Toujours cette même pluie lancinante qui fait sortir de leur lit les rivières, menace les habitations, angoisse toutes les familles qui ont vécu la crue centennale de 2016 et donne au plateau des airs d’Ophélie sortant des eaux. La serpillère n’a jamais le temps de sécher, les bas des pantalons sont tachetés de boue et Cookie, notre chaton, depuis qu’il a découvert les joies de la vie au grand air, laisse un peu partout dans la maison les traces de ses petites pattes humides.
Tout à l’heure, alors que je rentrais après avoir fait quelques courses, je me suis trouvée derrière un fourgon funéraire qui roulait au pas. Le cercueil disparaissait sous les couronnes fleuries. Le conducteur masqué était très attentif à ne pas bousculer son passager silencieux. Sur le parking du cimetière, de nombreuses personnes attendaient. La pluie avait momentanément cessé. Je me rappelais que lorsque notre grand-mère avait été enterrée dans un cimetière gardois gardé par une armée de grands ifs, une pluie diluvienne s’abattait sur les tombes. Pourtant, nous étions en juin. Le ciel aurait dû être limpide et la lumière chaleureuse. Je croyais entendre notre grand-mère me glisser à l’oreille: « Avec moi, il y a toujours un défaut! ».
Tandis que le fourgon m’obligeait à rouler à la même allure que lui, je pensais aux deux escargots de Jacques Prévert se rendant à l’enterrement d’une feuille morte. D’une feuille morte emportée par l’automne, je glissais vers la chanson « Les feuilles mortes » que Victoire a récemment découverte et qu’elle écoute souvent, le soir, avant le dîner, depuis le canapé d’un rouge passé qui, l’hiver, tient lieu de lit à Fantôme. Les feuilles de la glycine se désagrègent lentement sur les dalles moussues de la terrasse. L’eau de la piscine est d’un beau vert presque kaki. Le travail ne manquera pas dehors quand la pluie cessera!
Bientôt, tous les jardiniers s’activeront dans les potagers. Comme tous les ans, Muguette dit ne pas avoir envie d’y retourner. Ses deux fils ne lui laisseront pas le choix. Chacun lui apportera des graines et des plants. Pour eux, ce potager est thérapeutique. Il aide leur maman à aller de l’avant, à ne pas broyer du noir. Quand l’été sera là, je serai ravie de recommencer à admirer les belles fleurs que donnent les poireaux et dont les têtes mauves ou blanches sont dissimulées sous des bas quand elles sont devenues sèches. J’aurai plaisir à voir monter le soleil depuis le potager de Muguette, de la voir arroser ses tomates ou ses courgettes et remplir d’eau le grand réservoir qu’elle appelle sa « tonne ».
Si, le matin, la nuit est encore longue à céder sa place au jour, le soir, on sent bien que la lumière dure davantage. J’ai observé des bourgeons sur les branches des arbres alors que Fantôme et moi nous promenions. Dans quinze jours, les enfants seront en vacances et nous n’avons absolument rien prévu. Si les musées rouvraient leurs portes, j’aimerais aller à Paris pour m’y livrer à une véritable orgie d’expositions. Peut-être qu’à la dernière minute, nous trouverons quelque chose à louer à la montagne. Nous pourrions y faire du ski de fond et des marches en raquettes. La maison et le plateau me pèsent terriblement.
Bientôt, cela fera un an que nous nous envolions pour Séville avec les enfants. Comme nous étions heureux d’entreprendre ce voyage et de découvrir en famille un bout de l’Andalousie! C’était merveilleux de marcher le long du Guadalquivir, de respirer l’odeur des fleurs d’oranger, d’écouter le bruit de l’eau des fontaines dans les palais, de découvrir des quartiers pleins de vie et de couleur, de pousser la porte des églises, d’acheter des produits frais aux étals des marchés couverts et de prendre un apéritif le soir à la terrasse d’un café. Pas de masque, pas de restriction, un grand sentiment de liberté. Quel contraste avec la vie qui est la nôtre maintenant! Jamais, nous aurions pu imaginer connaître des confinements, un couvre-feu, des hôpitaux débordés et une économie si fragile.
Ce soir, avec les lycéens, réunion aumônerie en visio autour du thème suivant: « la rencontre personnelle avec le Christ ». J’aime beaucoup échanger avec les jeunes. Dans mon groupe, les élèves sont en première et ont récemment fait leur confirmation. Ils sont arrivés à l’âge où on ne subit plus les choix de ses parents mais où on décide de vivre vraiment sa foi chrétienne. Ces temps de partage sont très nourrissants.
A toutes et à tous, une agréable fin de semaine!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner