Chronique d’un séjour en Haute-Corse

Alexandre.pngDeux montgolfières s’élèvent dans un ciel sans nuage. Fantôme et moi recommençons à chercher Alexandre le bienheureux dans les champs brûlés par le soleil. Les hirondelles s’en donnent à cœur joie au-dessus du maïs. Les roues du vélo font craquer les feuilles sèches tombées des arbres. Un avant-goût de l’automne. Le temps des cerises et des merles chanteurs est révolu. Place au temps des mûres et des noisettes. Les noix sont encore petites et vertes sur les branches du grand noyer qui borde le chemin vicinal.

clocher lumio.jpgLa Balagne et Paris semblent déjà si loin ! Les enfants finissent d’étiqueter leurs affaires de classe. Victoire rejoint Céleste au collège. Louis sera seul à l’école primaire et je serai toute surprise de ne plus avoir à remplir les deux feuilles de la garderie du soir. Nos enfants grandissent. Nous vieillissons. J’essaie d’accepter les traces du temps qui passe sur mon visage, dans mes cheveux et de m’habituer à ce corps qui, lui aussi, ne sera plus jamais comme avant. J’aurai cinquante ans dans trois ans, un cap pas toujours facile à négocier dans la vie des femmes.

montagne immortelle.jpgLe séjour en Balagne a été merveilleux ! Un temps magnifique, pas trop chaud mais très venteux. Quelle joie d’atterrir directement sur le tarmac de l’aéroport sainte Catherine de Calvi, de respirer tout de suite les odeurs de la Corse et de retrouver nos filles que nous n’avons pas vues depuis trois semaines, une mamie, une tante, deux nièces et un neveu ! La vue depuis la terrasse de la maison est toujours aussi incroyable : la baie de Calvi entre mer et montagne. Depuis que je viens en Balagne, je rêve devant cette incroyable chaîne de montagnes qui, le soir, se découpe en ombre chinoise sur un ciel à peine troublé par un unique nuage silencieux. GR20, mare et monti, randonnées mythiques que je serais heureuse de pouvoir ajouter au chapelet des marches alpines, pyrénéennes, sud-américaines, canadiennes, indiennes et népalaises.

Bodry plage.jpgCe matin, mentalement, je tourne les pages de l’album des vacances d’été 2016 : un dîner très agréable depuis la terrasse d’un restaurant posé sur le sable avec un coucher de soleil magnifique et les Alpes en toile de fond ; des sorties en mer avec exploration des fonds marins et pique-niques dans des petites criques où nous étions seuls ; des promenades dans les ruelles colorées et escarpées de Calvi, un verre au « Tao », institution des nuits calvaises suspendue dans la citadelle où, ce soir-là, un groupe de musiciens digne d’un restaurant du fin fond du Texas, mené par un chanteur à la voix fatiguée se produisait. Des images de « Thelma et Louise » me revenaient en mémoire. Le mythe du Tao venait de mourir ! 

crique matin.jpgDans l’album des souvenirs de nos vacances, je vois une voie d’eau sur le nouveau zodiac acheté d’occasion en remplacement de l’ancien, devenu une épave, après deux années passées au chantier naval de l’île-Rousse, une voie d’eau survenue à l’avant du bateau et qui aurait pu se révéler vraiment dangereuse par jour de houle et si nous n’avions pas été sur le point de gagner le petit port de la marina de San Damianu ; une maison pleine de vie, d’amis, de cousins, d’enfants, de rires, de couleurs ; des grandes tablées ; des poivrons marinés ; du rosé bien frais du domaine Orsini ; un tournoi de ping-pong organisé par notre grande nièce, Margot à l’issue duquel Stéphane, le grand vainqueur, se voyait offrir « une nuit dans le studio avec la personne de son choix »; des bains merveilleux, tôt le matin, avec Stéphane, alors que les enfants dormaient encore, depuis une crique à laquelle on accède par un sentier côtier ; une marche, en fin de journée, depuis Lumio jusqu’aux ruines d’Occi, cinq adultes prenant le temps d’observer, de sentir, d’écouter et sept enfants caracolant en tête tels de jeunes cabris ; le parfum enivrant du maquis ; un bouquet d’immortelles ; des glaces, le soir, sur le port de Calvi où on a envie de jeter des cacahuètes aux personnes s’exposant nonchalamment, depuis des yachts obèses, à la vue des passants ; des bains dans les grosses vagues de la plage d’Algajola ; les grains de sable soulevés par le vent violent qui fouettent les corps enduits de crème solaire ; la silhouette longiligne de Françoise Hardy, voyageant sur le même vol que nous à l’aller ; le concert d’un groupe chilien légendaire « Quilapayùn » sur les hauteurs du domaine Orsini dans une ambiance qui m’a rappelé les grande soirées békés de mon enfance en Martinique, un concert programmé dans le cadre du festival de Calenzana ; un apéritif dînatoire dans une paillotte sur la plage de Bodry avec la marraine de Louis, ses amis et une ribambelle d’enfants sirotant des smoothies ; un retour en avion au milieu d’une colonie d’adolescents dont l’âge s’échelonnait de treize à dix-sept ans, des adolescents qui pleuraient non parce qu’ils allaient retrouver leurs parents qu’ils n’avaient pas vus depuis trois semaines mais parce qu’ils allaient quitter des amis, un amoureux ou une amoureuse ; une citronnade depuis le village de Sant’Antonino après une splendide marche dans la lumière dorée d’une fin de journée d’été ; les petits lapins dans le jardin ; l’odeur des lauriers roses ; les parachutistes du 2REP de Calvi largués au-dessus de la forêt et retombant tels de grosses méduses.

cinema_paradiso_toto_smile_peak.jpgCe matin, mon esprit s’arrête plus particulièrement sur deux moments : le 15 août et une marche en montagne en famille jusqu’au Monte Tolu. Le lundi 15 août, Stéphane consent à m’accompagner à la messe de l’Assomption suivie d’une procession dans le village de Lumio. Habituée aux églises bondées de la Provence, je fais en sorte que nous partions tôt. En pénétrant dans l’église, nous sommes surpris de constater que la messe a déjà commencé. Nous nous installons. Les fidèles sont très peu nombreux et les enfants sont des copies des célèbres triplés de « Madame Figaro ». Nous assistons à une messe traditionnelle d’avant Vatican II. Le père tourne le dos à l’assemblée. Les chants sont en latin. On se lève et on s’assied si souvent que j’ai l’impression d’assister à un cours d’aérobic. Je me demande si Véronique et Davina ne sont pas cachées quelque part derrière l’autel ! Une famille entre dans l’église : un couple, une femme seule et quatre enfants dont une adorable petite fille de deux ans avec de jolies boucles rousses. Manifestement, ils sont comme nous : ils assistent à leur première messe en latin ! Au moment de la communion, les fidèles viennent s’agenouiller sur les marches situées sur les côtés de l’autel. Un enfant de cœur assiste le prêtre. Il tient une patène. Le Père dépose l’hostie sur la langue tirée des pécheurs agenouillés. Une femme qui, comme nous, s’est trompée de messe, se dirige vers lui, tend ses mains pour recevoir l’hostie. Je les vois qui parlementent. Il refuse de la laisser communier ! Je suis consternée. Stéphane sourit. Il a l’impression de se retrouver au début du film « Cinéma Paradiso ».

assomption.jpgLa messe s’achève. Je ne peux pas rester sur cette Assomption latine ! Stéphane jette l’éponge. L’église se remplit très vite. Des gens sont debout. A côté de moi, une maman dont le mari, les enfants et la jeune fille au pair sont repartis. Nous échangeons avant le début de la messe et, hasard, elle est professeur agrégé de droit privé à Malakoff et a mené toutes ses études dans la même université que moi. Elle s’appelle Anne et a un an de moins que moi. Nous essaierons à plusieurs reprises de nous retrouver sur la plage ou à la maison pour un apéritif, mais sans succès. La messe est pleine de vie, de chaleur, de ferveur. Des hommes entonnent des chants corses. Les membres de la chorale sont très énergiques. Le père a une pointe d’accent que je ne parviens pas à définir mais je pense qu’il est polonais ou allemand. A la fin de la messe, on se penche vers lui pour lui murmurer quelques mots à l’oreille. Il s’adresse à l’assemblée pour lui faire part de ce qu’une petite fille fête son anniversaire ce lundi quinze août et tous les fidèles d’entonner un « joyeux anniversaire » chaleureux. A la sortie de la messe, sous un soleil de plomb, nous suivons la Vierge Marie portée en procession dans les ruelles de Lumio.

S et Louis Monte Tolu.jpgLundi 22 août, veille de notre départ. La maison est briquée comme le pont d’un navire de guerre ! Les valises sont faites. Nous décidons de marcher à la découverte du Monte Tolu. Les guides décrivent la vue qu’on y découvre comme l’une des plus belles en Corse. Les enfants ne sont pas forcément partants mais la perspective de dîner au restaurant avant de rentrer les aide à trouver la motivation nécessaire ! Pour éviter la chaleur, nous quittons Lumio à 17h30. Il nous faudra presqu’une heure pour gagner le point de départ, Bocca Di A Battaglia, après avoir emprunté une route sinueuse et étroite et avoir traversé le très joli village de Speloncato. Nous enfilons nos baskets et prenons nos pulls. Je me rends bien vite compte qu’à 1000 mètres d’altitude, il ne fait déjà plus très chaud à cette heure. Je prophétise notre retour à la nuit tombée. Bien sûr, nous n’avons pas de frontale ! Nous montons d’un bon pas. Le sentier est très joli. Nous entendons sonner la cloche de la vache qui mène le troupeau. Nous respirons à pleins poumons les odeurs de la montagne et nous nous arrêtons pour manger des mûres. Le soleil, imperturbable, poursuit sa course dans le ciel. Une lumière dorée enveloppe les montagnes et jette mille feux dans les cheveux des enfants. Nous empruntons un passage difficile à flanc de montagne. Victoire et Louis ne sont pas très rassurés. Céleste, elle, avance vite et bien telle une araignée aux pattes fines et légères. Alors que le soleil aura bientôt basculé dans la mer, nous réalisons que nous ne pourrons pas atteindre le Monte Tolu qui s’offre à nous et auquel on accède après l’avoir escaladé pendant encore quarante minutes.

coucher occi.jpgJe suis déçue. Je regrette que nous soyons partis si tard. Nous ne verrons ni la vue depuis le sommet ni notre dernier coucher de soleil sur la Méditerranée. Mais, nous nous consolerons en découvrant une nouvelle fois les Alpes pointant fièrement au-dessus de la ligne d’horizon. Maintenant, il faut redescendre. Les pierres roulent sous les pieds. Les chardons griffent les mollets. Nos yeux fournissent un gros effort pour continuer à discerner le relief. Il ne fait guère plus de quinze degrés avec le vent. Mais, nous descendons si vite que personne n’a le temps d’avoir froid. Les enfants s’amusent, surtout Louis qui adore les marches nocturnes et dit vivre une véritable aventure. Quand nous regagnons la voiture et l’auberge où nous espérions dîner, cette dernière est fermée. Il est vingt et une heure passée. Nous ne trouverons pas de restaurant pour nous accueillir. Louis s’endort sur les genoux de sa grande sœur. Les filles se racontent des histoires. On dîne à vingt-deux heures trente, à la maison, avec des restes. L’ambiance est très gaie !

Louis et ukulele.jpgAvant de regagner notre océan céréalier, mon Ar-Men, nous posons nos bagages à Sceaux, dans l’appartement de ma mère et nous partons nous promener dans Paris. Un Paris de fin d’été, un Paris décrit par Patrick Modiano dans ses romans. Notre-Dame est fermée. Nous marchons jusqu’à la rue des Barres en passant par l’île Saint Louis où notre Louis tient absolument à goûter la glace au chocolat de Berthillon. Il se régale. Il a du chocolat tout autour de la bouche et sur le bout du nez. Dans le « Nature et Découvertes » du Marais, certainement la boutique de l’enseigne la plus réussie, je lui offre ce dont il rêve depuis deux ans : un ukulélé rouge qu’il ne quittera plus. A l’angle de la rue saint Martin et de la rue de la Verrerie, nous dînons très bien dans une ambiance chaleureuse. En sortant de table, Stéphane et les filles vont se faire masser par des dames que nous avions déjà vues rue Mouffetard. Louis, son ukulélé et moi, nous nous asseyons sur un bord de trottoir et les observons. Victoire nous impressionne par sa capacité à se laisser aller complètement entre les mains vigoureuses d’une jeune femme noire dont le visage est si lumineux qu’il semble être éclairé par une flamme intérieure.

berthillon-glace.jpgSur le chemin du retour, une nouvelle glace Berthillon ! Cette glace au chocolat joue sur moi comme la madeleine sur Proust. Les souvenirs affluent, ceux qui sont liés à mes années parisiennes. Je pense particulièrement à ces pique-niques que nous improvisions avec des amis sur les berges de la Seine et à toutes ces marches nocturnes dont je raffolais. Ainsi, après une soirée avenue Foch, j’étais rentrée à pied jusqu’à la rue Bréa située entre le jardin du Luxembourg et le boulevard du Montparnasse. Avant de reprendre le RER B à Saint Michel, nous nous arrêtons pour écouter un marionnettiste racontant les fables de la Fontaine. L’homme est jeune. Son corps est maigre et son visage anguleux. Une veine en relief court le long de son flanc gauche. Il porte un feutre noir et des espadrilles. Il fabrique lui-même ses marionnettes dans du bois de tilleul. Il nous embarque dans la fable du moucheron et du lion que j’avais oubliée. En revanche, je n’avais pas oublié qu’il y a presque toujours chez notre grand fabuliste et poète une touche de cruauté. Ainsi, le moucheron après s’être moqué du lion finira sa vie aérienne dans la toile d’une araignée ! Un groupe de trois séminaristes noirs s’arrête pour écouter l’artiste des rues. J’ai pour tous ceux qui cherchent à vivre de leur art dans la rue une admiration sans bornes. C’est si dur de se donner en spectacle de la sorte ! Entre chaque fable, nous l’applaudissons et c’est Louis qui va déposer quelques pièces dans une caisse en bois.

Geluck.jpgLe lendemain matin, après un petit tour par la nouvelle canopée des Halles, un déjeuner rue Montorgueil, nous allons rire devant les planches pleines d’humour de Philippe Geluck épinglant l’art. Il s’agit d’une toute petite exposition très bien conçue et qui a le mérite de plaire à tous. La réponse que Geluck a imaginée à l’adresse de Buren ayant refusé que l’une de ses œuvres figure dans l’exposition est très amusante. Je vous laisse la découvrir en franchissant le seuil du musée en herbe situé au numéro 23 de la rue de l’Arbre-Sec dans le premier arrondissement.

Paris plage.jpgAvant de rentrer chez nous, nous nous offrons un petit tour par Paris plage. Voici deux ans, en août, j’avais eu une vision absolument désolante de Paris plage. Il faisait froid. Les berges étaient désertes. Les parasols étaient repliés sur eux-mêmes. Cette fois, par 38°, Paris plage offre un tout autre visage! Les brumisateurs font le bonheur des grands et des petits. Des enfants courent en maillots de bain sur des planches en bois pour aller remplir des arrosoirs et retourner faire des pâtés dans le sable. D’autres disputent des parties d’échecs, de ping-pong ou de baby-foot. Des jeunes femmes exposent des corps de sirènes bronzées comme des Brésiliennes dans des maillots du même nom. Un pompier arrose tous les passants. Le sable est fin et les parasols sont bleus et blancs. 

cousins.jpgJe referme l’album des souvenirs précieux de notre séjour en Balagne. Je suis heureuse que les cousins aient pu renouer avec leurs vacances d’autrefois, que nous ayons pu accueillir des amis fidèles que nous ne voyons que trop peu et, enfin, que nous ayons profité de la marraine de Louis et de ses deux enfants.

pieds corse.jpgFantôme et moi, nous vous souhaitons à tous une bonne rentrée. Respirez profondément ! Rappelez-vous que tous les ans, vous avez l’impression que vous n’allez pas y arriver et puis, finalement, tout se met en place. Dans moins de trois semaines, chacun aura trouvé ses marques pour cette nouvelle année et tous les formulaires d’inscription ou de réinscription seront remplis !

JosefSudek_6.jpgEn ce qui me concerne, je retournerai à Paris en septembre. J’ai oublié, dans le Marais, d’aller m’acheter une paire de sabots bleus ou verts et j’aimerais beaucoup voir, au Jeu de Paume, l’exposition consacrée au photographe tchèque Joseph Sudek. 

 

Colomba.jpgAnne-Lorraine Guillou-Brunner