Chronique d’un week-end familial ensoleillé

Ma soeur et les siens habitent Paris et nous mettons les vacances à profit pour essayer de nous voir. Les cousins se sont ainsi forgé une mémoire commune sentant bon le varech breton, la lavande gardoise, l’immortelle corse et les roses d’un petit paradis bressan. Cette année, hormis les vacances de la Toussaint et de Noël, le calendrier scolaire ne nous a offert aucune semaine en commun.  Avec leur cousine Louise, vivant en Roumanie, il y a depuis quelques années le mois de juillet avec leur mamie Claude passé entre la Haute-Corse et l’Ain. Ce sont tous ces moments partagés ensemble: bouts d’été, fêtes de Noël, chasses aux oeufs de Pâques, spectacles parisiens, week-ends campagnards qui permettent à la complicité de  se tisser. C’est si touchant de voir Louise poser sa tête sur l’épaule de Céleste notre aînée et de l’écouter lui raconter une histoire, Valentin et Louis dessiner sur la grande table de la cuisine, Margot et Victoire échanger des blagues via les réseaux sociaux, Charlotte passer de bras en bras, Céleste solliciter Margot, étudiante en première année de médecine, en maths ou en physique, d’entendre Valentin évoquer les prochaines vacances de la Toussaint à l’île-Tudy avec ses cousins et Pauline, l’une de mes trois filleules ou encore de les voir partir tous sur des vélos à travers champs et revenir les joues bien roses.

Quand ma soeur est partie vivre trois ans aux Etats-Unis et que nos enfants vivaient assez mal l’éloignement, ma mère a eu cette phrase qui lui ressemble tellement: « Ce manque t’est imputable! A créer autant d’occasions de les réunir, tu les a rendus dépendants ». Parfois, sincèrement, ces remarques sont si étranges que les bras m’en tombent ou que je sens une colère aussi noire qu’une toile de Soulages monter en moi. Même si notre mère est une enfant unique et l’aînée de tous ses cousins tant côté maternel que paternel, elle a vécu la joie des grandes tablées, les réunions avec des oncles et des tantes, des Noëls très chaleureux dans l’appartement de ses grands-parents maternels. Ma soeur et moi n’avons rien connu de tout cela. Comme cela m’a manqué, j’ai eu à coeur d’offrir à nos enfants ce que je n’avais pas connu et, franchement, j’en suis très heureuse pour eux.

Je suis chanceuse: j’ai un mari qui se plie avec tendresse à mes aspirations de famille nombreuse, à ma nature de mama napolitaine. Il accepte de partir en vacances avec des enfants surnuméraires et les initie à différentes activités tant sportives qu’artistiques. Je connais très peu d’hommes qui consentiraient, en vacances, à assumer la responsabilité d’enfants qui ne sont pas les leurs ou les enfants nés de la première union de leur compagne. Mon mari et ma soeur, enfant et adolescent, ont eu le bonheur de grandir avec des cousins et des amis habitant tous dans la même rue. Ils formaient une grande bande joyeuse qui passait d’une maison à une autre, d’une maman à une autre. En qualité d’aîné, Stéphane menait son petit monde à la baguette.

Bien sûr qui dit réunion de famille dit logistique avec courses, repas, couchage, rangement, bruit et désordre mais le bonheur des échanges prend largement le pas sur la fatigue passagère. Par ailleurs, ma soeur et moi savons parfaitement nous aider, nous relayer naturellement sans avoir même besoin de nous parler. Cette fluidité est tellement agréable!

Nous nous faisons tous une joie de passer un long week-end ensemble, un week-end courant du samedi au mardi après-midi. Hier, après le déjeuner, je suis allée chercher chez mon amie Nadège un siège-auto. Nadège m’a aussi donné pour Charlotte une poussette et un poupon qui feront la joie de notre nièce. Céleste avait deux ans quand sa mamie lui a offert pour ses deux ans sa poupée Léa et une poussette. C’était la toute première fois que mes beaux-parents venaient nous voir dans la maison dont les travaux étaient presqu’achevés. Nous étions en septembre. Il faisait un temps magnifique. Nous avions déjeuner dehors et ma belle-mère avait apporté des barquettes de framboises.

Le samedi, je suis sur le quai A de la gare devant le wagon 12. Je me dis que les gares et les aéroports sont tellement plus agréable au moment des retrouvailles que lorsque le temps des au-revoir a sonné. Je vois descendre Valentin chargé de lourds sacs portés en bandoulière et ma soeur tenant sa fille âgé de 19 mois et la poussette. Sur le quai, une jeune fille me sourie et m’adresse la parole: « tu te souviens de moi? ». J’ai un peu de mal à faire le lien entre cette grande étudiante charriant une énorme valise noire et des parents connus. C’est Garance, la numéro deux d’Hélène. Elle rentre de Paris où, interne au lycée Saint Louis, elle est en classe préparatoire.

L’après-midi passe vite entre promenade autour du plateau et bavardages dans le jardin. Après avoir cherché à tenir Fantôme à une distance respectable, Charlotte le suit désormais partout et le nomme en disant « chat ». Restée un certain temps assise à la grande table en bois de la cuisine, je ne comprends pas d’où vient cette douleur aigüe qui m’empêche de poser le pied gauche par terre. En tentant de percer le mystère de cette sensation peu agréable, je me rappelle le matin même avoir raté une marche alors que je portais des chaussures  à talons et m’être tordue la cheville. Maintenant que les muscles se sont refroidis la douleur s’exprime. Je constate que ma cheville est chaude et enflée et que mon pied est à l’étroit dans mon sabot. J’ai si mal que je crains de m’être fait une entorse et de ne pas être en mesure ni de monter les escaliers menant à mon cabinet ni de conduire. Incapable de poser le pied par terre, je laisse Virginie et Stéphane tout faire. Cela ne m’empêche pas d’apprécier notre dîner avec Geneviève et Arnaud, un dîner entier passé en compagnie d’Eric Clapton. Geneviève et Arnaud sont de grands amateurs de blues et ils sont encore portés par un documentaire retraçant l’histoire de Clapton, « Life in 12 bars », réalisé par Lili Zanuck. Ayant longtemps vécu dans le quartier de la Chaussée à Montargis, tous deux nous en content les grandes figures, les commerces parallèles et l’entraide si étonnante entre personnes âgées et jeunes dealers. Arnaud a, dans le domaine de la musique, des goûts aussi pointus que tranchés. Ainsi, nous savons lui épargner l’écoute de morceaux de Queen ou de U2 ou encore de morceaux de jazz. Je m’étonne qu’Arnaud qui a vécu ses années de formation (enfance et adolescence) en Afrique et a développé un intérêt si fort pour l’histoire afro-américaine n’aime pas cette musique dont les racines plongent loin dans les champs de coton des immenses plantations du sud des Etats-Unis et raconte les souffrances d’un peuple arraché à sa terre et réduit en esclavage.

https://www.youtube.com/watch?v=nrAvDFmE9i4

Quand ma soeur et les siens viennent à la maison, la première nuit de Charlotte dont le lit-parapluie est déplié dans la chambre de sa maman est très difficile. Elle ne parvient pas à trouver le sommeil et ma soeur est obligé de la glisser dans son lit. Cette fois, espérant que cela se passera mieux, nous décidons de l’installer dans la chambre de Céleste qui en est absolument ravie! C’est déjà endormie que Céleste dépose délicatement Charlotte dans le lit à 22h30. Elle dormira jusqu’à sept heures et je prendrai alors le relais. Nous avons à coeur d’offrir à Virginie un peu de répit. Depuis que Mathieu a pris un poste à Luxembourg, Charlotte a beaucoup de mal à trouver le sommeil et dort dans le lit de ses parents. Mathieu est un père très investi qui, tant que son métier le lui en laissait le loisir, aimait donner les bains et coucher ses enfants. Dans un appartement, à Paris, il n’est pas possible de laisser un enfant pleurer trop longtemps. Les voisins auraient du mal à le supporter!

Le dimanche, au réveil, je m’attends à souffrir toujours autant de la cheville mais par un miracle que je ne m’explique pas alors qu’elle est encore chaude et enflée, je n’ai plus mal! Je me sens prête à enfourcher mon vélo et à partir avec Fantôme mais ma soeur s’y oppose et me remplace. A 9h00, Victoire est partie avec sa grande amie Léonie à Paris se promener et déjeuner dans un restaurant de la place Dutertre. La mère de Léonie offre à sa propre mère un bain dans ses souvenirs d’enfance. Le quatuor se rend du côté de Pyrénées ou la grand-mère de Léonie habitait et allait à l’école. Tandis que Céleste, Valentin, Pauline et Louis partent faire une grande promenade en vélo, Virginie, Charlotte et moi allons aux Tanneries. Les anciennes tanneries de la ville d’Amilly ont été entièrement réhabilitées et sont devenues un centre d’art contemporain accueillant des artistes en résidence et aussi une école d’art. Pauline y a été élève plusieurs années.

Les oeuvres exposées temporairement sont regroupées autour de quatre thèmes qui n’ont rien à envier à ceux que le centre Pompidou ou le palais de Tokyo peuvent offrir à leurs visiteurs: « Le réel dispose de son invention », « Back and forth », « Principe d’incertitude » et « Je ressemblerai à ce que vous avez été ». Charlotte s’est endormie dans sa poussette si bien qu’elle ne conservera aucun souvenir de ces oeuvres. Virginie et moi trouvons à la fois très belles et très intéressantes les formes imaginées par Tatiana Wolska dans des bouteilles rouges de Badoit fondues et remodelées pour former des formes étonnantes. Dans la verrière, la lumière rentre à flot et vient projeter des ombres sur le sol en béton brut. Une vraie poésie se dégage de ce travail et une volonté de recycler des matériaux.

Dans l’espace intitulé, « Le réel dispose de son invention », Virginie et moi passons beaucoup de temps devant les photographies aériennes réalisées par Jérémie Lenoir de chantiers. Naturellement, le lien se fait avec le travail de Yann Arthus-Bertrand si ce n’est qu’ici le paysage qui se dessine est contemporain et essentiellement le fait du travail de l’homme (mine de sel, toitures de bâtiments industriels, chantiers sortis de terre dans des no man’s land). L’oeuvre de Javiera Tejerina-Risso est à la fois déroutante et fascinante. L’artiste franco-chilienne vivant à Marseille a travaillé avec une équipe de chercheurs de l’université de Toulon pour réaliser sa pièce To record water during days. Je cite le passage du prospectus décrivant ce travail. Il vous donnera une petite idée de la manière dont se pense et s’énonce l’art contemporain… »L’oeuvre est connectée à des balises maritimes, chacune des bandes métalliques qui compose la pièce ondule et transcrit en temps réel le mouvement des flux méditerranéens. (Attention lecteur, c’est à partir de maintenant que les choses se corsent ou deviennent amusantes!) Particulièrement intéressée par la représentation des flux, l’artiste met à profit l’outil technologique pour relier l’ici et le maintenant de l’exposition à une réalité de l’ailleurs et du mouvant. (C’est beau, non?) L’oeuvre invite au décentrement, à percevoir la puissance poétique du monde décuplée par des outils de captation scientifique. (On dirait vraiment un passage de Michel Houellebecq)

Ce décryptage intellectuel ne prive pas l’oeuvre de sa nature onirique. Accrochée au plafond d’une chambre épurée ou d’un salon à la marocaine, elle inviterait à se laisser porter par le ressac, à ne plus penser à rien, à entrer dans le corps d’un espadon, d’un dauphin ou d’une sirène. Je préfère passer sous silence la scénographie imaginée par Grégory Chatonsky dont la cérébralité froide nous propulse entre les pages d’une oeuvre de science-fiction dénuée d’émotions.

Victoire rentre de Paris alors que nous sommes déjà entrain de dîner. Elle picore un peu d’omelette et disparaît. Elle ne se sent pas bien. J’offre à ma soeur de coucher Charlotte pour qu’elle puisse faire une nuit normale. Céleste s’installe dans le lit en acajou que nos parents ont rapporté de la Martinique et qui est installé dans mon cabinet. Le trio reprend le chemin du collège et du lycée le lendemain matin. Les vacances sont finies. Impossible de mettre Charlotte dans son lit. Elle s’endort dans mes bras et, à l’instant où elle sent que je vais la déposer au fond du lit-parapluie se met à pleurer. Je l’allonge à côté de moi. Elle s’agite tant et plus, me jette son doudou malodorant au visage, me donne des coups de pieds. De guerre lasse, je la pose à califourchon sur moi. Sa tête posée sur ma poitrine, bercée par le rythme de mon coeur, elle ne bouge plus. Un instant, je pense que je vais pouvoir enfin m’endormir. Il est plus de deux heures. Mais, à ce moment-là, je sens une vague de chaleur m’envahir. La couche n’a pas réussi à absorber un énorme pipi. Nous sommes trempées l’une et l’autre. Je n’ai plus d’autre choix que de réveiller sa maman qui dort profondément, de l’arracher à un rêve et de la lui confier. Une petite douche plus tard, je m’allonge. Quelques minutes après, j’entends des vomissements monter de la chambre de Victoire. Je me précipite. Victoire est malade. Elle vit ce qu’elle redoute le plus et s’était promis de ne plus jamais traverser: vomir. Quand elle avait à peine trois ans, j’ai passé une nuit complète à ses côtés. Elle avait souffert d’une crise de bile.

Stoïque, je vois défiler sous mes yeux le déjeuner (excessivement copieux!) et le dîner. Le tapis n’a pas été épargné. Tandis que Victoire, mortifiée, dégoutée, file à la salle de bains, je me lance dans un nettoyage suivi d’une désinfection des lieux. La fenêtre est grande ouverte sur une nuit claire. J’entends passer des grues cendrées. Victoire se remet au lit mais les vomissements continuent. Quand son corps a restitué par le menu tout ce qu’elle avait absorbé, c’est la bile qui prend le relais. Cinq heures, je me couche pour me réveiller à six heures. Victoire est épuisée. Elle n’a pas réussi à trouver le sommeil. Céleste part au lycée et Louis au collège. Valentin, au tout début de ses vacances, va se lever pour le déjeuner. Les séances sont dures à mener. Ma soeur, heureusement, prend en charge l’intendance. J’attends que la nuit me prenne et me porte jusqu’au mardi matin.

Pour que Virginie et moi nous puissions nous reposer, Stéphane offre de s’occuper de Charlotte. A 19h30, il la prend dans ses bras, lui raconte des petites histoires de souris, celles, déjà, que son père inventait pour sa soeur et lui quand ils étaient enfants, et Charlotte s’endort. Charlotte étant habituée à sentir une présence dans la même chambre qu’elle, Stéphane s’installe dans le lit de Céleste qui, de son côté, trouve mon bureau très agréable. Vingt et une heure, tout semble sous contrôle. Chacun peut espérer passer une bonne nuit réparatrice. Je suis incapable de me concentrer sur un article relatif au retour d’oeuvres pillées par la France coloniale en Afrique. Je plonge dans un sommeil profonde. A une heure trente, Louis pousse la porte de la chambre. Il a mal au ventre. Je suis trop fatiguée pour aller chercher une bassine. Il s’allonge à côté de moi. Une petite voix me souffle que cette nuit ne sera pas simple. Trois heures trente, c’est un véritable geyser qui sort de la bouche de Louis qui a seulement eu le temps d’enjamber le lit et se trouve debout sur le parquet. En deux jets fulgurants, la chambre se métamorphose en l’un des espaces du centre Pompidou! Le mur, les pieds du lit, le sac des appareils-photos de Stéph, un livre de la médiathèque de Boubat et Bobin et mes sabots sont maculés de tâches rouges et jaunes. Louis et moi sommes des adeptes de l’art brut. C’est une réussite totale!

Louis se rue dans les toilettes avant d’aller prendre une douche. La nausée me gagne. j’ouvre les fenêtres. Si la nuit est toujours aussi claire, je n’entends pas de grues cendrées profiter d’un espace aérien plus paisible pour gagner le sud. Je pense perdre la raison en ramassant les reliques des repas de Louis formant des tas gluants sur le parquet vitrifié. Deux rouleaux de papier absorbant plus loin, j’ai réussi à redonner à la chambre un visage humain. Louis, tout blanc, est gelé. Il se recouche. Il est cinq heures. Je m’habille, mets en route une machine et vais me faire un thé. De ce que racontent les chroniqueurs de France Inter, je retiens la mort du chanteur du groupe Talk Talk, Mark Hollis, et entends l’un de leurs titres emblématiques « It’s my life ». De nature optimiste, je souris en songeant à ma vie depuis quarante-huit heures: 5 heures de sommeil au compteur et autant à ramasser le contenu de bols alimentaires dispersés façon puzzle, des mains rugueuses comme des râpes à fromage et des muscles endoloris à force de rester pliée sur mes jambes pour nettoyer des chambres. Comment m’en serais-je sortie si j’avais vraiment eu une entorse? Comment font les mamans qui n’ont pas accès à l’eau courante? Cela doit être terrible!

https://www.youtube.com/watch?v=5ixRWvrkUHo

J’enfourche mon vieux vélo tout crotté et Fantôme et moi partons assister au lever des couleurs au-dessus du plateau. Il a encore gelé. L’air froid agit sur moi comme un incroyable remontant. Je recharge mes accus. Hormis Louis et moi, tout le monde a bien dormi et Victoire commence à reprendre des forces. Je m’étais organisée pour ne pas avoir de patient. Nous nous offrons une petite virée à Montargis. A 15h52, l’Intercité entre dans la gare. Dans un ciel bleu comme dans une toile de Klein, des grues cendrées forment des ombres bruyantes. Valentin a mal eu ventre. Le virus a été rapporté par Charlotte de la crèche. Sa soeur aînée a été la première à être contaminée. Ont suivi Victoire et Louis. Si Virginie, Stéphane qui est passé au Coca et moi sommes barbouillés, nous résistons tout comme Céleste.

Les portes se referment. Le train s’ébranle. Mon coeur se serre. Je n’aime pas les départs! On ne sait jamais quand on se reverra.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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