Mercredi dernier, il est deux heures du matin quand j’éteins la lumière de la lampe posée sur la table de nuit. Je suis dans MA chambre, celle de la bonne et vieille maison de Pont. La dernière fois que j’ai dormi dans ce lit c’était à notre retour de Haute-Corse. Les températures ont été très élevées dans le Gard ces derniers jours. Il fait déjà chaud dans la maison. La porte s’est ouverte facilement, preuve qu’il n’a pas plu depuis de longs mois. Toujours cette odeur de lavande, de cire et de cendres froides. Nous n’étions jamais venus dans le Gard pour l’Ascension. Pendant plusieurs années, nous allions dans l’Ain, chez mes beaux-parents. Nous en profitions pour fêter l’anniversaire de la mamie des enfants et la fête des mères. Il faisait toujours très beau et les enfants s’en donnaient à coeur joie dans la piscine et le trampoline. A cette époque, dans le potager, les enfants trouvaient des fraises.
La route a été très longue et fatigante pour Stéphane que je ne relaie pas. L’autoroute était si saturée qu’il a fait le choix de la quitter après Valence. Encore beaucoup d’automobilistes de plus en plus fatigués et nerveux et un chapelet de ronds-points. Nous avons mis autant de temps que si nous allions à l’Ile-Tudy, dans le sud du Finistère. Louis qui n’aime pas les longs trajets a été bien inspiré de rester sur le plateau avec sa grand-mère et les animaux. Sur la table de nuit, j’ai retrouvé les deux livres que j’y avais laissés: Les lettres de mon moulin de Daudet et Regain de Giono. Je me suis endormie après avoir relu le curé de Cucugnan. Si j’étais professeur de français, je ferais étudier ces textes à mes élèves. Non seulement c’est remarquablement bien écrit mais en plus c’est poétique, profond et drôle. Avec Daudet, on passe vite du rire aux larmes. La chèvre de monsieur Seguin m’a traumatisée et j’ai lu sous la plume d’un psychanalyste qu’en réalité la chèvre était une jeune fille et le loup un homme abusant d’elle avant de la laisser pour morte.
Le matin, je devine la lumière dorée qui illumine les façades des maisons, le Ventoux et le dos remuant du Rhône. J’entends les cris des hirondelles qui nichent sous les tuiles. Il est sept heures. Je n’arrive pas à dormir davantage. Je sors déambuler dans les ruelles où dorment des chats. Je vais acheter du pain et rentre prendre mon petit-déjeuner. La pendule ne marche plus. Le petit coucou que j’avais rapporté à notre maman quand j’étais enfant d’un séjour à la montagne est là. Je vois la jolie carte que Margot lui avait envoyée de la Normandie. Tout le monde dort. Je pars faire des courses pour le pique-nique que nous avons projeté avec des amis au bord de la Cèze. Le mistral souffle avec force emportant le pollen des platanes qui pique les yeux. Trop de vent. Nos amis nous accueillent chez eux. Cela fera bientôt deux ans que nous ne nous sommes pas revus. Tout a poussé dans le jardin de nos amis. Et Noah, leur second fils qui a le même âge que Louis, est en passe de rattraper son grand frère, Liam, né peu de temps avant Céleste. Liam et Céleste étaient à la crèche ensemble. Comme il en va toujours avec les amitiés solides, nos échanges reprennent avec la même simplicité complice.
Le soir, Stéphane et moi restons à la maison tandis que Victoire et Louis vont diner à la terrasse de la Bourse qui demeure une institution locale. Avec Stéphane, nous nous remémorons les visites de nos amis, de nos familles, la naissance des filles et cette époque où il peignait le plus souvent dans la chambre de ma soeur. Dans le grenier, il réalisait ses préparations: les toiles et les couleurs avec des pigments broyés sur une dalle en marbre avec un pilon en verre. Avant d’avoir les filles, nous sillonnions la région sur nos vélos. Enceinte de Céleste, j’ai continué le vélo jusqu’à ce que le médecin qui me suivait estime que cela devenait dangereux. Céleste a appris à marcher le long du Rhône.
Vendredi, à 9h00, Nicolas, l’associé de Stéphane et Lyra, sa femme, sonnent à la porte. Un petit café, un tour de la maison et nous voici partis en direction des gorges de l’Ardèche. Beaucoup de vélos et de motos prennent d’assaut la route en lacets. Nous laissons une voiture à Gournier et continuons jusqu’à Vallon-Pont d’Arc, point de départ de notre marche et de celles et de ceux qui descendent en canoë à la journée ou en deux jours. Le sentier monte et descend. La plupart du temps, nous progressons à couvert des chênes verts et des saules. Beaucoup de racines, de pierres instables. Parfois, des équipements ont été prévus pour grimper ou ne pas glisser sur de grandes roches blanches polies par le temps. La dernière fois que nous avons fait cette marche, j’étais enceinte de Céleste depuis presque six mois. Nous avions passé un merveilleux long week-end en compagnie d’amis rencontrés au Pérou sur les bords du lac Titi-Caca. Ensemble, nous avions voyagé à bord d’un train à destination d’Arequipa. Dans cette ville magnifique, nous nous étions promenés et avions bu des pina-colada à la terrasse du Rendez-Vous dont le logo était un triskel. Tous les soirs, nous contemplions le Misti sans jamais nous motiver assez pour le gravir. On nous avait dit que les touristes s’y faisaient volontiers dépouiller par des brigands. Cela avait eu raison de notre désir d’atteindre le sommet souvent enneigé du volcan culminant à 5822 mètres quand ville d’Arequipa se situe déjà à 2335 mètres.
Tandis que nous pique-niquons après un bain dans une eau fraiche et limpide, nous nous amusons à voir descendre les canoës et assistons à des scènes hautes en couleur. Ainsi, dans un canoë venant de franchir un rapide, une fille reproche à sa mère de commencer par être dans la critique au lieu de la complimenter. La mère saute dans l’eau et rejoint la rive tandis que la fille, elle, continue de se laisser porter par le courant. La mère devait s’attendre à ce que sa fille revienne la chercher mais cette dernière reste sourde aux appels maternels…Longtemps, je me demanderai si la mère et la fille ont réussi à finir cette descente toutes les deux. Avant de repasser la rivière à guet, nous nous baignons dans un endroit où se trouve un contre-courant. Si Lyra et Nicolas ne devaient pas regagner Montpellier avant qu’il ne soit trop tard, nous aurions pu profiter davantage de ce lieu si agréable. A Gournier, lieu de bivouac, Nicolas et Stéphane remontent jusqu’à la route pour aller chercher la voiture restée en amont. Cette dernière partie de la marche est dure. Il fait chaud et le chemin est très raide. Deux spéléologues débouchent de la forêt avec leur frontale, leurs cordes, des pantalons et des godillots couverts de boue. Jamais, je ne pourrai m’enfoncer dans les entrailles de la terre. Cela me terrorise! Je pense aux cataphiles qui s’amusent à passer des journées complètes sous Paris et y font des soirées. Ainsi, depuis 25 ans, l’artiste Misti peint aux pastels dans les catacombes, à la lumière des bougies. Il parait que le calme qui y règne est fascinant.
Après une bonne douche, Victoire et Louis n’ont plus le courage d’aller pique-niquer au bord du Rhône. Stéphane va nous chercher une pizza chèvre-miel. L’inattendu, le rosé que j’ai acheté, est délicieux.
Samedi, c’est le jour du marché, celui dont j’ai si souvent parlé dans mes chroniques et auquel je suis fidèle depuis que je suis adolescente. A ma demande, notre père venait me réveiller et nous partions tous les deux. Il emportait un panier en paille. J’adorais le marché avec lui. Il connaissait tout le monde. Il était drôle et avait un mot gentil pour tous. C’est chez le poissonnier que nous passions le plus de temps. Nous ne rentrions jamais sans avoir acheté des fleurs pour notre mère, souvent des glaïeuls avec des tiges immenses qu’elle mettait dans un grand vase. Il aimait faire mariner des petits chèvres dans un mélange d’huile d’olive auquel il ajoutait des branches de romarin et des grains de poivre. Il nous cuisinait des tians délicieux. Voici plusieurs années, longtemps après sa mort, un samedi d’hiver, j’ai vraiment crû voir notre père de dos avançant dans un loden vert.
Samedi, je pars la première au marché. J’ai rendez-vous au Concorde avec Virginie avec laquelle j’ai sympathisé après que nous ayons quitté Pont avec les filles. Virginie avait son atelier juste à côté de la maison. Les incivilités au quotidien et son combat épuisant pour faire bouger la mairie l’ont conduite à quitter la rue. Désormais, elle travaille et accueille ses élèves de 7 à 77 ans chez elle. Une maison très chaleureuse gardée par Pépito un Maine Coon aussi imposant que câlin. Le café et le thé bus, j’aide Virginie à rapporter des pots de fleurs jusqu’à sa voiture. Nous nous retrouverons ce soir chez Jacky et elle. Jacky est allé courir un trail le long de l’Ardèche. Il s’est inscrit pour la course des 39 kilomètres. Sur le marché, j’échange avec les personnes que je connais: le monsieur d’Issirac qui possède un troupeau de chèvres et vend ses fromages, celui des olives et de la tapenade. Le boulanger auquel j’achetais des barquettes aux marrons a pris sa retraite comme le monsieur qui venait du Ventoux avec ses oeufs. Stéphane me rejoint et nous retrouvons Louis et Victoire. Louis fait le plein de bons produits locaux pour son papa: saucissons, miel, tapenade.
Tandis que Stéphane essaie d’arranger un des toilettes qui fuit, je vais embrasser Milouda et deux de ses cinq enfants. Je connais Milouda depuis presque 20 ans. Son troisième enfant, Sarah, et notre ainée ont le même âge. Sarah nous a accompagnés sur la première partie du chemin de Stevenson. Une magnifique brioche gonfle et dore dans le four. Milouda n’est pas encore vraiment remise du départ de sa première fille qui, après son mariage, est allée s’installer en Lorraine avec son mari. Educatrice, elle travaille au Luxembourg. Je prends souvent de ses nouvelles. Mohamed a longtemps refusé que sa femme travaille. Il estimait qu’il lui revenait de pourvoir aux besoins des siens. Maintenant, Milouda s’occupe du fils handicapé d’une femme médecin. Elle assure également l’intendance de la maison. Je sens combien elle est heureuse. Elle a entamé des démarches pour obtenir la nationalité française.
A Goudargues, nous rejoignons Farida, Nicolas et leurs deux fils. Ils nous attendent à la terrasse du Commerce qui donne sur le canal. Le mistral souffle toujours aussi fort. La serveuse qui nous drive comme si nous étions des enfants dans une colonie de vacances a quitté Brest et son écharpe de pluie pour la chaleur sèche de la Provence. Nous parlons de voyages et d’éducation des enfants. Les garçons vont rejoindre des amis et nous, les parents, allons marcher le long de la Cèze et y tremper nos pieds. Nous raccompagnons nos amis chez eux. Victoire et Louis étaient restés à la maison et, avec Sarah, ils ont nettoyé la cour et coupé les plantes.
J’installe une table et des chaises dans la cour pour le diner de Victoire et Louis et Stéphane et moi rejoignons Virginie et Jacky. La maison est toujours impeccable. Chaque chose est à sa place et chaque place a sa chose. C’est une maison pensée par une artiste délicate, créative et sensible. Virginie dont la fille ainée vient de traverser une double mastectomie et vit en Gaspésie avec son mari et ses deux jeunes enfants nous fait admirer ses derniers carnets de voyage. Virginie utilise des carnets en accordéon. J’aimerais en trouver pour Valentin, notre neveu qui, en septembre, intégrera la prépa de Sèvres pour, ensuite, tenter le concours de l’école des Gobelins. Virginie a énormément de talent. Elle exploite à merveille leurs voyages: Japon, Amérique du Sud, Vietnam, Afrique du Sud et Gaspésie. Si Stéphane avait été prêt quand nous sommes rentrés après notre évasion de treize mois, nous serions devenus carnettistes. Jacky a les jambes lourdes après son trail. Nous nous embrassons dans l’odeur du jasmin qui pousse autour de la porte d’entrée.
Dimanche, réveil à 5h45. Toujours surprise en descendant les marches de l’escalier à vis de ne pas voir arriver notre Fantôme pressé d’aller se promener. Un sms pour ma belle-mère dont c’est l’anniversaire. Fête des mères. Bison futé a classé la journée en noir foncé! Je range, rassemble et vais réveiller les jeunes. Je vais dire au revoir au Rhône et au Ventoux. Merveilleuse escapade. Fidélité des amitiés. Retour houleux sur le plateau. Déprime lundi. Demain, gare d’Austerlitz, départ en train de nuit pour Briançon et marche en montagne. Quand nous allons à Saint Véran, nous ne pouvons jamais nous arrêter pour visiter la ville dont nous ne voyons que la citadelle pensée par Vauban. Le Volvo était toujours chargé jusqu’au gosier et nous avions Fantôme. j’aime beaucoup les trains de nuit. C’est génial de parcourir de longues distances en dormant! La première fois que j’ai emprunté un train de nuit, j’étais très jeune. Ma soeur n’était pas encore née. Nous avions notre cocker. Nous allions dans le Midi. J’étais impressionnée par tous les boutons au niveau des couchettes. Connaissant notre père, il avait certainement réservé en première classe si cela existe pour des couchettes. La deuxième fois, c’était en 1998. Stéphane et moi allions à Venise rejoindre son père. Nous étions montés à Genève. C’était merveilleux de sortir de la gare, de découvrir la lagune et de prendre un vaporetto. J’aimerais recommencer avec les enfants et que Stéphane leur fasse découvrir Venise où son père peignait plusieurs mois dans l’année. La troisième fois, nous étions en Inde. Les banquettes se transformaient en lits. Les plateaux repas colorés et épicés étaient apportés aux voyageurs.
Demain, le chef de gare sifflera le départ du train à 20h51. Après un trajet de 11h28, nous atteindrons Briançon à 8h21. Les horaires de la SNCF me fascinent! La météo ne s’annonce malheureusement pas fameuse pour des marches en montagne. Stéphane souhaitait que nous découvrions la vallée de la Clarée mais pour ça il faut prendre un bus et, en montagne, avec les virages, j’ai mal au coeur…Un été, un fort vent avait contraint le commandant de bord de dérouter l’avion sur Bastia. Le trajet de Bastia à Calvi fut cauchemardesque! Nous étions verts en arrivant et Victoire avait été malade.
A toutes et tous une bonne semaine et un agréable week-end porté par l’Esprit-Saint de la Pentecôte!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner