de 4L. Le compte à rebours commence : trente six heures pour vivre le Paris qu’elle aime comme elle l’a connu et vécu : seule, célibataire, sans enfants et les doigts directement branchés dans la prise !

rue_des_Ecouffes_Oratoire_Fleischman.jpgLundi. Un matin froid, un matin gris. Comme à chaque fois, elle se lève alors que les résidents de l’immeuble dorment encore et se laisse glisser dans un bain brûlant en écoutant la voix profonde de l’animatrice de TSF Jazz, la radio cent pour cent jazz. Parfois, elle se rendort. Maintenant, elle a stocké assez de calories pour monter dans un RER B, avant que les rames ne se fassent hammam. Elle décide de descendre à la sation Luxembourg, riche en souvenirs. Il est bien trop tôt pour que la dame des marrons ait pris son poste devant l’entrée, côté rue du Gay-Lussac. Elle passe la Seine par le pont cher aux amants maudits de Carax. Elle marche en direction du Marais. Elle avance dans la rue des Rosiers. Une délicieuse odeur se dégage des boulangeries. Elle tourne dans la toute petite rue des Ecouffes. Elle y découvre entre un boucher dont le rayon de charcuteries lui rappelle ceux qu’elle a admirés à Budapest et une fondation dédiée à la mémoire d’un étudiant en médecine mort à l’âge de dix-neuf ans, une toute petite synagogue qu’elle n’avait jamais vue. Une synagogue comme dans un conte de fée. Au travers des rideaux, on perçoit de la lumière. Elle n’est jamais entrée dans une synagogue et la voici qui se souvient de ces promenades en famille du Gard jusqu’au Vaucluse pour visiter la plus vieille synagogue de Carpentras qui, à chaque fois, était fermée ce jour-là. La synagogue de Carpentras faisait partie de la légende familiale, un peu comme l’Arlésienne!synagogue-carpentras.jpg

Constance Chabrières.pdf.jpgElle débouche en face du métro Saint Paul, tout près de l’église saint Gervais Saint Prothais qu’une de ses amies, une sculptrice très douée expatriée depuis peu à Washington, Constance Chabrières-Puech, lui avait fait découvrir. Elle avait été très touchée par l’atmosphère de vraie communauté et de profond recueillement propre à ce lieu. Elle pensait toujours à son amie quand elle passait devant et, parfois, prenait le temps d’en pousser la porte. Elle descend les marches du métro. Elle croise un vieux monsieur, un juif orthodoxe. Elle est à un cheveu de lui demander de lui parler de la fondation jouxtant la synagogue et puis elle renonce. Le métro prend la pause à Bastille. Deux jeunes femmes, des violoncellistes descendent portant sur le dos, telle la tortue, leur instrument volumineux. Certainement, ces deux musiciennes sont elles membres de l’orchestre de l’opéra Bastille sur lequel sa grand-mère maternelle aimait tant à déverser une partie de sa colère. Elle ne se pouvait pas se réoudre à l’idée que les opéras ne soient plus donnés à Garnier. Pour elle, c’était une hérésie, une catastrophe planétaire, un désatre culturel. Elle avait pensé très fort à cette grand-mère, cett
e passionaria, en découvrant que Garnier consacrait une exposition à l’époque Liebermann.

escalier-chapelle-loretto2.jpgPlace de la Nation. Pendant une heure, recroquevillée sur la plus haute marche de l’escalier desservant le sixième étage, elle attend un médecin qui n’arrive pas. Elle est sur le point de renoncer quand, dans un bruit de soucoupe volante, l’ascenseur s’immobilise et que le docteur en sort. Déjà temps de repartir en sens inverse pour une rendez-vous avec son adolescence, ses quinze ans, les années castraises, un rendez-vous attendu dix-sept ans. On se plait souvent à moquer son impatience. Pourtant, elle, elle trouve qu’elle est très résistante face à l’attente!

Voyage-Hermes-ad-print-B.jpgIl la suit depuis cinq minutes. Il s’est garé dans un trou de souris près du restaurant. Elle est sortie du métro à Pont de Neuilly. Il s’amuse à avancer dans son sillage orange et, peut-être, respire-t-il une fragrance qui se nomme « voyage ». A un l’arrêt rendu obligatoire par un feu devenu rouge, elle est presque sûre de l’avoir vu. C’est son troisième oeil qui a reconnu sa silhouette, ce troisième oeil que les professeurs et les mamans développent quelque part au milieu de l’arrière du crâne et dont les pouvoirs, auréolés de magie blanche ou noire, laissent interdits les enfants et les étudiants.

Elle se retourne. Deux jeunes hommes s’apostrophent violemment. Très vite, ils en viennent aux mains. La scène est volente et froide comme cette fin de matinée hivernale. La jeune fille qui accompagne l’agressé tente de les calmer. La silhouette qui la suivait ne peut pas rester indifférente à ce spectacle. Il s’adresse à eux mais, eux, ils n’entendent rien si ce n’est le bruit des battements de leurs coeurs. Puis, un homme sort, un homme qui a du pratiquer les arts martiaux pendant plus de vingt ans et il se porte au secours de l’agressé que l’agresseur maintient plaqué au sol.

C’est alors qu’elle l’appelle. Il s’approche d’elle. Ils tournent le dos à cette scène de violence au quotidien entre deux jeunes hommes qu’une jeune fille, peut-être, avait, à son coeur défendant, contraint à en venir aux mains et aux poings. Ils tournent le dos car ils ne sont pas des voyeurs.

OutofAfrica.jpgDans le restaurant, de magnifiques jambons secs sont suspendus à des poutres. Au milieu, un immense zinc, deux immenses zinc, et des hommes, encore des hommes, en costume, élégants. L’ambiance emprunte à la fois au Sud-Ouest et à une sorte de club anglais. Tout d’un coup, elle se rappelle un de ces moments favoris de l’admirable « out of Africa ». La baronne Karen Von Blixen quitte pour toujours le Kenya, l’ethnie sur laquelle elle a veillé, sa plantation de café, la tombe de l’homme qu’elle a aimée et rejoint son Danemark où elle y racontera sa ferme africaine. Les hommes du club l’invitent à partager un verre avec eux. Droite, fière, elle avance et commande un scotch qu’elle boit d’une traite après avoir porté un toast au passé. Elle pose son verre sur le comptoir et s’en va. Elle ne reviendra plus.

zinczinclyonre.jpgLe Kenya disparaît, Neuilly revient. Ils prennent place. Elle a l’impression qu’il est encore sous le coup de la violence de la scène à laquelle ils ont assisté. Elle est absoulment saisi qu’en dix-sept ans, il ait si peu changé. C’est vraiment incroyable! Tellememnt incroyable qu’elle est sûre d’avoir devant elle le jeune homme qu’elle a connu quand elle avait quinze ans.

Archange_Raphael-33f50.gifIl porte le prénom d’un des archanges et aujourd’hui, aujourd’hui vraiment, elle comprend combien ce prénom lui va bien. Comme de trop rares êtres, il ne juge jamais. Il est mesuré, sage. A ses côtés, elle a l’impression d’être une sorte d’avis de tempête en mer d’Iroise, une vague qui va passer la digue et tout emporter sur son passage. Il sourit. Il dit qu’il avait oublié son « petit » côté MLF. Bizarrement, elle ne se sent pas MLF dans le sens où elle n’a jamais aspiré à devenir l’égal de l’homme car cela n’a pas de sens. Elle ne souhaite pas que les femmes se travestissent en hommes et que les hommes se déguisent en femmes. Elle veut juste que les femmes aient les mêmes droits (puisqu’elles ont les mêmes devoirs) que les hommes. Elle voudrait même ne pas appartenir encore à cette génération de femmes contraintes de s’inscrire dans la revendication pour faire valoir leurs droits à un traitement identique dans des domaines où hommes et femmes expriment leurs compétences et toute la riche palette de leurs différences. Elle a peur des univers professionnels strictement féminins comme elle se défie des mondes exclusivement masculins. Les deux sexes ont tant à s’apporter dans tous les secteurs de la vie.

Les coquilles Saint Jacques sont très bonnes. Il a fini par oublier la bagarre de toute à l’heure. Le temps passe trop vite. Déjà, il faut se dire au revoir. Ils ont manqué de temps pour remettre toutes les pendules à l’heure mais l’essentiel est là, acquis, elle le pense, définitivement: les années passent mais ils arrivent à rester fidèles à eux-mêmes et à ce qu’ils ont vécu.

mlf.jpgElle le raccompagne jusqu’à sa voiture. Le soleil tente une percée de courte durée. MLF oblige, la fois prochaine, c’est elle qui l’invite à déjeuner!

expo-louvre-antiquite-revee.jpgElle remonte la grande avenue en direction de l’Etoile. Comme elle aime le musée du Louvre plus que n’importe quel autre lieu dédié aux arts, elle s’offre l’exposition « l’antiquité rêvée ». Elle est fascinée par une toile du Lorrain dont, malheureusement, elle ne se rappelle pas le litre et ne parvient pas à trouver une reproduction. La pauvre Psyché abandonnée la bouleverse. La toile est traitée par David comme s’il avait pensé avec la sensibilité de Seurrat. Elle a, à présent, rendez vous, à la brassrie le Jean-Baptiste, au terminus de la ligne 10. Elle n’a jamais aimé cette ligne et encore moins le terminus. Au fil des stations, les rames se vident et, à la fin, on se sent bien seul et peu rassuré!

aux captifs_.jpgSon cousin arrive à l’heure dite. Ils s’installent dans des f
auteuils club très confortables et les voici partis pour deux heures d’échanges riches, profonds. Ils se ressemblent, c’est une évidence. Il lui parle éthique du soin, soignant. Elle lui parle bioéthique, don d’éléments et produits du corps humain. Il lui parle de mère Théreza. Elle lui parle de soeur Emmanuelle. Ils évoquent l’orgueil et l’ego. Ils se promènent du côté du pardon et de l’énergie, des arts martiaux et du yoga, des engagements citoyens et des limites personnelles. Il regarde sa montre. Sa vie est minutée. Depuis que voici six ans, il a été nommé à la tête de l’association « Aux captifs, la libération! », c’est bien simple, il ne s’appartient presque plus! Elle mesure sa chance d’avoir pu le voir deux heures!

laurent-gaude-la-porte-des-enfers1.jpgMardi. Au métro Villiers, une nouvelle bouffée de souvenirs: une amie, Alix, une rue, la rue Claude Pouillet, un marché, celui de la rue de Levis, un restaurant, « le petit prince », un chat abandonné un été et recuilli, un cinéma, le Wepler, un enterrement de vie de jeune fille, une rencontre avec un travesti superbe digne d’évoluer dans un Almodovar sur ses huit centimètres de talons aiguilles et qui lui avait lançé « ma chérie, tu vas te marier. Quelle prison, le mariage! File avant qu’il ne soit trop tard! ». Elle n’avait pas filé. Le travesti était rentré, appelé par son « homme ». Rue Ballu, elle découvre une succession de ravissants hôtels particuliers. La SACEM et la SACD sont bien logés. Beaumarchais doit être satisfait! Elle dépose son manuscrit comme une sorte de mise en pratique d’un très lointain cours de propriété littéraire et artistique. A l’oral, l’examinateur l’avait interrogée sur les oeuvres collectives. La personne qui accueille son manuscrit est très agréable. Sa famille habite à quarante kilomètres de Napoli. Elle lui dit que c’est la ville d’Italie qui l’a toujours le plus attirée. Ils parlent de Laurent Gaudé, de son  « soleil des Scorta » et de sa « porte des enfers ». Elle oublie de mentionner la magnifique « auberge des pauvres »  de Tahar Ben Jelloun dont l’action se déroule également à Naples. Il a du travail. Elle ne veut pas le mettre en retard.tahar ben jelloun.gif

printemps.jpgElle sort. Elle se laisse glisser jusqu’à Saint Lazare et remonter jusqu’au dernier étage du Printemps. Sous le dôme, elle écrit sa chronique en dégustant un chocolat si dense que le déjeuner ne sera pas possible. Le temps passe. Les trente six heures sont bientôt écoulées. Elle reprend le métro à la station palais royal après s’être offert une dernière étape chez le joaillier du 7 de la place Vendôme, Philippe Tournaire dont elle a découvert le splendide travail quand ils vivaient à Montbrison, dans la Loire et dont, à l’annulaire de la main gauche, brille une des anciennes créations: une bague de fiancailles que son futur mari avait si bien choisie, un mélange de modernisme et d’antiquité. Depuis, l’artiste à la grande silhouette a fait sa route de la Loire à Lyon et de la capitale des Gaulles à Paris.Tournaire.jpg

Daho.jpgTrente six heures sont passées et, pour dire vrai, elle a affreusement mal aux pieds! Elle rentre chez elle. Avant de couper le contact, ses yeux redécouvrent les dessins à la craie des enfants. Ils sont beaux et Daho est « au commencement ».

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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6 commentaires sur “Chronique de trente-six heures à Paris dans la vie d’une femme

  1. Que j’adore te lire….
    Je culpabilise d’espérer encore tes nuits sans sommeil !
    Le comble, je t’aime tant et il faut dormir ….
    Merci pour cette farandole de mots !
    Catherine

  2. Par hasard et pas rasé..(LG).pour la découverte « hasardeuse »de ce site,( le hasard n’existe pas )
    c’est splendeur divine ce Jet du miroir de l’âme, écrit dans une plume qui ressemble au noisetier, voir au sureau.
    Ce serai des romans du livre Nombre et Temps accessible aux Humble.
    Benedictem del

  3. Merci pour vos mots. Comme vous, je ne crois pas au hasard et tout, un jour ou l’autre, fait sens! A bientôt, j’espère.
    PS: certaines de mes racines me conduisent à aimer l’olivier.

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