Chronique du plateau à l’approche de l’été

Une pluie douce tombe sur le jardin. Les iris résistent encore quand les pétales roses du rhododendron et des pivoines forment un tapis sur l’herbe humide. Les hellébores ont perdu leurs belles étoiles blanches ourlées de vert. La lavande fleurit. Le magnolia persistant ne nous a pas encore offert sa première fleur au délicat parfum de cédrat. C’est une joie toujours renouvelée de suivre le développement de la nature au fil des saisons.

Les anneaux et le trapèze du portique se couvrent de vert de gris, preuve que les enfants ne viennent plus s’y suspendre pour réaliser des acrobaties. Les corps dégonflés de ballons de foot et de rugby disparaissent sous les herbes folles, preuve que notre fils ne s’y intéresse plus. La toile du trampoline était couverte d’aiguilles et de pommes de pin. En prévision de la venue de Boucle d’Or, j’ai tout balayé comme j’ai arraché les ronces venant s’accrocher au filet. En fermant les yeux, je peux encore entendre les rires et les cris du trio et de leurs amis quand ils y sautaient. Lorsque j’avais, également, envie de m’y défouler, cela agaçait prodigieusement notre Fantôme, notre berger australien baptisé « lion du plateau ». Il aurait voulu m’y rejoindre. Une année alors que j’étais avec une patiente dans le cabinet, un camarade de Louis était venu toquer à la porte pour me prévenir que mon fils s’était mal réceptionné après avoir fait une roulade. Ma patiente, pompier bénévole, s’était portée au secours de Louis gisant sur la toile du trampoline. Elle l’avait manipulé avec beaucoup de douceur et féliciter pour ne pas avoir bougé. Les garçons étaient rentrés dans la maison et ma patiente avait pu retrouver sa place sur le canapé, allongée sous le sac de couchage.

Deux enfants sont au nid: Louis qui passe son bac cette année et Victoire, revenue de Reims samedi dans la journée. Les deux années de la licence sont terminées. Si notre cadette et tous ses camarades ont beaucoup travaillé, ils se sont aussi tissés une très belle mémoire commune. La première année, Victoire était dans une résidence étudiante et en septembre dernier, Noa et elle ont choisi de partager un appartement. Elles l’ont décoré avec soin et elles y ont passé plusieurs mois très agréables. Le balcon offrait des possibilités d’apéritifs en plein air et de petits déjeuners ensoleillés. Notre fille s’est totalement épanouie dans ses études. Elle a eu beaucoup de plaisir à s’investir dans le bureau des arts, association étudiante au sein de laquelle elle avait été élue après avoir mené une campagne avec d’autres élèves. Elle était heureuse d’aider dans leurs devoirs des enfants deux fois par semaine. Deux années s’étaient presqu’écoulées et il me semblait qu’hier, nous accompagnions Victoire à Reims et découvrions son campus à l’occasion d’un cocktail organisé par l’école pour les familles. J’avais pu rester quelques jours avec elle sans la voir beaucoup. Elle était accaparée par les évènements destinés à permettre aux jeunes de se rencontrer et de commencer à nouer des liens. J’avais découvert la ville, fait des courses, préparé des repas, retrouvé la joie des machines à laver collectives et, surtout, des séchoirs qui ne sèchent pas grand chose! Victoire avait investi dans un étendoir après avoir durablement rivalisé d’ingéniosité pour réussir à faire sécher vêtements, serviettes et draps dans son petit studio.

C’est Stéphane qui a fait l’aller-retour à Reims pour réparer la poignée de la porte d’entrée, faire l’état des lieux et aider Victoire à charger dans le coffre tout son déménagement: vêtements, draps, couette, affiches, livres, faitout, théière, lampe dénichée chez Emmaüs, table et fer à repasser. Etudiante au Maroc à la rentrée, elle n’emportera rien et ces objets seront utiles à Louis au moment de son installation dans sa vie étudiante.

Tandis que j’écris, Victoire prépare pour le déjeuner un ramen, plat rodé à Reims. C’est agréable quand les enfants se mettent aux commandes des fourneaux et nous font découvrir de nouvelles recettes. Pas facile de se réinventer en cuisine, surtout quand il s’agit de la cuisine du quotidien. De son côté, Louis révise des fiches en sciences et vie de la terre et le chat dort sur le dos, les quatre pattes en l’air. Notre aînée est en stage en oncologie pédiatrique à Robert Debré.

Dimanche, j’ai eu la joie, pour la fête des mères, d’être entourée par nos trois enfants. J’ai goûté pleinement ce moment. Plus les enfants avancent en âge et plus les occasions de les réunir se font rares. Nombreux sont les enfants qui vivent géographiquement loin de leurs parents. En couple, on apprend aussi à composer avec la famille de l’autre. J’avais offert à notre maman de venir à la maison mais elle était trop fatiguée. Elle a été ravie de concocter un délicieux déjeuner à ma soeur qui n’avait pas ses enfants. Pour le déjeuner, pas de gâteau mais des fraises très parfumées achetées au marché. Bonheur de sentir la maison pleine de vie, de partager le canapé de la mezzanine avec les filles pour suivre une série américaine, de les entendre interpréter avec le micro spécial karaoké de leur frère la chanson de Françoise Hardy et Jacques Dutronc: « Puisque vous partez en voyage », plus tard de chanter à quatre voix un air de Gilbert Montagné et encore plus tard de nous lancer dans une imitation du bêtisier des Petites annonces avec perruque, vieilles vestes, lunettes de ski ou encore casque de chevalier du Moyen Âge.

Tandis que nous riions beaucoup, Louis, depuis la terrasse, peignait une toile avec tout le matériel de son grand-père transmis à son père. Il a toujours aimé dessiner mais il s’est récemment découvert une authentique passion pour la peinture qui l’apaise et le rend heureux. C’est merveilleux de voir les passions passer d’une génération à une autre. Le plus bel héritage!

Lundi soir, Victoire et Louis s’étaient installés dans le bureau paternel. Victoire brodait des perles sur un tee-shirt tandis que Louis réalisait sa première aquarelle. L’ambiance était à la veillée portée par des morceaux de Ravel et Debussy.

Demain, les chrétiens célèbreront la fête de l’Ascension et les autoroutes de France conduisant aux rives de la Méditerranée ou aux plages normandes tenues en respect par de hautes falaises crayeuses seront saturées. Demain, le soleil sera revenu et nous aurons planté les pieds de tomates. Vendredi, notre aînée soutiendra le mémoire venant clôturer ses trois années d’étude en école d’infirmière. Elle a choisi de traiter un sujet complexe rarement étudié, celui de l’accompagnement des patients colostomisés et de leurs proches. Elle a su mettre en lumière tout ce qui se jouait pour les patients et encore plus pour les patientes tant la vie avec une poche définitive vient fragiliser la perception que l’on de son corps et la manière dont on va désormais devoir accepter ces transformations radicales. Le rôle des proches est très important. Notre fille peut, dans ce métier si exigeant, laisser s’exprimer toutes ses grandes qualités. Pour illustrer son mémoire, Céleste a choisi une phrase de Jean Watson, professeur émérite de l’Ecole des sciences infirmières de l’Université du Colorado et fondatrice du Center for human Caring, qui éclaire la manière dont elle envisage l’exercice de sa profession:  » Prendre soin, ce n’est pas seulement faire, c’est aussi être là, présent, attentif, humain. »

Le défi que je me suis lancée après les vacances de la Toussaint m’a laissé peu de temps pour une vie sociale épanouissante et une vie culturelle variée mais je voudrais terminer cette chronique avec le post pour Instagram dans lequel je présentais un film que j’ai beaucoup aimé: « Il me semble que nous sommes nombreux à, parfois, nous laisser aller à nous imaginer d’autres vies. Ainsi je me suis rêvée en gardienne d’un enfer, un phare en haute mer, en gardienne d’un refuge en montagne, en épicière ambulante au volant de son camion après avoir vu « Le fils de l’épicier » et, aussi, en bergère transhumant son troupeau des plaines provençales aux estives des Alpes. Dans toutes ces existences très dures et exigeantes, j’aurais eu des plages pour écrire. Je ne pouvais qu’aimer le film « Bergers » de Sophie Deraspe adapaté de l’autofiction de Mathyas Lefebure « D’où viens-tu berger? ». Nous l’avons vu hier avec Stéphane. Il raconte les aventures de Mathyas, jeune trentenaire québécois, quittant son métier de publicitaire et son pays pour assouvir sa quête d’authenticité, retrouver la nature et vivre sa passion pour le pastoralisme. A Arles, il fera la connaissance de bergers, de la douce Elise. Il fera ses premières armes auprès d’un éleveur instable psychologiquement et physiquement diminué et sympathisera avec Ahmed, berger marocain résidant en France depuis quarante ans. Il vivra une transhumance, la naissance des agneaux, les mois d’estive, la magie et les violences de la vie sauvage. Ce très beau film fait réfléchir à ce qui se passe quand on confronte idéal et réalité. Il rappelle combien l’homme est rapidement démuni face à la puissance des éléments. Il dit les liens forts unissant l’homme à ses bêtes. Il évoque la place des loups dans des espaces à partager. Les acteurs sont remarquables. Félix-Antoine Duval qui campe Mathyas est merveilleux de sensibilité.  »

Une très belle fête de l’Ascension à vous toutes et tous,

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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