Chronique du récit d’une violente nuit d’orage par quatre ados à quelques encablures de la rentrée

Une semaine que nous avons retrouvé la maison et le plateau, Muguette et son arche de Noé. Victoire et Louis ont pu revoir des amis. Céleste, elle, pas encore. Quand nous sommes rentrés, des araignées avaient brodé de magnifiques toiles dans tous les coins et recoins. Dans le jardin, l’herbe ressemblait à de la paille. Les fleurs avaient souffert et sans graine ni boule de graisse, les oiseaux avaient disparu. Pour le dîner du retour, nous avions pu préparer une salade avec les tomates du potager.

Après les seize semaines dans la maison et la canicule de cet été, je n’ai pas réussi à refabriquer de l’énergie. Toute la journée, il me semble n’avancer que sur mes seules forces mentales. Habituellement, la marche me fait le plus grand bien tant physiquement que moralement mais, cette fois-ci, je me rends compte que nous étions trop fatigués pour cette aventure.

Dans quelques jours, Victoire aura fait son entrée en seconde et, le lendemain, Céleste et Louis auront découvert leur classe de terminale et de quatrième. Ce sera la dernière année pour Céleste à la maison et Stéphane et moi commençons à réfléchir au cadre qui sera le meilleur pour elle dans ses débuts de vie d’étudiante. J’ai vécu avec notre grand-mère quand j’étais en DEUG de droit. Ce n’est qu’en licence que j’ai eu un petit studio très agréable à cinq minutes à pied de mon université en échange de temps consacré quotidiennement à deux jeunes garçons. Le studio était vite devenu une annexe de notre université. Je partageais volontiers avec mes proches le panier de provisions que notre père constituait pour moi au marché le samedi matin et que je récupérais le dimanche. De son côté, Stéphane, étudiant en prépa d’école de commerce, partageait un très grand appartement familial à Lyon avec un de ses amis d’enfance. Son père lui préparait des plats qu’il n’avait plus qu’à faire réchauffer. Tous deux avons eu la chance (car c’est est une!) de ne pas être livrés à nous-mêmes à l’âge de dix-huit ans, de ne pas avoir à faire nos courses et à nous préparer nos repas. Nous n’étions pas seuls dans un espace ridiculement petit. Nos familles n’étaient pas loin. Nous avons à coeur de trouver pour notre aînée le cadre dans lequel elle se sentira le mieux possible.

Dans la chronique relatant nos aventures sur le chemin de Stevenson avec cinq adolescents, deux ânes et trois tentes, je vous annonçais que je laisserais les jeunes vous faire le récit de cette nuit d’orage absolument incroyable que nous avons vécue la veille de notre retour dans le Gard. Nous étions dans un camping à Finiels. Sachant que nous allions avoir de l’orage, Stéphane avait attaché les trois tentes solidement. Il s’inquiétait sur le point de savoir si nos deux tentes du « tour du monde » résisteraient à une pluie soutenue. Alors que nous étions à 1400 mètres, il faisait chaud et lourd. A partir d’une heure du matin, les éclairs éclairaient le ciel mais sans grondement de tonnerre. Un peu plus tard, la pluie s’abattait avec violence sur le toit de la tente et j’entendais les voix des enfants. Je crus, un instant, qu’ils revenaient trempés de la salle commune où ils s’étaient installés pour jouer aux cartes. Stéph avait eu le temps de mettre le matériel des ânes à l’abri.

Voici le récit de Valentin, de Céleste, de Victoire et de Louis. Il manque celui de Margot qui, deux jours avant, avait été contrainte de renoncer à la marche en raison de douleurs osseuses dans les tibias.

Valentin, 16 ans. « Il était environ deux heures du matin quand je fus réveillé par un déluge de pluie et de grêle à vous percer les tympans. L’orage nous entourait; la foudre frappait sans cesse comme des obus tombés du ciel quand j’ai entendu Anne-Lorraine crier: « Les sacoches! ». Ces dernières étaient restées dehors. Suivi un cri strident de Victoire me faisant penser que leur tente était inondée. En même temps, Louis qui dormait sous le même toit que moi se préparait à partir dans la salle commune du camping se situant à une centaine de mètres en contre-bas de notre emplacement. Nous nous étions très rapidement habillés. Nous tenions notre sac de couchage dans nos bras et avions enfilé une paire de tongs. Cette idée d’évasion fut immédiatement refusée par Stéphane qui cria: « Restez dans vos tentes, c’est trop dangereux! ». Pendant ce temps-là, Victoire et Céleste avaient accueilli une femme et son fils qui cherchaient refuge. Toujours dans l’excès, Louis proposa d’héberger des gens dans notre tente qui était étanche car, sinon, « ils allaient mourir ». A la suite de ces évènements, je me suis emmitouflé dans mon sac de couchage et ai difficilement joué aux cartes avec mon partenaire car, tétanisé, je n’arrivais pas à tenir mes cartes. Nous avons disputé une partie de Uno puis je me suis immédiatement enfoncé dans mon sac, me forçant à dormir pour m’échapper vers mes rêves. L’orage aura duré plus de deux heures terrifiantes mais on a bien ri le lendemain en écoutant les différentes versions des uns et des autres de cette nuit particulière ».

Céleste, 17 ans. « Vers une heure trente du matin, je suis réveillée par un orage horrible. La foudre, le tonnerre et les éclairs étaient terrifiants. Je regarde alors Victoire qui était réveillée et nous étions toutes les deux apeurées. C’est à deux heures du matin que tout a vraiment commencé. Une pluie accompagnée de grêle à trouer la tente s’est abattue sur notre toit. Cinq minutes plus tard, je suis attirée par une lumière orange venant de l’extérieur. J’ai cru alors que la tente des parents avait été frappée par la foudre et qu’elle était entrain de prendre feu. Je me dirige rapidement vers la sortie de la tente en tremblant et entends une dame qui hurlait. Victoire, tétanisée, me dit seulement: « Oh, putain! ». Je sors donc de la tente et tombe nez à nez avec une dame que je pense être maman tenant dans les bras un enfant que je pensais être Charlotte, notre cousine âgée de trois ans, la petite soeur de Margot et de Valentin. Je me mets alors à hurler: « Qu’est-ce qu’il y a? Pourquoi elle est là? Qu’est-ce qu’elle fait là? ». J’ai pensé que la tente des parents avait pris feu, que papa s’était fait foudroyer et que maman ne savait plus quoi faire. Finalement, j’ai compris que la dame et ses deux enfants avaient un problème avec leur tente et ils sont venus se mettre à l’abri sous la nôtre. Ensuite, j’ai entendu papa qui demandait : »Vos tentes prennent l’eau? » puis Louis, toujours délicat (comme moi!) qui disait: « Venez dans notre tente sinon vous allez mourir ». Super, Louis, merci, très rassurant! Ensuite, nous avons donné à la maman et à ses enfants de quoi se sécher. Le petit garçon tremblait de peur et de froid. La dame nous a dit que sa mère était née à Montargis et que l’été dernier, déjà, dans ce même camping, ils avaient vécu une nuit d’orage très violente. Vers 2h45, quand la pluie s’est calmée, la dame est repartie avec ses enfants ».

Victoire, 15 ans: « Plongée dans un sommeil profond, je suis soudainement réveillée par un tapement continu suivi de grondements aussi forts que les éternuements de mon père. L’orage est juste au-dessus de nous apeurant à lui seul la totalité du camping. Je me tourne vers ma soeur et, d’un coup, l’incompréhension commence. Elle se lève brutalement et se dirige vers la sortie de la tente. Elle ouvre la fermeture, sort sa tête et se met à hurler: « Qu’est-ce qu’il y a? » J’étais totalement tétanisée et incapable d’aligner trois mots. La voix de Céleste résonne de plus en plus fort dans ma tête. J’aperçois une ombre qui me rejoint qui balance un enfant trempé et tremblant sur le matelas situé à mes pieds. Pour moi, c’est clair et net: ce garçon ne pouvait qu’être mort, sans doute foudroyé. Je m’apprêtais à lui faire un massage cardiaque quand il s’est levé pour rejoindre les bras de sa mère et trouver le réconfort de son grand frère. La maman nous explique qu’elle a tenté de marcher jusqu’à sa voiture mais que surprise par la violence de l’orage elle s’est perdue au milieu des emplacements. Nous commençons à discuter nous racontant nos vies respectives et des anecdotes nous faisant bien rire. Quarante-cinq minutes plus tard, la dame est repartie avec ses deux fils. Ma soeur et moi étions épuisées et nous avons basculé dans un sommeil profond malgré les bruits extérieurs et la panique collective. Pour rien au monde, je refuserais de revivre cette aventure qui m’a permis d’expérimenter ce que peuvent ressentir les personnes qui accueillent des réfugiés en tant de guerre. Je me suis endormie heureuse d’avoir pu aider d’un simple geste une famille adorable.  »

Louis, 12 ans:  » Je suis réveillé par un bruit terrible. On dirait que des obus sont tombés dans le pré. J’ai très peur. Quand j’ai peur, je perds la notion de l’espace. Je ne sais plus où est la tente des parents. Valentin se réveille quand la pluie vient se fracasser sur le toit de la tente. J’entends Céleste hurler. Je dis à Valentin de prendre son sac de couchage et ses tongs et crie : »Tous à la salle commune! ». Quand j’entends la voix des parents répondre: « Non, restez sous les tentes, c’est trop dangereux! », cela me rassure car je pensais qu’ils étaient partis se mettre à l’abri. Pour essayer de penser à autre chose, nous sortons le Uno. Quand j’entends un éclair, j’en mesure l’intensité sur une échelle de 1 à 10. L’orage se calme. Nous nous endormons. »

Le lendemain matin, nous avions tous des têtes défaites: de grands cernes, les cheveux en bataille. Autour d’un thé ou d’un cappucino, nous nous sommes racontés nos péripéties de la nuit et avons beaucoup ri des versions de chacun. Céleste a vécu une sorte de cauchemar éveillé. Victoire et Valentin étaient les plus angoissés. Louis, comme Céleste, était prêt à trouver une solution de repli pour se mettre à l’abri. La dame que les filles avaient accueillie est venue me voir pour me dire combien Céleste et Victoire avaient été épatantes et que le temps était venu pour elle d’investir dans une nouvelle tente.

Tandis que je finis cette chronique, la maison est bien calme. Les filles sont parties rejoindre des amis et Louis fait du vélo avec Matisse. Stéphane a installé son ordinateur sur la terrasse, à l’ombre des canisses que la glycine enroule amoureusement. Fantôme est magnifique. Céleste l’a lavé. Une patiente m’avait apporté des poires de son verger. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas mangé des poires aussi sucrées et fondantes. Jeudi soir, notre maison aura un nouveau résident: un chaton né le 3 juin et que Louis a baptisé Cookie-Darwin. Après la si triste fin de Moustache en 2012, je m’étais fait le serment que tant que nous habiterions ici, nous n’aurions plus de chat. Louis était si désireux que notre famille s’ouvre à nouveau à un petit chat que j’ai rompu mon serment. Le même jour, ma soeur et ses enfants accueilleront la petite soeur de Cookie-Darwin, Miyu. Je me demande comment Fantôme acceptera ces deux boules de poils. Fantôme et Moustache s’adoraient. Après la tragique disparition de Moustache, Fantôme l’a longtemps espéré. Le matin, il glissait la tête dans la chatière.

Le matin, la lumière a changé. Sa douceur annonce l’automne. De grosses mûres dépassent des haies. Le potager de Muguette se vide. Elle est lasse de manger des courgettes à tous les repas et à toutes les sauces! Ce matin, vers 8h30, Muguette nous attendait Fantôme et moi. Elle était assise sur un muret, dans son potager, face au soleil levant. Pépette n’était pas loin. Elle portait sa polaire mauve et ses crocs militaires. Je lui ai demandé si elle avait un train à prendre. Notre conversation a été interrompue par l’arrivée de l’un de ses fils, de sa belle-fille et de sa petite-fille. Le trio venait tondre, désherber, tailler et coupe-filer. Nous aurons plus de temps demain matin. Passez une agréable semaine.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

 

 

 

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