Chronique d’une humeur « mer d’Iroise »

Ce matin, le ciel est d’un gris souris uniforme. Pas de lever des couleurs au-dessus du plateau. J’ai entendu le car du collège passer sous la fenêtre. Très peu d’élèves à son bord, des élèves masqués emportant un pique-nique en plus de leur sac de cours. Notre cadette était ravie, hier, de retrouver quelques amis et leurs professeurs. A la fin de l’année, des amis qui se connaissent depuis la maternelle seront dispersés dans cinq lycées différents. Certains continueront à se voir quand pour d’autres les liens se déliteront progressivement. Comme ma vie d’enfant, d’adolescente et d’adulte a été une succession de déménagements, je suis très sensible à ces moments qui entraînent des séparations. Si on peut nouer de nouvelles amitiés merveilleuses tout au long de sa vie, les amitiés nées dans l’enfance, l’adolescence et au début de l’âge adulte sont uniques. Elles reposent sur une mémoire commune.

Ce matin, avec Fantôme, nous avons vu Muguette. Elle avait ressorti son bonnet bleu et portait de grosses chaussettes dans ses crocs. Son potager était bleu. Hier, elle avait pulvérisé de la bouillie bordelaise sur ses plantations. Je ne suis pas restée longtemps. Eugène arrivait pour leur traditionnel café du matin. On ne devrait pas encore se serrer la main mais je n’ose pas repousser celle qu’Eugène me tend. Une grande main de Viking normand, à la peau calleuse et fendue. J’aime bien sentir cette main de travail dans la mienne. La main d’Eugène est toujours chaude comme le corps d’un poussin. La mienne est malheureusement toujours froide. Notre grand-mère maternelle disait toujours  » mains froides, coeur chaud! ».

La maison est calme. Stéphane est dans son bureau. Céleste et Louis dorment encore. Fantôme est étendu au pied de l’escalier. Je n’ai qu’une patiente cette après-midi. L’activité au cabinet est très calme alors que les cas de détresse psychologique tant chez les adultes que chez les enfants sont nombreux. Ma patientèle est essentiellement constituée par des personnes qui n’ont pas des revenus importants et dont les mutuelles ne prennent pas en charge les séances de sophrologie. Le coronavirus ne m’a jamais vraiment préoccupée. Ce qui me faisait peur, c’étaient les conséquences à venir sur l’économie mondiale, les vagues de licenciements, les famines et la volonté de renoncer des pays et des grands groupes industrielles aux engagements en matière de protection de l’environnement. Il faudrait rattraper le temps perdu: faire travailler les gens à marche forcée, surconsommer, rouler et polluer à tout-va. Désormais, ce sont des masques et des gants qu’on trouvera dans le ventre des dauphins, des baleines et des tortues.

La semaine passée, j’ai traversé un épisode de déprime assez fort. Il semblerait que la pleine lune ait joué avec l’humeur d’un nombre important de personnes. J’étais fatiguée, triste de ne pas travailler assez et les enfants, sans le vouloir, m’avaient blessée. Un soir, à table, les filles m’ont taquinée sur les objets d’affection, les objets mémoriels que je conserve depuis des années et qui habitent la maison avec nous. Victoire pensait que je conservais en bonne place des choses qu’ils avaient réalisées à l’école maternelle ou primaire pour leur faire plaisir et non parce que je les aimais vraiment. Victoire les considérait désormais non plus avec ses yeux d’enfant mais avec son regard critique d’adolescente en passe d’entrer au lycée. Mon mari, de son côté, m’avait souvent reproché l’accumulation d’objets sur les étagères de la cuisine et des bibliothèques. Notre mère, elle, m’avait un jour dit que notre maison ressemblait à une école maternelle.

Comme j’étais très fatiguée et que dans ces moments-là ma sensibilité s’élève bien au-delà des normes habituelles, j’ai entrepris de tout retirer. Je l’ai fait avec méthode et, à chaque fois, que j’enlevais un objet, un dessin, une carte ou l’une des photos du réfrigérateur, je me faisais du mal. Tout a disparu: la girafe étoilée de Céleste, l’autoportrait bleu de Victoire, les dinosaures en terre cuite de Louis, les cartes postales, les objets rapportés par les enfants de séjours scolaires, toutes les photos et le fil au-dessus de l’évier sur lequel j’accrochais avec des pinces à linge des papiers divers et variés. Les filles ont compris qu’elles m’avaient blessée mais ma réaction excessive les déroutait. J’ai toujours été dans l’excès, dans l’abus comme dit Céleste. C’est ancré dans ma nature profonde. J’adore, je déteste. Je passe du tout au rien, de l’ombre à la lumière, de l’idéal au spleen. Je ne pourrai jamais être linéaire. J’aime trop les orages en été, les cols difficiles d’accès, l’océan déchaîné, les soirées à la Gatsby le magnifique. C’est sans doute pour cette raison que j’ai eu du mal à aimer cette campagne calme et plate.

Le lendemain, je me savais toujours torturée alors j’avais également procédé à un « nettoyage » de la bibliothèque de notre chambre. Cela avait rendu Louis très triste. Il était venu me voir en me suppliant de remettre les photos sur le réfrigérateur et de raccrocher le monstre articulé que Victoire avait réalisé en moyenne section de maternelle en s’inspirant d’un album pour enfants « Max et les maximonstres ». Au début, je refusais de céder aux suppliques de Louis mais finalement je cédais après que mon fils m’ait pris dans ses bras en pleurant et en me disant « Maman, arrête! Je vois bien que tu te fais du mal. Elle est triste la maison maintenant. Le réfrigérateur est mort ». Louis est l’enfant qui me ressemble le plus. Il a hérité ma sensibilité et ma nature tsunami. Avec son papa, Louis a remis les photos et replacé la girafe.

La semaine avait donc été compliquée. Le samedi, je commençais à m’apaiser et j’avais préparé le post un peu grinçant que je voulais poster sur Instagram pour la fête des mères. J’y montrais le décalage entre nos enfants et nous s’agissant du regard porté sur la génération des parents. Le voici:  »

J’appartiens à une génération qui ne formulait jamais de critique d’ordre esthétique sur ses parents. Comme tous les enfants du monde, durablement, nous pensions que notre maman était la plus belle et la plus gentille et notre papa le plus beau et le plus fort. Personnellement, je pensais que notre père n’était pas le plus fort mais le plus intelligent et que notre mère faisait toujours preuve d’un courage exemplaire. Je n’ai jamais cherché sur eux les traces d’un vieillissement inexorable : les rides, les cheveux blancs, les kilos en trop, le relâchement de la peau ou encore la perte de la tonicité musculaire. Nos enfants et les enfants de la plupart de nos amis sont redoutables ! Ils n’avaient pas quitté l’enfance que les remarques pleuvaient : « Tes bras sont mous », « J’adore la consistance de tes cuisses. Elles font floc floc », « Tu as moins d’abdos qu’avant », « Ce pantalon est vraiment affreux » ou encore « Tu as perdu beaucoup de cheveux ». Pas plus tard que samedi, les filles m’ont raconté qu’avec leur cousine roumaine et elles s’amusaient à s’échanger des photos de leurs parents pour constater qu’ils devenaient vieux…Il est essentiel de dire que, l’an dernier, pour mes cinquante ans, le cadeau le plus merveilleux est venu de notre cadette. Les mots qu’elle avait écrits sur une carte m’ont fait à la fois pleurer et rire. C’est la fête des mamans. Je vais mettre tout ça sous une grosse pierre et me rappeler toutes les gentilles cartes écrites à l’école qui accompagnaient les empreintes de main dans la pâte à sel, les sets de table peints, les pots à crayons décorés. Les enfants n’ont jamais réalisé de collier avec des pâtes ou des cuillères en bois servant pour accrocher les torchons. Chaque génération a ses petits trésors qui font la joie des mamans. Je ne les ai pas conservés pour faire plaisir à nos enfants mais parce que, de très loin, ils restent pour moi les plus beaux cadeaux qu’on puisse recevoir : des cadeaux faits avec des choses simples et un coeur débordant d’amour. Une très belle fête des mères à toutes les mamans qui, surtout, ne doivent pas s’user dans une quête de perfection dépourvue de sens. Ce qui compte : être une « assez bonne mère » pour que, le jour venu, nos filles n’aient pas peur de ne pas y arriver avec leurs propres enfants et que nos fils ne dilapident pas leur énergie à trouver la femme ou l’homme idéal ! »

Comme il arrive que nos enfants lisent les posts, je leur avais parlé de ce que je pensais écrire le jour de la fête des mères. Le samedi soir, les filles avaient envie d’un road-trip by night. Un magnifique coucher de soleil s’installait au-dessus du plateau. J’ai laissé Stéphane continuer de regarder le film « Martin Eden » transposition italienne du roman de Jack London et m’installais dans la voiture en pyjama rejointe par Victoire portant des tongs jaunes avec des chaussettes blanches et de Céleste portant des chaussons-chaussettes. Clairement, nous ne nous rendions pas à une soirée tendance! Nous commencions par nous arrêter près de la mare de Muguette. Le ciel était magnifique! Le soleil éclairait de rose le ventre des nuages gris s’étirant en file indienne. Céleste avait préparé une play liste pour accompagner notre virée nocturne. Nous quittions notre plateau pour enjamber l’Ouanne et roulions sur les hauteurs de Gy. La lumière était douce. Nous surprenions des chevreuils étendus dans l’herbe fraîchement fauchée le long des champs de blé ou d’orge. Nous nous arrêtions pour les voir sauter et disparaître. Nous voyions un jeune sanglier se faufiler entre les tiges de blé et des lapins de garenne dressés sur leurs pattes arrières. Nous traversions des hameaux que je ne connaissais pas. Tout était calme. Une odeur d’épis mûres flottait dans l’air.

Quand je me suis levée, un peu plus tard qu’en temps normal, mon regard a été attiré par un papier et un disque pâte-à-fixés sur la baie vitrée. Le disque « Chacun fait (c’qui lui plaît) » m’avait été offert par notre père quand j’étais en sixième. Encore aujourd’hui, je connais les paroles presque toutes par coeur!

Je descendais l’escalier et trouvais Fantôme. J’oubliais d’écouter la chanson. J’étais fascinée par l’oeuvre qui se déployait sur la table de la cuisine et que Niki de Saint Phalle aurait pu avoir imaginée. Je découvrais un réveil, une assiette sur laquelle des figurines Star War formaient une ronde, une carte représentant la transhumance dans le Queyras, la brioche aux pépites de chocolat concoctée par Louis la veille, deux peluches et un poupon masqués représentant les enfants, une bouteille de champagne vide (quel dommage!) et une flûte, un bouquet de roses rouges du jardin et un cadeau enveloppé dans le papier du fromager.

Chaque objet avait sa légende écrite sur un papier collé sur la table ou accroché dans les roses. J’éclatais de rire tout en ayant les larmes aux yeux. Je mesurais combien mes enfants me connaissent bien et m’aiment avec ma personnalité « mer d’Iroise ». Bien qu’il soit un peu plus de sept heures, j’allais les voir pour leur souffler dans l’oreille combien leur surprise m’avait à la fois émue et fait rire. Les filles étaient dans un état second. Louis, lui, se redressait et demandait à ce que je lui raconte par le menu mes réactions. Un peu plus tard, avant que nous ne partions marcher, Stéphane me disait que, jusqu’à une heure, il avait entendu les enfants s’affairer. Dans quinze jours, ce sera son tour!

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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