Vendredi 9 décembre : au réveil, les enfants sont ravis. Ce soir, exceptionnellement, ils n’iront pas à la garderie. Ils ne monteront pas à bord du bus tout en assistant avec une pointe d’envie aux retrouvailles entre parents et enfants. Pour une fois, ils seront comme les trois-quarts des enfants de l’école : leur maman sera là. Elle les attendra derrière la grille. Leurs visages s’illumineront quand ils la verront. Ils sauteront dans ses bras. Dans son sac, elle aura glissé un goûter à leur attention. Ils iront chercher numéro trois. Il sera assis, à peu près tranquillement, sur un banc, dans sa classe. Ensuite, tous ensemble, ils iront admirer les objets mis en vente au marché de Noël organisé par les membres très actifs de l’association des parents d’élèves. Ce marché de Noël revêt une importance particulière pour les enfants car, avec leurs institutrices comme avec leurs bonnes fées de la garderie, ils ont, depuis de longues semaines, travaillé à la réalisation de la plupart des créations qui seront exposées tout à l’heure. Ils sont fiers de voir ainsi présenté leurs trésors, de les faire admirer à leurs parents et même, parfois, à leurs grands-parents. Ils ont souvent gardé le secret sur ce qu’ils avaient fabriqué en classe.
Tous les ans, toutes les bonnes volontés sont les bienvenues. L’école a la chance de compter en son sein deux artistes qui réussissent à chaque fois à se renouveler et à réaliser des choses magnifiques avec de petits moyens et une imagination sans limites. La maman de trois s’offre pour faire des gâteaux alsaciens. Cette année, elle n’a pas pu y consacrer autant de temps que l’année dernière mais elle est quand même contente devant ses dix coquilles Saint Jacques en métal argenté remplies chacune de butterbredele et de sablés marbrés au chocolat. C’est dans un livre de recettes alsaciennes offert par un oncle et une tante de son mari qu’elle puise de quoi concocter ses petits gâteaux.
Numéro un est encore plus heureuse que les autres que la date du 9 décembre soit enfin arrivée. En effet, tout à l’heure, ils rentreront à la maison avec une de ses amies de classe invitée à dormir et à passer avec eux la journée du samedi. Si la grande petite fille de huit ans est habituée à ouvrir son univers à ses cousins, aux enfants des amis des parents, c’est vraiment la première fois qu’elle reçoit une petite camarade de classe. Les enfants se connaissent depuis la première année de maternelle et elles n’ont encore jamais été séparées. Numéro un a même concocté, pour sa petite amie, le programme des deux jours à venir. Il comprend un passage à la mairie pour faire les passeports des enfants de la famille, une station au poney club où elle monte tous les samedis matins, une promenade autour de la maison, la décoration du sapin et aussi la réalisation de muffins avec des pépites de chocolat. Numéro un a demandé à sa maman si elle accepterait que toutes deux dorment à l’étage dans la chambre qui est réservée traditionnellement aux membres de la famille et aux amis de passage. La maman a accepté tout en se doutant que les filles auraient du mal à trouver le sommeil. Pour cette petite camarade dont les parents sont séparés et qui est enfant unique, c’est aussi une première. Elle n’a encore jamais voulu quitter la maison et aller dormir chez une amie.
La journée passe tranquillement. La pluie dégringole sans interruption du matin jusqu’au soir. Les bourrasques de vent font tanguer les hautes branches du sapin et arrachent aux roses trémières leurs têtes desséchées. La balançoire et le trapèze s’enroulent sur eux-mêmes. La maison grince, gémit. Dans l’air flotte encore comme un lointain souvenir de l’odeur répandue par une bonne dizaine de fournées de petits gâteaux alsaciens. La grosse boule de poils tourne sa truffe en direction des nuages. Elle se demande quand ses maîtres seront enfin disposés à l’emmener courir. En milieu de mâtinée, sous la pluie, la maman de trois se gare devant l’école. Elle a promis de venir aider les membres de l’association des parents d’élèves à mettre en place le marché de Noël. Quand elle arrive, quatre mamans s’affairent au milieu des cartons, des papiers d’emballage, des étiquettes, des nappes et des rubans. En exclusivité, elle découvre le travail accompli par les enfants.
L’école est encore calme à cette heure. Des bruits sourds leur parviennent depuis les salles des trois classes maternelles. Elle étiquette des prix sur des objets et suspend des décorations de Noël à un grand présentoir. Des petites voix lui font redresser la tête. Des petites voix qui chuchotent : « il y a la maman de Louis ». Ses yeux rencontrent alors ceux de son numéro trois, son petit bonhomme de quatre ans qui la regarde et lui sourit. Il ne vient pas à sa rencontre. Les enfants sont toujours étonnés de voir leurs parents dans leur école à une heure où ils ne sont pas censés y être. Il part avec sa classe dans la bibliothèque regarder un petit film. Impossible, avec ce temps, d’aller jouer dans la cour et, involontairement, de remplir ses chaussures et ses poches de pantalon de tous ces petits grains de sable qui roulent, l’heure du bain venue, sur les lattes du parquet, pour le plus grand bonheur des mamans.
Un grand calme s’installe dans l’école. Tandis que les enfants sont devant un dessin-animé, les institutrices et leurs fidèles assistantes viennent découvrir les objets qui sont désormais agréablement disposés sur de grandes tables ou accrochés aux grilles des présentoirs. Certaines en profitent pour déjà réserver des objets qui partiront très vite dés l’ouverture au public du marché de Noël. Les enfants des classes maternelles vont se laver les mains et, en file indienne, gagnent le réfectoire. Le marché de Noël a pris forme. Elle peut rentrer. Trois des membres de l’association mettront les dernières touches à la présentation en début d’après-midi.
Elle pousse la porte de l’école. La pluie tombe toujours avec une joie à peine dissimulée. Elle longe la grille du côté des primaires. Les enfants attendent que les maternelles aient déjeuné pour prendre leur place à table. Ils jouent sous le préau dont les murs ont été repeints par les élèves des classes de CE1 et CE2 avec des motifs pré historiques. Une voix crie : « c ‘est la maman de Victoire » et très vite, Victoire accourt et réclame un baiser qui est difficile à donner entre les grilles. Le bout de son nez est rose et froid.
A quatre heures et demi, il fait presque nuit. Elle se gare pour la troisième fois de la journée sur le parking de l’école. Elle ne stationne presque plus jamais sous le cerisier. Elle laisse la place au papa de Cerise ! Dans son sac, elle a glissé des madeleines pour les enfants. Elle commence par récupérer les trois grandes filles. Numéro deux et son sourire croissant de lune sortent en premier suivie de près par numéro un, ses yeux célestes et sa petite camarade aussi brune qu’elle est blonde. Elle débarrasse les filles de leurs sacs et les laissent faire le tour du marché de Noël. Elle va chercher numéro trois qui se lève dés qu’il la voit et se précipite en direction des objets en la tirant par la main. Il y a tant de monde qu’on parvient à peine à accéder aux tables.
Cette année, on peut craquer pour des sachets de lavande, des cadre-photos, toute une palette de décorations de Noël, des bougeoirs en pâte à sel, des centres de table, des morceaux d’ardoise décorés, des bouteilles en verre peintes, des boites à dents, des cartes de vœux, des pingouins, des bonshommes de neige, des petits gâteaux, des brochettes de guimauve, des sucettes en chocolat, des jacinthes. En quelques minutes, les bras des filles sont pleins. Numéro un a choisi une jacinthe, des petits gâteaux alsaciens parce que sa maman ne leur avait laissé que ceux qui étaient cassés, un sachet de lavande, une ardoise décorée avec des oiseaux et une décoration de Noël réalisée dans un rondin de bouleau argenté qu’elle a faite en classe. Numéro deux a pris les mêmes choses que sa sœur. Elle y a ajouté une grande carte marquée de l’inscription « joyeux Noël » écrite au-dessus d’un beau Père Noël confectionné avec son institutrice et un pingouin fait à la garderie. Quant à numéro trois, il prend tout son temps. Il fait plusieurs fois le tour du marché de Noël avant de choisir le set en toile de jute qu’il a cousu avec l’aide de sa maîtresse, un bougeoir en pâte à sel et sa bougie à la vanille, une petite ardoise décorée avec un ange et un cadre-photo. La maman ajoute une adorable petite boite à dent qu’elle destine à son fils le moment venu.
Les enfants boudent les madeleines. Ils leur préfèrent de loin ses petits sablés alsaciens. Elle est heureuse que le goût du fait maison l’emporte sur celui des gâteaux industriels. Les enfants ont chaud et les bonbons distribués généreusement par le Père Noël leur ont donné soif. Elle sait quel papa a gentiment accepté de se glisser dans le costume rouge et blanc. Il est épatant ! Son propre fils ne le reconnaîtrait pas. Combien d’enfants ont perdu leur foi en l’existence du Père Noël à cause d’une barbe qui se décolle, d’une voix mal maquillée, d’une paire de lunettes trop reconnaissable !
Il est temps de rentrer. L’édition 2011 du marché de Noël semble une réussite. Elle s’en réjouit pour les enfants de l’école puisque les fonds permettent de financer des activités pour eux.
Le soir venu, le quatuor endormi, elle pense aux enfants dont les parents ne parviennent pas à se libérer pour les conduire au marché de Noël ou à ceux qui ne voient pas l’intérêt d’investir quelques euros dans les objets fabriqués par leur progéniture.
Anne-Lorraine Guillou-Brunner