Chronique d’une aventurière solitaire

Dimanche, à 14h00, allongée sur un transat jaune, à l’ombre du magnolia, dans un maillot rouge à pois blancs acheté dans une petite boutique à Calvi, enfin, je commence à me détendre. J’aurais pu le faire dès le départ des enfants et de leur papa pour l’Ain mais j’ai été très occupée par l’affaire du téléphone portable volant. Je vais vous raconter mon aventure dominicale et matinale. Au réveil, le dimanche, je ne suis pas très fraîche. La veille, nous avons été dîner chez des amis, Catherine et Hervé, les parents de Léa, l’une des amies les plus proches de Victoire, notre seconde fille. Léa et Victoire se sont connues en dernière année de maternelle après que les parents de Léa aient quitté Carcassonne pour venir vivre ici. Catherine est basque. Hervé a grandi dans l’Yonne. Si c’était à refaire, ils seraient restés à Carcassonne. Léa et Victoire sont nées le même jour. Léa le soir et Victoire le matin. Elles ont fêté leur premier anniversaire commun pendant leur séjour en classe de mer. Ensuite, le pli était pris et réunir leurs amis pour passer d’une année à une autre est devenue une habitude.

Hier, nous avons pas mal bu. Nous nous sommes couchés tard. Je sors péniblement du lit. Les enfants partent ce matin. Ils sont impatients de retrouver leur mamie, leur tante et leur oncle, leur cousine Louise, Zoé, Yanis et Jade. La veille, je me suis fait un pense-bête que notre père appelait pense-homme et qui peut évoluer vers le pensum. J’ai noté: casquette, crème solaire, lunettes et maillot de bain. Quand je quitte la maison avec Fantôme et mon fidèle vélo, il est plus tard que d’habitude. Le soleil s’est hissé au-dessus de la ligne de blé mûr. Je sais que Muguette aura déjà nourri ses deux moutons. Nous la trouverons dans le potager à moins qu’elle ne boive une tasse de café avec son voisin, un presque septuagénaire dont la nourrice, en Normandie, fut la si célèbre Mère Denis, la dame qui a prêté sa joie de vivre et ses belles rides profondes aux machines à laver de la marque Vedette.

Si c’est moi qui irai accueillir Louis le 14 juillet à sa descente du TGV à 20h00, gare de Lyon, nous ne reverrons pas Céleste et Victoire avant le 10 août. Elles vont passer un mois avec leur mamie et leur cousine entre l’Ain et la Haute-Corse. Ensuite, elles resteront quelques jours dans le Gard avec leur grand-mère maternelle et c’est elle qui les ramènera avant que nous ne nous envolions pour l’île de beauté. Si Louise ne restait pas en France seulement en juillet, nous nous serions organisés pour que nos filles ne fassent pas deux fois un aller-retour entre Calvi et le continent.

A un moment, mon intuition me souffle d’attendre le départ de ma famille pour sortir avec Fantôme mais la chaleur monte vite. Notre fidèle berger australien qui aura neuf ans en décembre sera mieux maintenant pour promener sa truffe à travers champs. Je pars. Nous nous arrêtons faire des caresses à une adorable petite chienne, un cavalier king charles spaniel. Alors que nous venons de passer devant la maison d’Aline et Christophe, la Bien Assise, je descends de mon vélo pour faire une photo. Mon pantalon ne comportant pas de poche, j’ai glissé mon téléphone à l’intérieur de la manche gauche de mon pull. A cette heure, je ne m’attends pas à trouver un chien se promenant sur la route. A la hauteur d’un vieux cerisier dont le tronc est gardé par une armée d’orties, je vois notre ami Hervé et son chien de chasse, Link, un magnifique chien souvent primé dans des salons, un chien que son maître aime comme son enfant et que Catherine lave tous les dimanches avec un shampooing à base d’aloe vera quand tous deux reviennent de leurs parties de chasse.

Fantôme et Link sont deux mâles qui n’ont pas été opérés. Fantôme est très dominant. Je sais déjà qu’il va courir droit sur Link pour se battre. Il ne répond pas à mes appels. Il se jette sur Link tenu en laisse par Hervé. Je jette mon vélo sur le bord de la route et me précipite pour retenir Fantôme. Heureusement, j’y parviens. Séparer deux animaux qui se battent est très difficile et dangereux car ils n’hésitent pas à mordre leurs maîtres. Link n’a rien. Mon coeur bat vite. Hervé me raconte comment, lors d’une sortie de chasse, Link a été férocement attaqué par un chien qui l’a presque laissé pour mort avec une hémorragie au niveau du cou. C’est un miracle que le vétérinaire ait réussi à le sauver. De mon côté, je lui fais le récit de ce moment où Fantôme, en laisse, a été attaqué par deux chiens. Sans l’intervention musclée d’un ami de notre oncle, je ne sais pas dans quel état j’aurais retrouvé Fantôme. Claude, l’ami de mon oncle, a été mordu par l’un des deux chiens et a eu droit à un mois de traitement antibiotique. Fantôme, lui, a conservé de cette aventure une cicatrice blanche sur la truffe. En Normandie, sur une plage, il a été attaqué par un golden retriever. Le maître, un sale type à la fois arrogant et macho, s’amusait de voir son chien prendre le dessus sur le nôtre et ne bougeait pas d’un pouce. Il était ce genre d’homme à avoir le regard appuyé sur un décolleté féminin et la main facilement baladeuse, un homme à penser que si une femme résiste à ses avances, c’est uniquement par jeu.

Dans le Queyras, une autre fois, nous venions seulement de nous extraire de la voiture pour décharger les affaires après une longue, très longue route que Fantôme se jetait sur un chow-chow auquel il manquait une patte avant et que sa maîtresse, une dame très agréable, promenait en laisse. La rencontre avait été particulièrement violente. Le chow-chow avait une oreille ensanglantée et Fantôme une entaille profonde sur une patte. Forte de ces expériences toujours angoissantes, je suis devenue très vigilante et n’écoute pas ceux qui me disent: « laissez les faire. Ils ne se feront pas de mal. Ils s’intimident ».

Link va bien. Hervé repart. Je réalise que je n’ai plus mon portable. J’essaie de le chercher. Seule, je comprends que je n’y arriverai pas. Il s’agit vraiment de chercher une aiguille dans une meule de foin! Je reviens à la maison pour y laisser Fantôme et demander de l’aide. Stéphane et les enfants sont prêts à lever l’ancre mais ils décalent leur départ. Stéphane est le premier à arriver, talonné par Céleste, elle-même rejointe par Victoire. Je sais à peu près à partir de quand je ne me suis plus souciée de mon portable. Je m’inquiète de ce qu’il a pu voler dans le champ de blé. Les bords de la route sont couverts de paille, d’herbes hautes et d’orties. Nos recherches ne donnent rien. Stéph a l’idée de demander à Christophe s’il a un détecteur de métaux. Christophe l’a prêté à sa soeur. Leurs parents les réunissent autour d’une côte de boeuf. Sa soeur lui rapporte le détecteur et, ce soir, si je n’ai pas retrouvé mon portable, il m’aidera à le chercher. Si mon portable n’avait pas été sur le mode « silencieux », nous l’aurions retrouvé facilement. Par ailleurs, la géolocalisation n’est pas activée. Stéphane résumera: « le portable de Cosette ». De gros nuages se massent au-dessus du plateau. J’ai peur que la pluie ne tombe bientôt. Stéphane appelle un de nos amis, Christian, qui possède aussi un détecteur. Christian arrive dès qu’il peut.

Enfin, le Volvo fait crisser les graviers de la cour sous ses roues. Des petites mains volent dans les airs. Cette histoire m’a empêchée de profiter de mes enfants avant leur départ. Victoire s’est demandé comment je faisais pour rester aussi calme. Je lui ai répondu que ce n’était qu’une façade. Au fond de moi, j’étais vraiment triste et fâchée d’avoir égaré mon portable. Après leur départ, je retourne là où j’ai perdu ma vieille mûre noire que l’obsolescence programmée prive de certaines applications. J’ai déjà perdu un portable que j’adorais, celui que j’ai préféré. Je l’ai égaré un matin, dans une rue à Neuilly, après avoir dormi chez l’une de mes amies. Il est tombé de la poche pas assez profonde de mon imperméable. Il avait un rabat couvert d’hibiscus sur un fond bleu et, quand il sonnait, on entendait la chanson des Sister Sledge « We are family ». Je me souviens encore de cette impression que j’avais eue d’avoir perdu un bout de mon histoire. J’avais détesté ressentir cela. J’avais alors mesuré la place de ces appareils dans nos vies. Bien sûr, en bonne Cosette, je n’avais pas sauvegardé ce qui était important sur mon ordinateur. J’avais dû reconstituer tout mon répertoire.

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Seule, armée d’une canne, j’essaie de trouver mon portable. J’ai abandonné mon vélo sous le cerisier. Je n’ai pas de chapeau. Je sens les rayons du soleil qui brûlent ma nuque. Je prie pour que des voitures ne se croisent pas sur la route et que leurs roues ne viennent pas réduire en miettes mon téléphone. J’ai aussi appelé saint Antoine de Padoue en renfort mais il demeure sourd à mes prières. Christian arrive. Je le vois vraiment comme un sauveur et je sais qu’il est souvent perçu comme tel tant il répond présent aux sollicitations diverses et variées de ses proches et moins proches. Il faut dire que Christian sait à peu près tout faire! C’est notre Huggy du plateau! Nous bavardons tandis qu’il promène son détecteur sur le bord de la route. Un peu avant l’endroit où je pense avoir jeté mon vélo, la machine se met à biper en continu. Le portable est là, sous la paille. Nous avons déjà marché dessus plusieurs fois sans le sentir. Comme je suis heureuse! Oubliant que je suis rouge et gluante, j’embrasse Christian et lui offre de venir boire un thé sous les canisses.

Je déjeune d’un reste de riz et de ratatouille. Pas de verre de rosé de Provence. Je n’arrive pas à éliminer les coupes de champagne aromatisé à la liqueur de fruit de la passion. Je range la maison. Je change les draps des lits des enfants. Tout à l’heure, au moment d’étendre le contenu de la première machine, j’y trouverai le doudou de notre grande Céleste, un petit ourson brun trouvé à Orange, dans une boutique de jouets, quelques semaines avant sa naissance.  A bientôt seize ans, elle continue de l’emporter partout avec elle.  La tension redescend. Stéphane et les enfants sont soulagés que l’affaire du portable volant ait connu un heureux dénouement. A leur arrivée dans l’Ain, ils trouvent une mamie, une tante, un oncle, leur cousine Louise, Zoé, la fille de Sophie, une cousine de Stéphane et de sa soeur morte en moto, sur les quais de Saône à Lyon, à peine trois mois après avoir mis au monde son bébé, Yanis et Jade, les petits-enfants de Marie-Thé et René, amis et voisins de mes beaux-parents et un couple d’amis de Catherine, Yolanda, espagnole, son mari Gabor, hongrois et leur fils Noam, vivant à Genève.

Pour moi, l’après-midi s’écoule paisiblement entre bains dans la piscine, lecture et repos dans le hamac suspendu entre deux poutres de la terrasse. La glycine que nous pensions morte cet hiver a repris après que Stéphane l’ait taillée et elle monte à l’assaut des canisses procurant ombre et fraîcheur. Rien de mieux que la végétation pour se garder des brûlures du soleil. J’ai acheté un roman de Sarah Vaughan dont l’histoire se déroule en Cornouailles. Dés les premières pages, j’ai su que le livre me plairait.

Quand il fait un peu moins chaud, je vais apporter à mon amie Nadège des sacs de vêtements de Louis que j’ai mis de côté pour son dernier fils. Nawofen et Malone se rafraîchissent dans la piscine sous l’oeil tendre et amusé de leur papa. Je continue jusque chez Marie et Pascal et rapporte à Marie les deux livres Singer qu’elle avait eu la gentillesse de me prêter après que Victoire se soit fait offrir par sa mamie une machine à coudre pour Noël. Les livres avaient pris la poussière. Marie expose ses toiles pendant dix jours avec le mari de l’une de mes anciennes patientes. J’irai voir leur travail.  Je continue jusque chez Muguette. Je sonne la cloche à plusieurs reprises mais la télévision l’empêche de m’entendre.

Je dîne peu. Je suis écoeurée. J’ai pris trop de soleil. Je bois beaucoup d’eau citronné et décide d’aller voir le film « Walkyrie » qu’Arte diffuse. C’est notre père qui m’a donné le goût des films de guerre et des westerns. Je connais l’opération Walkyrie mais je n’ai pas vu le film sorti en 2008 et qui retrace le complot du 20 juillet 1944 contre Hitler. En 1943, le colonel Claus von Stauffenberg rentre en Allemagne après avoir été grièvement blessé au combat après un raid de la Royal Air Force en Tunisie. Il ne supporte plus la politique menée par Hitler et bras droits nazis. Il rejoint la résistance allemande. Stauffenberg incarne le désir d’une partie du peuple allemand de se sauver de la folie nazie. Je suis si fatiguée que je ne vois le film que par intermittence.

Céleste m’appelle vers vingt-deux heures pour me faire un récit circonstancié de leur journée. Ce soir, Noam, le fils de Gabor et de Yolanda, reste dormir. Il repartira par le train pour Genève. Victoire, Louise et Noam dorment dans l’atelier, pièce surchauffée en période de canicule. Louis partage le lit de son papa et Céleste dort avec sa mamie. Catherine et Vali dorment dans leur chambre au rez de chaussée. Dans la nuit, les dormeurs de l’atelier iront s’installer près de la piscine pour bénéficier de l’air frais de la nuit.

Ici, un orage me réveille. Des éclairs zèbrent le ciel. Fantôme ne bronche pas. Un moustique va et vient dans la chambre. Demain matin, j’irai retrouver Muguette dans son potager et Pépette, sa petite chienne, assise entre deux allées d’oignons rouges. Muguette me dira: « C’est bien d’être seule! On mange quand on veut. On fait ce qu’on veut. On ne négocie pas. » J’adhère à cent pour cent! Dans les couples, nous devrions tous pouvoir avoir des moments de solitude choisie, des moments pour soi. Stéphane rentre ce soir. J’imagine Louis s’accrochant à son papa au moment de se dire au revoir.

Maintenant, la brochette d’enfants va vivre entre les piscines de Claude et de Marie-Thé et l’étang de Philippe, le frère de Claude. Ils adorent ce sentiment de liberté. Cet espace qui s’offre à eux. S’agissant de Stéphane et moi, j’ai compté qu’entre ses rendez-vous à Paris et le petit séjour que je vais y faire, nous aurons très précisément huit jours tous les deux. Nous en profiterons pour fêter avec un peu d’avance nos 20 ans de mariage. Que fait-on pour les noces de porcelaine? On casse tout son service de Limoges et on en rachète un autre?

Tout à l’heure, j’ai entendu passer sous la fenêtre de mon cabinet, de mon Ar-Men chauffé à blanc ces derniers jours, le car qui transporte les enfants des écoles maternelle et primaire. Un peu plus tard, c’est celui qui reconduit les collégiens qui a filé sur la route dans un bruit de soucoupe volante. Avec trois sacs abandonnés dans les coins, j’en avais presqu’oublié que les grandes vacances ne commençaient officiellement que vendredi soir. Je dis « presque » parce qu’hier, j’ai eu une pensée pour notre neveu Valentin, pour Matisse, le fils de l’une de nos amies et pour les jeunes que j’ai suivis cette année qui allaient plancher sur les épreuves du brevet. C’est toujours un peu stressant de passer un examen pour la toute première fois. Stressant pour les enfants et pour les parents!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

2 commentaires sur “Chronique d’une aventurière solitaire

  1. Je viens de passer un excellent moment à te lire, sur la terrasse encore fraîche, avec mon café. Tu as un vrai talent d’ecriture
    J’ai découvert ton IG il y a peu, et maintenant ton blog, et j’en suis bien heureuse.
    Merci de ce moment 😊

    1. Chère Catherine « Nouvelle vie », merci d’avoir pris le temps de me lire et de me faire ce si gentil compliment. Est-ce que tu es « La » Catherine que je connais bien. La maman de Léa?

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