Après onze ans de vie dans la maison, celle-ci offre le visage d’un espace gangrené par l’humidité, terrible dans le Loiret, et la vie très active de ses six membres. En plus de Stéphane et de nos trois enfants, j’inclus Fantôme notre berger australien qui fêtera ses six ans début décembre et dont la présence merveilleuse n’est pas sans occasionner quelques dégâts.
Stéphane a donné une année de sa vie à la restauration de la longère. Cette maison est vraiment la sienne. A la fois parce qu’il s’y est terriblement investi au point d’en tomber malade et parce que je n’ai pas participé financièrement à son achat. Je me borne à l’entretenir jour après jour du mieux que je peux et avec cette tendance à la maniaquerie héritée de ma mère ! Stéphane m’a gentiment racheté une nouvelle brosse pour l’aspirateur que j’avais usée jusqu’à la corde tant je me défoule à l’aide de cet engin génial. Mon mari et mon beau-frère voient dans l’aspirateur de ma sœur et du mien le cordon ombilical qui nous relie à notre mère !
« Chaleureuse », c’est le premier mot que les gens qui entrent ici emploient pour parler de la maison. C’est vrai qu’elle est chaleureuse, pleine de couleurs, d’objets, de ces moments heureux qui ont imprégné les murs. Je crois en la mémoire des maisons. Je les sais dotées d’une vie propre que certaines personnes parviennent à capter. Quand je franchis le seuil d’une maison, je ressens tout de suite si c’est une maison joyeuse ou une maison triste, si le climat est léger ou plombé. Notre maison est particulièrement sereine car, au tout début de son histoire, c’était une étable qui abritait des vaches. Ces ruminants, aux grands yeux tendres et aux cils immenses, sont parmi les animaux les plus paisibles du règne animal. Cette maison a toujours vécu au rythme de la vie d’une famille nombreuse mais ce n’est qu’avec nous qu’elle a accédé au confort d’une maison habitée à l’année. Elle a été longtemps une maison de campagne pour un couple et leurs trois enfants qui vivaient en région parisienne.
Au bout de onze ans, le salpêtre gagne les murs des chambres. Les peintures s’écaillent. Les volets sont très abimés. L’escalier qui dessert l’étage bringuebale. Les enfants ont laissé sur les murs des traces de mains et de doigts qui évoquent les peintures pariétales de Lascaux. La chaudière fuit. Le lave-linge et le lave-vaisselle ne finissent plus leurs cycles. A intervalles réguliers, le portail refuse de s’ouvrir et la sonnette se met en grève. Les capsules de la machine à café ne tombent pas toutes seules. Il faut les retirer manuellement. Le rideau d’un velux se grippe. Ce qui, à l’heure où les feuilles se détachent des arbres et où les températures déclinent, me chagrine le plus, c’est que nous sommes privés de feux de cheminée. Après avoir fonctionné à merveille, hormis quelques cas d’enfumage lorsque le conduit n’était pas assez froid, elle s’est mise à dégager une odeur chimique plutôt suffocante. Cela s’est produit après que Stéphane ait posé du ou de la silicone (question encore non résolue à ce jour) de façon à colmater une fuite. Les odeurs étaient telles qu’il a partiellement cassé, pour les remonter, les côtés de la cheminée. Mais ses efforts n’ont pas encore porté leurs fruits. J’ai un mari très pugnace qui se refuse à céder devant un problème matériel. Il met un point d’honneur à comprendre et à venir à bout des difficultés. Même s’il passe par des phases d’énervement, il finit toujours par avoir raison de la machine ! La prochaine étape va consister dans l’utilisation d’un fumigène de manière à pouvoir enfin savoir d’où provient la fuite et venir à bout de cette odeur si forte qu’elle vous donne la migraine.
Céleste, depuis deux ans, réclame, à juste titre, une chambre pour elle. Depuis que son frère est bébé, elle l’accueille dans son univers. Elle lutte régulièrement contre la tendance naturelle de son frère à l’envahissement. Elle repousse vaillamment les armées de playmobil, les légions de voitures et les carcasses de lego. Récemment, elle a rangé leur chambre et, le dessus de la commode, était entièrement vide. Céleste est en quête de légèreté. Quand Louis a vu cela, il m’a regardée et m’a dit : « maman, je vais ajouter quelques sourires parce que c’est triste ! ». Quelques minutes plus loin, les attentes de minimalisme nippon de notre aînée étaient ruinées par les cartes postales, petits personnages aux cerveaux amovibles et autres bateaux de corsaires de son frère ! Cette lutte entre l’épure (lui) et le baroque (moi) est celle qui nous a opposés mon mari et moi dans les premières années de notre vie de couple. Renonçant à avoir gain de cause, il a installé son bureau au fond du jardin et j’ai pu continuer à recréer un décor à « la Fabuloserie » dans la maison ! Mais, revenons à la chambre de Céleste. Nous pourrions lui céder la nôtre et nous installer à l’étage dans la chambre réservée aux membres de notre famille et à nos amis lors de leurs séjours chez nous mais, alors, où les coucherions-nous ? Sur le canapé-lit de la mezzanine ? L’autre canapé du salon sur lequel notre grosse boule de poils a pris ses aises depuis de longues années ? Céleste serait-elle obligée de laisser sa chambre à chaque fois ? Nous avons envisagé la possibilité d’une sorte de chalet dans le jardin. Cette idée a emballé Céleste. Victoire et Louis se sont proposés de jouer les nains de jardin !
Notre maison vieillit. Nous aussi. Les enfants grandissent. Ce matin, à 4h20, je calculais que dans neuf ans, tous nos enfants auraient quitté le nid. Alors, enfin, je pourrai remettre des têtes avec des cheveux à tous les playmobil que Louis a scalpés. J’organiserai des mises en scène. Louis joue beaucoup plus que ses sœurs au même âge. C’est la raison pour laquelle une partie de l’étage de la maison a tout d’une salle de jeux. Tous les jours, plusieurs fois par jour, mes yeux rencontrent des playmobil de Louis : un policier dans les épices, un pirate sur le bord de la baignoire, des joueurs de foot sur le bord d’une fenêtre, un savant fou dans un rouleau de papier toilette, des Indiens dans le tiroir de la commode de l’entrée dédiée au rangement des bonnets et même un cow-boy dans une boîte, prisonnier de la glace, dans le congélateur ! L’imagination de cet enfant m’amuse terriblement ! J’en suis arrivée à la conclusion que si je pourrai vivre sans mes enfants, je ne pourrai pas me passer des playmobil !
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
Cet univers me fait souffrir atrocement!
Je sais que tu souffres atrocement…