Chronique depuis un plateau givré

L'hiver dans les Hautes-Vosges. - Nos Bucherons travaillant dans la Forêt par les grandes Neiges.JPGLentement, la maison s’illumine. Dimanche, nous avons allumé la deuxième bougie de l’Avent, une bougie rouge qui sent la grenade. Stéphane et Louis ont déroulé tout le long de la façade, et jusque dans la haie de lierre grimpant, une immense guirlande lumineuse dont les couleurs changent et clignotent. Au début, Louis n’était pas très rassuré tout en haut de l’échelle et puis son papa a su trouver les gestes et les mots qui donnent confiance. Si bien que, très vite, il ne se tenait plus à l’échelle ! Le soir venu, depuis la fenêtre de mon cabinet, je la vois qui scintille. Une autre vie différente de celle de ces petits oiseaux qui observent ce qui se passe chez moi en prenant appui sur le garde-corps. Samedi prochain, nous irons chercher notre sapin, un épicéa, pas un nordmann. Un sapin dont l’odeur puissante et magique nous transportera au cœur d’une immense forêt dans les Vosges, une forêt forcément couverte par la neige, une neige épaisse marquée par les empreintes délicates des lapins, des écureuils, des renards, des chevreuils et des oiseaux. Parfois, de la neige tombera des branches des sapins et cela fera un bruit sourd qui se répercutera dans la forêt.

le-petit-sapin.jpgComme tous les ans, bien sûr, je penserai à l’histoire du petit sapin si impatient de voir les bûcherons couper son tronc devenu large pour qu’il puisse devenir celui qu’on pare de mille décorations, celui vers lequel tous les regards convergent, celui qui allume des étoiles dans les yeux des enfants, celui qui est le prince de la nuit de Noël, juste après le petit Jésus qu’on aura pris soin de glisser dans sa poche et d’emmener à la messe pour que le Père le bénisse avant de le coucher dans la mangeoire. J’essaierai de ne pas penser à ce qu’il advient du sapin quand Noël est passé, que la magie est retombée, que, déjà, certains enfants trop gâtés se détournent de leurs jouets, qu’on ne le regarde plus, qu’on maudit ses branches qui s’affaissent et ses épines qui forment un tapis sur les lattes du parquet. Je ne penserai pas à une personne que je connais très bien et qui avait trouvé piquant de jeter depuis l’une des fenêtres de son appartement parisien, haut perché, son sapin. Les humoristes ne sont pas toujours drôles !

plateau lever soleil.jpgDepuis une semaine, Fantôme et moi, nous nous régalons devant ces paysages prisonniers du givre, ces levers de soleil rougeoyants sur le plateau, la fine pellicule de glace à la surface des mares, les branches durcies par le froid, les chevreuils immobiles près du pommier, les dernières étoiles accrochées à un ciel bleuissant, les traces roses laissées par les réacteurs des avions dans lesquels j’imagine toujours des hommes (plus que des femmes…Les clichés ont le cuir dur !) d’affaires entre deux capitales, deux conseils d’administration, deux hôtels Continental. Des hommes d’affaires qui, parfois, n’ont pas d’autre choix que de faire leurs cadeaux de Noël dans les boutiques des aéroports internationaux. Des hommes d’affaires qui attendent leur vol dans des salles d’embarquement cliniques en suivant les cours des bourses américaine et japonaise sur l’écran de leur portable. Des hommes d’affaires qui, en glissant leur main dans la poche de leur veste ou de leur manteau, découvrent un petit mot écrit par un enfant. L’émotion les gagne mais il ne faut pas mollir. Cette vie leur plaît. Elle est difficilement conciliable avec une vie de famille mais c’est celle qu’ils se sont choisis, celle qui les dope aussi puissamment que les endorphines chez le coureur de fond, leur donne un si intense sentiment d’existence, d’écrire, jour après jour, des pages de la grande histoire économique et financière de la planète. Le temps perdu ne se rattrape plus mais, à vivre si souvent à cheval entre les fuseaux horaires, à jongler dans le temps qui avance ou qui recule avec le décalage horaire, le temps, pour eux, est différent. Ces hommes d’affaires se jurent, tous les dix ans, de changer de vie, de ralentir la course, de regarder grandir leurs enfants, vieillir leurs femmes mais une nouvelle décade arrive et la grande métamorphose ne s’est pas produite. Plus le temps passe et plus il est finalement difficile de changer sa feuille de route. Les enfants ont grandi. Certains vont entrer à l’université. Les femmes, avec les années, ont trouvé leur équilibre. Elles ont appris à vivre en puisant dans leurs seules ressources et cela leur a donné de la force et a renforcé en elles un profond sentiment d’indépendance.

gout des merveilles.jpgIl arrive que ces hommes d’affaires aient dans leur entourage proche une colleuse de gommettes, un kayakiste du dimanche, un poète d’un cercle disparu, un frère rêveur, une soeur amoureuse des soleils levants impressionnants, qu’ils aient une personne qui leur montre une autre voie à des miles de leur mode de vie, une vie qui en a fait des Messie pour leurs proches, des êtres toujours espérés. Une vie faite de retrouvailles.

soleil levant matin.jpgCe matin, encore, la magie du froid associée à la beauté du lever du jour était au rendez-vous. Les arbres et les maisons se détachaient sur un ciel rose et orangé. Et, comme tous les matins, je ne pensais à rien. J’étais seulement dans la contemplation. Je me disais que j’avais de la chance d’être là et je partageais par ces instantanés avec des êtres chers.

poupées russes.jpgJe l’ai souvent écrit et je recommence. Je n’aurais pas pu ne pas voir grandir mes enfants, ne pas être là pour assister à des étapes essentielles de leur vie. Skype n’aurait pas pu restituer l’essence de cette vie au quotidien. Ma sœur et moi avons été essentiellement élevées par des femmes qui n’étaient pas notre mère, des femmes profondément aimantes et bienveillantes. Nous n’avons pas souffert d’un manque de tendresse. Nous étions aimées mais quelque chose a manqué, quelque chose de l’ordre de la complicité mère/fille, des secrets qu’on partage, des peurs qu’on dévoile. Notre mère était la fille de sa mère. Cette place de fille de sa mère était difficilement conciliable avec une place de mère de ses filles. Par ailleurs, elle avait grandi sans son père, mort en avril 1944, dans le camp de concentration de Mauthausen. Elle ne l’avait jamais connu. Son père le l’avait vu qu’en photo. Symboliquement, une partie d’elle nous abandonnait à ces femmes qui devenaient pour nous, en fonction de leur âge à elles et du nôtre, des secondes mères ou des grandes sœurs. Je n’en veux pas à ma mère. J’ai eu largement le temps de reconstituer mon puzzle familial, de comprendre et d’accepter comment nous nous étions emboîtées les unes dans les autres selon le principe des poupées russes. Si j’ai un regret, il ne me concerne pas mais il la concerne elle. C’est celui qu’il lui ait fallu si longtemps pour arriver à dépasser la mort de son père, arriver à l’évoquer. Mais, comme il est difficile de parler d’une personne qu’on n’a seulement connue qu’au travers des témoignages des autres ! Ce que je n’ai pas partagé avec elle, je le vis maintenant avec mes enfants et avec mes filles, en particulier.

Al et les filles petites.jpgJe voulais des filles, deux filles. Je rejouais la mythologie familiale. Deux filles en lieu et place de ma sœur et moi ! J’avais encore cette naïveté de penser qu’au travers de mes filles j’allais nous réparer ma sœur et moi, nous donner ce qui nous avait manqué. C’était une croyance fausse. Avec ses enfants, on ne se répare pas. Nos enfants ne sont pas nous et nous ne sommes pas nos parents. Ils sont eux et nous sommes nous et, avec eux, nous écrivons une autre histoire. On ne peut pas réparer en eux ce que nos compréhensions de nos propres parcours nous ont appris à identifier et que nous ne souhaitons pas leur transmettre. Mon enfance s’est arrêtée brutalement quand j’avais neuf ans, quand nous avons quitté les Antilles. J’ai dû apprendre à composer avec ce vol. Je n’ai pas réparé ces années non vécues d’enfance avec mes enfants car ils ont eu une vraie enfance si bien qu’ils ne devraient pas être plus tard dans la nostalgie de cette partie de leur vie.

sapin enfants.jpgSamedi, nous ferons le sapin ou, plutôt, les enfants feront le sapin. Nous les avons toujours laissés le décorer. J’ai vu nos enfants grandir au travers de ce moment si merveilleux. Quand ils étaient tout petits, ils se focalisaient sur les branches qui étaient à portée de regard et de mains. Je m’amusais de les voir mettre tant de boules et de petits sujets sur deux ou trois branches. Le pauvre sapin avait bien du mal à conserver son équilibre ! Plus tard, en prenant de la hauteur, ils pensaient à mettre des décorations sur les branches plus hautes et sur les côtés. Encore plus tard, ils n’oubliaient pas de décorer l’arrière du sapin et de commencer par les guirlandes. Nos sapins ont toujours été pleins de couleurs. Nous n’avons jamais opté pour des sapins seulement rouge et or ou bleu et argent ou encore des sapins tout blancs. Le sapin est vraiment le plaisir des enfants. Je me contente de leur sortir les sacs qui contiennent nos trésors que Victoire a déjà pillés pour décorer sa chambre ! Quant à Louis, il m’a fait racheter des guirlandes pour celle qu’il partage avec Céleste. La seule chose que je me réserve, c’est de jeter des cheveux d’ange sur le sapin ! Cela fait des années que ne j’arrive plus à en trouver dans les magasins alors, Noël fini, les rois mages arrivés à la crèche, le sapin déshabillé de ses beaux atours, je récupère avec la patience d’un ange les cheveux fins suspendus dans les branches. Une année, nous avions essayé de replanter un sapin dans le jardin et, tout l’hiver, quelques cheveux avaient volé dans le vent.

ange.jpgEcoutez, un ange passe…

AL Luco.jpgAnne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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