Chronique d’un mois de janvier qui s’achève

Il fait nuit, hier, quand je me décide à ranger les santons. La grande boite qui a dû contenir des bottes attend sur une chaise depuis plusieurs jours. C’est toujours à contre coeur que je défais la crèche. Je suis seule dans cette pièce qui fut longtemps notre chambre avant de devenir le bureau de Stéphane. Un canapé-lit peut toujours accueillir des amis de passage. Sur la table basse, un jeu d’échecs, des numéros du Courrier international, une tasse à thé contenant des coques de pistaches vides et un verre avec, dans son fond, un morceau de citron vert. Une armoire bretonne a été transformée en bibliothèque. Avec les livres s’offrant sans résistance à la poussière, des objets réalisés par les enfants comme cet Everest en terre cuite signé Louis, des bijoux fantaisie et des photos. C’est depuis cet inventaire à la Prévert que Stéphane échange avec des scientifiques, des chefs étoilés, des sportifs de haut niveau et des élus. C’est depuis ce lieu placé sous le signe de l’hétéroclisme le plus total qu’il accouche de son projet et le voit faire ses premiers pas suivis de ses premiers mots.

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Il fait nuit, hier, quand je prends délicatement chaque santon dans ma main, le regarde, lui dit à l’année prochaine avant de l’emmailloter dans une feuille de papier absorbant. Les santons sont si délicats que je crains toujours d’en casser un. Je les manipule comme s’il s’agissait de pièces découvertes dans la tombe d’un pharaon. Quand tous les santons ont pris place dans la boite, je plie les feuilles de papier rocher. Enfin, je glisse le tout sous l’armoire bretonne non loin d’un sac contenant des pelotes de laine et des pièces de tissu. En rangeant les santons, je pense aux enfants qui, durablement, m’avaient suppliée de laisser la crèche encore quelques jours. Je revois notre petite nièce, Charlotte, la veille de Noël, se racontant des histoires en jouant avec les Arlésiennes et les moutons. Cette année, nous n’avons pas profité de la crèche comme nous le faisons quand elle est installée dans la pièce à vivre. La faute au chaton. J’avais peur qu’il ne s’amuse avec les santons et qu’une chute de plus de deux mètres sur les carreaux ne leur soit fatale.

Les santons dorment désormais d’un sommeil paisible dont ils ne sortiront pas avant le premier dimanche de l’Avent. La présentation de Jésus au temple approche et, dans tous les supermarchés, on trouve des montagnes de farine, de pots de confiture, de pâte à tartiner et de poêles. Je ferai des crêpes et en apporterai à Muguette. Quand j’étais étudiante en droit, notre père me disait: « Achète-toi un camion et vends des crêpes. Tu travailleras très dur pendant quelques années et, ensuite, tu pourras faire ce que tu veux. » Les seules fois où j’ai acheté des crêpes fabriquées dans la rue, elles étaient absolument et infectes et épaisses comme des steaks. Certainement, les vendeurs utilisent-ils des préparations industrielles. C’est comme le chocolat chaud dans les cafés: de l’eau chaude vaguement aromatisée au chocolat. Je me rappelle encore du meilleur chocolat chaud que j’ai bu. C’était en décembre 2002, à Montpellier. J’avais eu rendez-vous avec la directrice juridique des hôpitaux. L’entretien s’était si bien passé que j’étais presqu’assurée d’avoir le poste. Je n’étais pas encore enceinte de notre premier enfant. Ce chocolat était un délice. Il était si dense qu’il se mangeait plus qu’il ne se buvait. Au fond de ce chocolat, il me semblait lire la promesse d’un avenir professionnel.

Une ruelle dans le coeur de Montpellier, un entretien professionnel et un chocolat envoutant, on est bien loin des santons et des crêpes de la Chandeleur! Bel exemple d’un esprit d’escalier! Ce matin, ce n’est pas mon contrôleur sanglé dans son costume impeccable -même si j’ai noté que depuis les fêtes de fin d’année, il peine à fermer les boutons de sa veste- qui m’a réveillée pour me débarquer du train sur le quai d’une gare perdue dans une toile froide de Delvaux mais madame la Pluie qui se déchaînait au-dessus du plateau. Après cette entrée aussi puissante que l’ouverture d’un opéra de Verdi ou de Wagner, nous avons eu droit à une bruine persistante. Le soleil a réussi à éclairer le plateau peu de temps avant que la nuit ne descende lentement et peigne de noir le paysage. Parfois, quand je regarde par la fenêtre de mon cabinet, de mon Ar-Men, Parfois, j’aimerais que l’océan céréalier qui me tient lieu de paysage soit secoué par de belles vagues, que l’écume vienne se déposer sur les sentiers, que les mouettes remplacent les corbeaux et le sable blanc l’herbe verte. Parfois, pendant nos sorties, avec Fantôme, j’aimerais que les coquillages remplacent les silex et les algues aux yeux craquants les mottes de terre arrachées aux champs. Parfois, avant que la nuit tombe, j’aimerais voir des sirènes sur les dos des chevreuils et des pingouins jouant au tarot avec les moutons.

Nous ne savons toujours pas à quelle sauce nous serons reconfinés mais, désormais, mêmes les infectiologues s’inquiètent des effets dramatiques de ces temps de repli social sur la santé mentale de la population. Il serait question de trois semaines de vacances pour les élèves et pour les trois zones en même temps. Les élèves sont las des gestes barrières. Ils commence à baisser la garde. Peut-on leur en vouloir? Nous sommes tous épuisés par cette vie en pointillés et l’absence de perspectives.

Finissons sur une note gaie. Mardi matin, brièvement, j’ai vu Muguette. Elle buvait son traditionnel café avec Eugène. Tous deux avaient un petit bonnet vissé sur le crâne. Eugène taquinait Muguette en lui disant qu’il allait falloir songer à retourner dans le potager. Comme tous les ans, à la même époque mais chaque année avec plus de certitude, Muguette disait ne pas en avoir envie. Ce matin-là, j’ai appris de la bouche de Muguette qu’on plantait les pommes de terre quand le lilas avait fleuri. Ce à quoi Eugène qui a grandi en Normandie avait ajouté que son père plantait toujours ses pommes de terre le 1er avril.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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