Le dimanche 2 janvier, une infirmière venait réaliser un test antigénique sur Céleste qui, la veille, n’avait pas dormi tant elle était courbatue et frissonnante. Le test était négatif. Le lundi matin avant de commencer un stage dans l’unité mobile de gériatrie aigüe, Céleste recevait sa troisième dose de Pfizer. Il me semblait indispensable qu’elle soit revaccinée avant d’aller travailler à l’hôpital au contact de patients fragiles. Très vite, nous apprenions qu’un cluster s’était développé en gériatrie et que le personnel soignant n’avait pas le droit d’utiliser de masques chirurgicaux ou alors ils devaient les acheter eux-mêmes et pouvoir montrer le ticket de caisse. Sinon, ils seraient accusés de les voler dans les réserves de l’hôpital. Une nouvelle illustration de la maltraitance dont souffrent les équipes soignantes! J’en achetais donc à Céleste.
Jeudi après-midi, par une journée magnifique, je conduisais Victoire et Louis dans un petit village de l’Yonne pour qu’ils reçoivent à leur tour leur troisième dose. Moins de monde que lorsque Stéphane et moi y avons été mi-décembre. Un accueil charmant, des infirmières libérales venant piquer sur leurs jours de repos et des élus souriants assurant la partie administrative. De gros ours décoraient les poutres de la salle polyvalente. Les élus appelaient par leur prénom et tutoyais leurs administrés. Une ambiance bonne enfant. Les vaccins faits, je serais volontiers retourner à la Ferté-Loupière admirer la danse macabre mais les enfants voulaient rentrer. Je me sentais d’humeur vagabonde et il faisait si beau! Le soleil déclinait quand je faisais le tour du plateau avec Fantôme.
Vendredi, dans la matinée, Victoire m’envoyait un sms pour me dire qu’elle ne se sentait pas bien: des courbatures dans les reins et les jambes vraiment douloureuses. Comme nos trois enfants sont durs au mal, je lui proposais de venir la chercher. C’est ce que j’ai fait et, ensuite, je suis encore retournée à Montargis pour animer la rencontre avec les jeunes des lycées. Il manquait la moitié des effectifs: jeunes malades ou cas contact. Le temps de prière face à la crèche dans la pénombre avec nos lumignons a été fort comme les intentions de prière écrites par les jeunes avant que nous allions à l’église.
Samedi, Victoire a passé une très mauvaise nuit. Céleste commence à douter que ce ne soit qu’une réaction à la vaccination et nous dit en riant « Appelez l’infirmière! ». C’est ce que je fais pour m’entendre dire que je ne dois pas m’inquiéter et que Victoire réagit à la troisième injection. Céleste et moi allons prendre notre petit bain urbain. Louis nous rejoint sur le parking et nous rentrons à la maison. Il pleut. Le vent fait valser les bras du sapin. Dans la crèche, je sens que les santons se sont lassés de prendre la pause depuis le premier dimanche de l’Avent. Je vais bientôt les ranger dans la grande boite à chaussures après les avoir emmaillotés dans des feuilles de papier absorbant.
Dimanche, le ciel de gris vire au jaune. Une averse de grêle brutale blanchit le plateau. Je n’avais jamais vu ça en janvier. Louis est chez Erwan. Il a pris sa moto. J’espère qu’il n’est pas sur la route. Stéphane et moi revoyons avec Céleste, Victoire et Louis le documentaire « Défendre » que nous avons vu la veille. J’ai toujours pensé que Céleste pourrait devenir très forte en plaidoirie. Le documentaire nous donne à partager le quotidien de deux avocats pénalistes: Steeve Ruben et Philippe-Henry Honigger. Situé rue Tronchet, leur cabinet s’est forgé une solide réputation avec la recherche de vices de procédure et s’est fait connaître avec des affaires médiatisées en lien avec le monde du rap français. Il compte parmi ses clients Godwin Okpara, l’ancien footballeur international nigérian du PSG, condamné en 2008 pour avoir séquestré et violé avec l’aide de sa femme une jeune fille qu’ils avaient acheté sous couvert d’une adoption mais aussi Booba qui s’était battu dans l’aéroport d’Orly avec Kaaris. Il a défendu Idriss Deby, l’ancien président du Tchad dont le fils, Brahim Deby, a été tué en 2007 à Courbevoie, en région parisienne et obtenu la condamnation de l’entreprise Total Petrochemicals. Ce documentaire montre comment les avocats préparent leurs clients comme le feraient des coachs ou des metteurs en scène avec leurs comédiens.
Le documentaire terminé, le trio enchaine avec « Don’t look up » que Stéph et moi avons aussi vu la veille. Comme je n’ai plus aucune résistance le soir, j’en ai loupé une partie. Le film est bien trop long, ce n’est pas très grave! Utilisant la découverte d’une comète filant droit sur la terre, ce film dénonce en réalité l’inertie des dirigeants, des industriels et des populations s’agissant du dérèglement climatique. Ce film est à la fois cynique et drôle. Dans les dernières minutes, la critique porte sur la mégalomanie de gens comme Jeff Bezos ou Elon Musk qui cherchent une planète terre bis ou de ceux qui courent après l’immortalité et seraient prêts à se faire cryogéniser.
Alors que Louis vient de partir, Victoire apprend que l’une de ses amies proches est positive et les a déclarées cas contact Léa et elle. Léa et Victoire partagent la même chambre à l’internat avec Justine. Les filles vont devoir se faire tester. Louis risque de tomber malade.
Lundi, après avoir déposé Céleste à l’hôpital à 6h45, j’obtiens un RV pour Victoire à midi. Victoire est positive et je suis négative. Léa apprendra qu’elle est aussi positive comme ses parents. Je préviens le lycée. Victoire ne reviendra pas avant lundi prochain. Victoire est vraiment mal fichue et très fatiguée. Elle a eu de la fièvre et perdu le goût et l’odorat. Je vais chercher Céleste à l’hôpital. Depuis qu’elle a commencé son stage dans l’unité mobile de gériatrie aigüe, Céleste a noué une relation privilégiée avec une patiente dont Céleste m’a dit qu’elle avait un caractère assez proche de celui de leur grand-mère: à la fois très direct et très tendre. Hier, cette dame fêtait ses 94 ans. Elle a été admise pour une décompensation cardiologique avec un oedème aigu du poumon. Quand Céleste va la voir, elle lui prend la main et quand Céleste doit partir, la dame ne veut pas lâcher la main de la petite stagiaire. Plus on avance en âge et plus le besoin de tendresse se fait ressentir. C’est pourquoi les tout-petits et les si grands s’entendent naturellement si bien! Céleste est triste car elle aimerait rester davantage auprès de cette dame. Céleste expérimente l’un des aspects très compliqués des métiers liés au médical et au paramédical dans des hôpitaux soumis désormais à la rentabilité: le manque cruel de temps et de moyens!
Dans l’équipe de gériatrie, Céleste a appris que les personnes âgées mentalement fragiles s’agitaient beaucoup quand le soleil se couchait. Les bébés, aussi, peuvent ressentir de l’angoisse lorsque la nuit tombe. Est-ce vraiment la nuit qui leur fait peur ou n’absorbent-ils pas plutôt les angoisses des mamans à l’idée de traverser une nuit compliquée et sans soutien? Céleste a assisté à de vraies scènes de maltraitance morale en gériatrie. A force d’être maltraité, le personnel soignant peut glisser vers une forme de maltraitance. En raison du Covid, les nouveaux arrivants sont conduits par des brancardiers. Pas de famille pour les entourer et les accompagner dans les démarches. Hier, une jeune aide-soignante se moquait avec cruauté d’une vieille dame confuse. Elle devait faire l’inventaire de ses effets personnels. La vieille dame a fini par pleurer et elle plongeait son regard désemparé dans celui de Céleste qui n’a rien osé dire ou faire. Une infirmière assistait à la scène mais n’est pas intervenue. Je sais bien que toutes les personnes âgées ne sont pas faciles, que certaines peuvent même être odieuses mais faut-il se décharger de la somme de ses frustrations sur des êtres exprimant de la détresse?
Après avoir récupéré Céleste devant l’hôpital, je passe à la pharmacie lui trouver un créneau pour qu’elle soit testée. Il est 19h00 quand la positivité de Céleste tombe. Maintenant, c’est Louis et Stéphane qui vont devoir y passer. Les deux Louis seront positifs et Stéphane négatif.
A la maison, la vie s’organise. Quand ils vont et viennent dans la maison, les enfants portent un masque. Les filles prennent leurs repas dans la chambre de Céleste. Louis s’installe dans son bureau. La salle de bains du bas est réservée aux enfants. Stéphane et moi avons un défi à relever: ne pas attraper le Covid. J’ai déjà beaucoup de patients qui annulent les rendez-vous car ils sont malades. Si je devais cesser complètement de travailler pendant une semaine, ce serait compliqué! Avec le trio à la maison, il me semble avoir fait un bond dans le passé et avoir retrouvé l’époque du premier confinement. Lundi matin, cela faisait longtemps que je n’avais pas fait des courses aussi importantes! Céleste et Louis qui n’ont presque pas de symptômes ont conservé un bon appétit! Nous ne sommes que mercredi et, déjà, certaines réserves s’épuisent!
Mardi après-midi, alors que Fantôme et moi nous nous promenions nous avons vu Muguette devant chez elle avec Pépette. Fantôme s’est précipité! Pépette est venue chercher des caresses. J’ai expliqué à Muguette que les trois enfants étaient malades et que, bientôt, nous pourrions reprendre nos bavardages de part et d’autre de la grande table en chêne ou depuis les fauteuils de jardin de l’entrée. Elle a absolument tenu à ce que je rentre en déclarant qu’elle avait été piquée 3 fois et qu’elle n’avait jamais eu peur du coryza. C’est la peur des virus qui vous fait les attraper comme c’est la peur de grossir qui fait que la religieuse au chocolat restera sur vos hanches! Tout en conservant de bonnes distances, j’obtempère. Fantôme reçoit une triple ration de pain sec et Muguette me donne des oeufs. Muguette me montre le cadeau que le Père Noël a fait à Pépette: un petit lit douillet, une sorte de couffin moelleux. Pépette est manifestement ravie de son cadeau et je la taquine de croire encore à son âge au Père Noël. Muguette me fait observer les cuivres qui rutilent et qu’elle a nettoyés hier. Franck vient aujourd’hui. Ce sera une langue et pour l’accompagner Muguette ira arracher un poireau et des carottes dans son potager. Comme j’étais heureuse de retrouver Muguette qui m’a raconté qu’à la ferme, l’un des commis nommé Gallert ne portait jamais de chaussures. Il allait pieds nus toute l’année et la peau de ses pieds ressemblaient aux sabots d’un cheval. Le jour où son fils s’est marié, il a acheté sa première paire de chaussure pour la cérémonie religieuse. En sortant de l’église, il a retiré ses chaussures et les a laissées sous le porche pour un malheureux!
J’étais désolée pour Céleste qu’elle soit contrainte d’interrompre son stage en gériatrie. L’infirmière qui a testé Victoire a proposé à Céleste de faire son stage de mars au cabinet. Une autre manière d’appréhender ce métier si exigeant. Les filles vivent très bien leur maladie. Elles sont ensemble presque toute la journée sauf quand elles travaillent. Elles prennent leurs repas toutes les deux. Elles essaient un nouveau sèche-cheveux, se racontent leurs secrets et, le soir venu, regardent des films avec le chat. Céleste m’a dit qu’elle avait le sentiment de revivre le confinement de mars. Hier, comme il faisait un temps sublime, elles sont parties marcher le long du canal pendant deux heures. La lumière et le grand air ne peuvent être que bénéfiques. 18h00, une envie de crêpes me gagne. J’utilise les oeufs des poules de Muguette. Je mets une bonne rasade de rhum Clément. Louis les valide! J’en mets de côté pour Muguette. Don, contre-don mais sans le potlach décrit par Mauss!
Jeudi, jour de grève dans les établissements scolaires. Voici ce que je poste sur Instagram: « Le car qui transporte Victoire et ses camarades lycéens est arrivé devant l’établissement scolaire imaginé en pleine nature par un ancien maire communiste dans l’esprit d’un campus américain. Le car de Louis est passé sous la fenêtre d’Ar-Men dans un bruit de soucoupe volante. Notre famille compte un nombre élevé d’instituteurs, de professeurs, d’universitaires, une directrice d’école de jeunes filles et un proviseur ayant marqué de sa personnalité exigeante et avant-gardiste les lycées qu’il a dirigés dont Fabert, Lakanal, Janson-de-Sailly et Carnot. Ma soeur et moi appartenons à une lignée de femmes et d’hommes qui aimaient passionnément transmettre et, certainement, c’est à eux que je dois d’avoir su le faire sans jamais l’apprendre. Aujourd’hui, je soutiens tous les membres du corps enseignant qui n’iront pas à l’école, au collège ou au lycée. Si je comprends parfaitement la volonté de monsieur Blanquer de maintenir ouvertes les écoles pour éviter décrochage, violence à la maison et enfants privés de repas, ce qui est demandé aux professeurs, aux directeurs, principaux et proviseurs, aux élèves (surtout les plus jeunes) et aux parents devient insupportable. La lettre ouverte écrite par Lara, préparatrice en pharmacie, m’a fait monter les larmes aux yeux! Dans le lycée de Victoire, les infirmières sont nombreuses. Pourquoi ne pas avoir, avant la rentrée de janvier, acheté des auto-tests et tester les élèves présentant des symptômes d’exposition au virus? Pourquoi laisser les officines et les infirmières tout faire? Quand nous sera-t-il possible de trouver à nouveau des auto-tests dans les pharmacies? Notre école publique était avec nos hôpitaux, notre SNCF et notre Poste l’une des plus belles choses dans notre pays. C’est terrible de voir ce qu’elle devient… »
9h15: j’ai promené Fantôme. Tout était blanc et froid. Ma voiture dégivre. Je vais partir à la l’hôpital rendre à la dame charmante qui coiffe la lingerie centrale les tenues et le badge de Céleste. Ensuite, j’essaierai de trouver des auto-tests à la pharmacie pour que Stéph et moi soyons assurés que la positivité des enfants n’a pas mis à mal notre négativité. Je ferai le plein de ma voiture. Je n’ai jamais autant roulé que depuis la rentrée scolaire! Je referai quelques courses. Ce ne sera jamais que la troisième fois depuis lundi! Une seule patiente cette après-midi: vive Omicron! Comme Stéphane est cloitré dans son bureau toute la journée, je me demande comment on ferait si je travaillais 8 heures par jour…Mes forces vives sont une nouvelle fois mises au service des miens. Mon roman commencé en juillet n’a pas bougé d’une ligne! Prendre son mal en patience et se répéter encore et encore mes devises fétiches: « On n’est jamais bien aussi servi que par soi-même », « Aide-toi, le ciel t’aidera » et « Après la pluie, le beau temps ».
Passez une bonne fin de semaine et prenez soin de vous!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
Ps: dans la voiture, ce matin, j’ai écouté l’un des épisodes d’une série passionnante sur le sang et diffusé sur France Culture. C’est vraiment l’anthropologie que j’aurais du étudier!
https://www.franceculture.fr/emissions/serie/allez-le-sang