Première chronique de l’année 2019 entre un Paris photographique et un plateau perdu dans la brume

Le solstice d’hiver est derrière nous et, pourtant, le matin, la nuit se détache avec peine du plateau. Muguette me le dit à chaque visite. Muguette, c’est cette dame merveilleuse qui, semaine après semaine, a pris tant de place dans ma petite existence et dans celle de notre fidèle berger australien. Je parle souvent de Muguette dans mes chroniques, de son arche de Noé, de son humour incisif, de la vivacité de son esprit, de ses cuivres rutilants, des objets aratoires que collectionnait son mari et qui sont accrochés dans son salon et sa salle à manger, de ses bûches qu’elle réduit en petit bois avec sa hache sur son billot, de ses doigts si fortement déformés par l’arthrose, de sa force physique, de sa robe d’intérieur trouée que l’un de ses fils rêve de mettre au feu et de ses plantes, fruits, légumes ou oeufs encore tout chauds qu’elle a la gentillesse de me donner quand, de mon côté, je lui apporte de la tarte aux pommes, du flanc de butternut ou de la quiche.

Muguette est comme moi et comme tant d’autres personnes, elle souffre d’un court épisode dépressif lié à la fin de l’année, à ce sentiment de deuil que l’on ressent à voir un nouveau chapitre se refermer et à cette difficulté momentanée à se situer en haut à gauche d’une page vierge pour commencer à l’écrire. Cette tristesse ressentie en toute fin d’année a été majorée chez ma soeur cadette et moi par le fait que notre père, né le 1er janvier, un homme qui ne supportait pas de vieillir, avait commencé à rédiger son testament quand il était entré dans sa quatrième décade, aimait le 31 décembre s’assurer que le service de réanimation des hôpitaux fonctionnait bien ou alors disparaissait jusqu’au 2 janvier.  Forcément, ce genre de souvenirs n’aide pas à aborder les réjouissances du réveillon et le traditionnel premier déjeuner de l’année avec beaucoup de légèreté!

Nous n’avons pas vu le soleil depuis longtemps. Comme je travaille à neuf heures aujourd’hui, Fantôme et moi sommes partis nous promener entre chien et loup, prenant garde de nous mettre sur le côté au passage toujours trop rapide de voitures sur la petite route ventrue et cabossée par les épisodes de gel. Ni jaune ni rouge ce matin mais une belle harmonie de gris, de vert et de brun. Il n’est pas toujours facile dans les mois d’hiver quand le temps est au froid humide de trouver des éclats de magie et de poésie autour de soi.

Ma patiente vient de se garer sous la fenêtre de mon cabinet, de mon Ar Men. Comme elle a quelques minutes d’avance, j’entends monter de sa voiture fermée une voix féminine de radio. Puis, la voix se taira, la porte claquera et la sonnette retentira en même temps qu’un aboiement unique et grave de notre berger australien. Ma patiente est arrivée au terme de sa deuxième grossesse. Un petit garçon après une petite fille née voici deux ans. Nous avons repris des exercices que je lui avais déjà transmis alors qu’elle était enceinte la première fois mais en les enrichissant avec les souvenirs conservés de son premier accouchement et nous avons cherché à faire disparaître une croyance: si le bébé naissait après le terme et arrivait à partir du 21 janvier, il serait verseau et plus capricorne et la maman redoute d’avoir un fils verseau car elle a eu des relations tendues avec sa mère, son frère et un cousin natifs de ce signe dont je sais si peu de choses.

Ce matin, tandis que Fantôme caracolait en tête et que j’avais laissé mon vélo planté au milieu du jardin, j’essayais de trouver de la beauté dans cette nature prisonnière du brouillard. La mare des Bernard faisait grise mine. De l’eau stagnait entre les sillons des champs. Le trio de hérons avait disparu. Ni chevreuil ni pic-vert pour mettre un peu de joie dans tout ce gris. Cependant, un arbre m’a semblé beau: un pommier mourant au tronc noueux que des boules de gui enserrent en une étreinte dangereuse et asphyxient lentement.

Ce matin, en longeant le couloir desservant les chambres, j’avais constaté que de la lumière filtrait de la porte de Victoire, notre enfant du milieu, notre jeune adolescente qui aura quatorze ans en avril. Elle avait dormi par intermittence craignant, si elle se laissait partir dans un sommeil profond, de ne plus réussir à sortir de son lit. A six heures vingt, elle était déjà habillée et tressait ses cheveux. A l’étage, Louis s’était réveillé sans histoire tel un militaire à l’appel du clairon. Il avait eu lui aussi bien du mal à trouver le chemin du sommeil qu’empruntait également une énorme araignée noire et velue que son père avait attrapée et mise dehors. Les araignées se plaisent énormément à l’étage de la maison gagné sur les combles, un lieu chaud, sec et traversé par de larges poutres en chêne. Notre lycéenne, elle, avait la chance de pouvoir repousser l’heure du réveil car sa grand-mère la conduirait au lycée. Les vacances de Noël sont tout sauf reposantes et, je sais, que cette semaine, nombreux seront les élèves à s’endormir en classe!

Hier, alors que, pendant une heure trente, j’avais préparé le déjeuner et une partie du dîner après avoir aspiré le bas de la maison et caressé le damier noir et blanc avec la serpillère et constaté que mes mains ressemblaient de plus en plus à celle de Muguette, la force en moins car des kystes synoviaux à la naissance du poignet me limitent beaucoup, m’obligent à renoncer à des envies de via ferrata, de cascade de glace et de cochon pendu depuis le trapèze du portique, je pensais à ces trois jours et demi que Stéphane et moi avons passés à Sceaux dans l’appartement de notre mère. Cela faisait plus de quatre ans que nous n’avions pas été tous les deux sans travailler, sans les enfants, les trois deux pattes et le quatre pattes.

Tandis que ma mère s’installait chez nous pour veiller sur la maisonnée, nous investissions l’appartement dans lequel elle vit maintenant depuis plus de trente ans, en face du lycée Lakanal dont son grand-père maternel fut proviseur et dans les allées duquel ses parents se fiancèrent peu de temps avant la déclaration de guerre. Sur un photo en noir et blanc que le temps jaunit, on les voit assis sur un banc. Elle porte une robe légère. Il porte son uniforme d’apparat de l’X. Leurs yeux sont baissés. Il tient sa main dans la sienne. Ils sont tout à leur bonheur. Ni elle ni lui ne peuvent savoir qu’il sera exécuté par les Allemands dans le camp de concentration de Mauthausen en avril 1944 pour avoir tenté une nouvelle évasion depuis Colditz où il était emprisonné. Ni elle ni lui ne peuvent savoir que de leur amour né sur les bords gelés de la Moselle ne restera qu’une petite Françoise venue au monde en 40 alors que son père est déjà prisonnier.

L’été, il nous arrive à Stéphane et à moi d’être sans les enfants mais alors nous travaillons et ne quittons pas le plateau si ce n’est pour des escapades à la journée dans l’Yonne ou la Seine et Marne. Dans un monde idéal, les couples pourraient se ressourcer plusieurs fois dans l’année loin des métiers qui volent les maris à leurs familles et des tâches domestiques qui érodent les femmes et finissent par les aigrir. Nous sommes arrivés chez ma mère le 1er janvier et sommes repartis le 4 après le dîner. Quelle joie de ne pas faire de courses, de ne pas préparer de repas, de ne pas faire de ménage, de ne pas être interrompu par un enfant quand on parle à table, de ne pas être assaillie par une grosse boule de poils au saut du lit et de déambuler de longues heures dans Paris. Même si nous n’avons jamais vu briller le soleil, si la Seine était sombre et ses quais froids, c’était merveilleux de s’arracher à la monotonie du plateau, de renouer avec ce qui a fait ma joie au quotidien pendant douze ans: la diversité incroyable des visages, des vêtements, ces tours du monde contractés sur la ligne 2 du métro ou dans les couloirs du RER à la gare du Nord, les innombrables salles obscures, les chanteurs de rues, les marchés colorés, la vie animée dans les brasseries, aux comptoirs des cafés et ces repères comme la galerie 88, petit restaurant et salon de thé dans lequel j’ai eu mes habitudes avec des amis quand j’ai commencé mes études de droit. J’ai constaté que le propriétaire avait changé. Le nouveau est tout en rondeur quand l’ancien était sec et assez taciturne. La cuisine préparée avec des produits « bio » ne donne pas toujours des êtres joyeux.

Nous avons eu beaucoup de plaisir à retrouver le musée de l’Homme où nous n’étions pas retournés depuis la magnifique exposition de Titouan Lamazou intitulée « Zoé-Zoé, femmes du monde ». Dix ans se sont écoulés depuis! Début 2008, Louis avait quelques mois, Céleste un peu plus de quatre ans et Victoire pas tout à fait trois ans. Nous avions la poussette si pratique pour y ranger (surtout en hiver) manteaux, écharpes, bonnets, gants, eau et un goûter. Je conserve un souvenir très fort de cette exposition. Les toiles, textes et dessins de l’artiste-navigateur étaient présentés sur de grands panneaux en bois clair. Titouan Lamazou qui s’est fait le confident de centaines de femmes tout autour du globe n’avait pas reculé devant la représentation d’un sexe excisé pour illustrer la barbarie de cette pratique visant à interdire à la femme l’accès au plaisir physique. Avec un peu de chance et beaucoup d’organisation, nous réussirons à aller voir avec les enfants l’exposition que le musée du quai Branly consacre à l’artiste-navigateur. L’exposition présente une escale virtuelle de Titouan Lamazou aux Marquises et aux Caraïbes unissant ses oeuvres à celles de ses « invités »: des artistes, des écrivains et des voyageurs.

Nous étions heureux de redécouvrir le musée de l’Homme qui a fait peau neuve. La présentation de l’histoire de l’humanité est claire, ludique et extrêmement pédagogique. Les vitrines sont de véritables compositions qu’on croirait imaginées par un peintre flamand. Une passionnante vidéo de quelques minutes retrace l’histoire des hommes de leur apparition sur la terre jusqu’en 2050. Stéphane et moi avons beaucoup ri devant nos visages retravaillés selon les canons de la beauté néandertalienne! Avant, nous avions été voir les photos en noir et blanc de Sebastiao Salgado venant illustrer certains des articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Les clichés de ces êtres dont les droits les plus élémentaires sont bafoués tous les jours sont terribles et, pour moi, il est plus terrible encore d’entendre des visiteurs les trouver beaux. L’horreur n’est jamais belle même si le photographe est un authentique artiste. Les clichés de deux petites filles de sept et dix ans excisées la veille marchant avec un bâton car leurs jambes sont entravées par des bandelettes sont terribles.

Au jeu de Paume, j’ai été également bouleversée par le travail réalisé par la photographe américaine d’origine allemande, Dorothea Lange. A la demande d’organismes publics, elle a témoigné de la vie de ses familles américaines jetées sur les routes par la Grande Dépression, de ces Américains d’origine japonaise enfermés dans des camps après l’attaque de Pearl Harbor, des femmes intégrées comme ouvrières sur les chantiers navals pendant la seconde guerre mondiale et de la justice pénale par le truchement d’un avocat commis d’office. Dorothea Lange ne se contentait pas de prendre des hommes, des femmes et des enfants en photos, elle conservait par écrit tous leurs témoignages. Elle était autant anthropologue que photographe. Si son travail photographique n’a pas la « beauté » de celui de Salgado, on ressent toute l’empathie de Dorothea Lange pour les personnes qu’elle a rencontrées. Le fait qu’elle soit née dans une famille d’immigrants européens a dû lui donner une sensibilité particulière s’agissant de ceux qui sont contraints à l’exil ou réduits à une vie concentrationnaire.

A la Maison européenne de la photographie, le travail de JR témoigne de la diversité humaine, d’une volonté de mettre l’art à portée de tous en le sortant du musée, espace confiné dont certains ne poussent jamais les portes. JR aime à exposer ses photos en taille XXL sur des lieux aussi divers que des immeubles en construction ou en démolition, des trains ou des conteneurs, les façades des maisons dans des favelas à Rio, les quais de la Seine. JR inscrit son travail dans le mouvement et le présent. Les photos encollées comme des affiches publicitaires sur des panneaux du métro sont éphémères. Avec les enfants, nous avions beaucoup aimé le film « Visage, village » dans lequel Agnès Varda et JR sillonnent la France à la rencontre de gens de tout milieu et de toute origine passant de la campagne à la ville, des usines aux anciennes cités minières. Il y a chez ce photographe une authentique générosité et une fraîcheur qui évoque l’enfance avec ses rêves d’ailleurs et ses paradis perdus.

Quittant l’univers de la photo, nous avons fait une immersion dans le monde incroyable d’un artiste anglais dont je n’avais jamais entendu parler avant que l’affiche de l’exposition ne retienne mon attention à la Monnaie de Paris: Grayson Perry. Il s’agit de la première exposition de cet artiste en France. Il a obtenu le prestigieux prix Turner en 2003. Stéphane et moi avons été fascinés par le talent de cet homme qui passe de la céramique émaillée, à la peinture, de la tapisserie à la sculpture.

Pour échapper à une enfance et une adolescence assez tristes, Grayson Perry se réfugie dans son monde imaginaire et commence, à l’âge de douze ans, à se travestir. Marié et père d’une fille, il continue très régulièrement à endosser la personnalité de Claire, son double, la jumelle imaginaire d’un enfant solitaire (?) qui fait partie intégrante de sa personnalité. Grayson Perry qui a souffert de la violence de son beau-père cherche à questionner la masculinité et invite les hommes à accepter leur part de féminité plutôt que de chercher à régler leurs frustrations nourries par la perte de repères traditionnels par de l’agressivité. La moto qu’il s’est fait faire à partir du moment où il a correctement gagné sa vie témoigne de son désir constant d’aller contre les clichés, ici, avec ceux traditionnellement associés aux bikers.

Dans le Marais, le 1er janvier, nous avions été heureux de découvrir un groupe d’artistes exposant dans la halle des Blancs-Manteaux. Nous avons beaucoup aimé les oeuvres des sculpteurs Christophe et Olivier Sultan, de Cécile Thonus et de Frédéric Saint-Aubin. Je n’ai jamais fait de l’argent mon moteur principal mais toujours cherché à mener une vie d’engagement fort qui est du sens. Je préfère nettement l’être à l’avoir mais, parfois, je regrette de ne pas pouvoir acheter les oeuvres d’artistes quand il y a une vraie belle rencontre, quand j’ai été séduite par un univers. C’est merveilleux de pouvoir aider les artistes à vivre de leur passion. Si j’en avais eu les moyens, j’aurais fait l’acquisition de l’une des oeuvres de Cécile Thonus qui travaille des pièces de vieux bois comme des poutres récupérées dans un hôtel particulier du dix-septième siècle et y fait évoluer des petits sujets en métal. Le contraste entre la densité du bois et la fragilité des personnages est très intéressant. Ce travail nous a fait penser à celui de notre amie Constance Chabrières comme, aussi, cette incroyable autruche travaillée dans du papier mâché évoquait la femme enceinte que Constance avait réalisée et que j’aurais tant aimé pouvoir lui acheter.

Pour moi, aller à Paris, c’est renouer avec une vraie légèreté dans les échanges. Ainsi, nous avons pu déjeuner dans un restaurant japonais, véritable « cantine » pour les habitués du quartier, avec ma plus ancienne amie, Soline, marraine de Céleste. Soline et moi nous connaissons depuis notre petite enfance martiniquaise et nos parents ont tout mis en oeuvre pour que notre lien résiste à nos si nombreux déménagements et aux accidents terribles de la vie. Nous ne nous étions pas retrouvées depuis plus d’un an. Ce temps partagé nous a permis de nous raconter ces derniers mois écoulés et de nous promettre d’aller toutes les deux (si je réussis à venir à Paris plus souvent…) nager à la piscine Molitor.

Grâce à ce court séjour, j’ai enfin pu faire la connaissance d’un couple charmant dont Stéphane me parle depuis deux ans: Emmanuelle et Alexis, frère et belle-soeur de Xavier, mari de Nelly, plus ancienne et meilleure amie de Stéphane. C’est avec Xavier et Nelly que nous avons marché sur le chemin de Stevenson avec des ânes cet été. Mon plus beau souvenir de l’année 2018! Emmanuelle et Alexis ont la gentillesse de nous accueillir chez eux le jeudi soir pour un dîner informel alors que tous deux travaillent et que leurs trois enfants qui ont exactement chacun un an de plus que les nôtres sont à la maison. Je m’amuse de constater les ressemblances entre leurs deux filles et les nôtres. Quand nous arrivons, leur cadette, Chloé, qui a l’âge de Victoire, révise, assise sur un tapis son grec tandis que son petit frère joue avec leur chat. Nora rentrera plus tard d’une séance de cinéma. Grande, douce, empathique, elle s’installera avec nous pour dîner de deux oeufs au plat. Comme chez Céleste, on ressent d’instinct cet attachement profond à ses parents, ce besoin d’être avec eux, de se sentir proche d’eux. Nora s’amuse devant ma vieille mûre, mon BlackBerry…Elle n’en avait pas vu depuis…très longtemps! C’est piquant car les BlackBerry ont été durablement les portables utilisés par les financiers et que mes amis Natalie, Christophe et « mes » deux Patrick des sables savent en quelle estime je tiens les banques d’affaires…

Nous ne pensions pas rester tard mais quand nous nous arrachons à la douceur de leur salon aux couleurs du Maroc où ils ont vécu il est presqu’une heure du matin. Cette heure tardive est le signe évident de notre entente directe et naturelle. Nous les attendons à la maison pour leur faire rencontrer notre grosse boule de poils et reprendre nos échanges là où nous les avons laissés.

L’après-midi de notre départ, nous allons retrouver ma soeur, Virginie, et ses enfants rue Caulaincourt, au pied du Sacré-Coeur, dans un appartement toujours lumineux même sans soleil, dominant les arbres, les toits de Paris et sans vis à vis. Valentin, en bonne ado en mode « vacances de Noël » est encore dans son lit, volets fermés. Il en sortira pour que Stéphane lui donne une leçon de Photoshop. Stéphane félicite Valentin pour ses progrès et son coup de crayon. Margot, étudiante en première année de médecine, travaille avec une amie. Les cours ne reprennent pas avant le 14 janvier. Charlotte dort. Mathieu est à Luxembourg. Il rentre ce soir. Après que Charlotte se soit réveillée, Virginie, Charlotte et moi partons nous promener. Place des Abbesses, je fais mon tout premier tour de manège avec Charlotte. Elle semble un peu surprise par ce cheval rose et bleu qui monte et descend. J’essaie de fixer un point stable car j’ai toujours eu mal au coeur dans un manège. Bien sûr, quand le tour, très long, prend fin, c’est le drame car Charlotte voudrait continuer…Ses pleurs ne durent pas. Elle fourre l’oreille de son doudou dans sa bouche et passe à autre chose. Chez un pâtissier, meilleur ouvrier de France, j’achète des parts de galette pour ce goûter-apéritif que nous improvisons. Charlotte a une véritable passion pour le tarama. La galette est délicieuse et avec les bulles roses nous nous souhaitons une bonne année…Vingt ans que nous nous souhaitons le meilleur et vingt ans que nous avons du mal à voir nos vies décoller dans la direction souhaitée. Depuis le temps, maintenant, nous en rions franchement! Le secret dans la vie, finalement, ne serait-il pas de ne rien attendre? Pas simple pour des êtres passionnés qui, depuis l’enfance, sans doute naïvement, s’imaginaient changer le monde, ouvrir des voies nouvelles…

Je l’ai souvent écrit mais nos trois enfants et de magnifiques personnes mises à part, ma vie depuis que j’ai quittée Paris pourrait être comparée à une grande propriété, une bastide provençale ou un manoir breton dont, progressivement, année après année, les nombreuses fenêtres qu’à la nuit tombée on voyait briller depuis le jardin, se seraient éteintes et refermées. A un moment donné de ma vie, j’ai ressenti un sentiment réel d’emmurement terrible. J’étais comme morte à moi-même. J’avais renoncé à ce qui donnait du sens à ma vie. Plus aucune fenêtre n’était ouverte sur l’extérieur. Petit à petit, j’ai réussi au prix d’un effort énorme chez une personne qui, depuis sa naissance, passe sa vie sur un fil, perd ses repères et n’a pas vraiment de racines, à pousser les lourds volets et à me redonner lumière et air mais ma bastide ou mon manoir sont encore bien éloignés de ce qu’ils ont pu être. Disons, pour faire simple, que l’étage est encore plongé dans le noir.

Alors que nous avons déjà bu deux coupes de champagne et que Charlotte a presque liquidé le tarama et trouvé la galette à son goût, Mathieu pousse la porte de l’appartement. Il a pu se libérer plus tôt. Il ne s’attendait pas à nous trouver là. Vivre loin des siens la semaine, avoir, sans doute, le sentiment qu’il ne voit pas grandir Charlotte comme il a vu grandir Margot et Valentin, être une nouvelle fois déçu par un poste dont il attendait beaucoup, tout ceci n’est pas simple!

Malgré nos soucis, nos déceptions, nos inquiétudes, nous nous souhaitons tous les quatre une bonne et heureuse année 2019. A vous qui me lisez, je souhaite que cette année vous apporte de l’équilibre, de la douceur, de la joie, vous conserve un coeur et un esprit ouverts sur les autres et le monde, que vos projets se réalisent et que vous n’ayez pas de problème de santé. Je me souhaite ainsi qu’à nos enfants que Stéphane s’épanouisse enfin vraiment dans cette magnifique aventure démarrée voici cinq ans, qu’il soit plus enthousiaste, follement doux, que nous puissions découvrir Palerme avec notre trio, Copenhague à deux, montrer aux enfants ce Venise qui a occupé une telle place dans les pensées de leur papy et retourner marcher avec des amis. J’espère que j’aurai un peu plus de temps pour moi et que ce temps je ne serai pas toujours obligée de le voler sur un sommeil déjà court.

Cette année, cela fera cinquante ans que l’homme marchait sur la lune, cinquante ans que Stéphane et moi et un grand nombre de nos amis voyaient le jour. Je souhaite ardemment que la fraternité revienne dans notre si bel hexagone et que tant de journalistes cessent de souffler sur les braises, de monter les Français les uns contre les autres et de chercher à provoquer une révolution. Ce qui ont si peu n’auraient pas plus et ce qui ont déjà tant réussiraient à avoir encore plus. Quant aux partis traditionnels terrifiés de perdre leur pouvoir après le succès du mouvement « En Marche! », ils trouveraient le moyen de redorer leurs blasons!

Plus j’avance en âge et plus je mesure combien je suis communiste dans l’âme, communiste comme personne n’a pu l’être puisque le communisme n’a jamais existé! Une communiste d’un genre un peu particulier puisque chrétienne. Jésus n’a jamais cherché à assoir son pouvoir sur les hommes. C’est l’Eglise qui a entendu soumettre ses brebis à sa folle autorité.

Notre Céleste a mal commencé son année. Elle est comme le pur sang qui refuse l’obstacle. Elle est dans son lit. impossible de le conduire au lycée. Encore un DST auquel elle ne se confrontera pas. Son manque de confiance en elle et la prise de conscience brutale des lacunes accumulées sont-ils en train de se transformer en phobie scolaire? Espérons que non car, alors, clairement, je vais craquer!

Allez, osons, n’ayons pas peur, faisons confiance et « Forza » comme le disent nos voisins transalpins.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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