C’est fou comme nos repères peuvent changer en 20 ans! En 1999, je quittais Paris, la vie que j’avais commencée à construire, ma famille, mes amis et un métier pour lequel j’étais naturellement taillée. Avant de dire au revoir à mon petit studio à Ménilmontant, notre père était mort et je m’étais mariée non pas comme je l’avais rêvé en Provence mais dans l’Ain. C’est notre unique oncle, le frère ainé de notre père, qui m’avait conduite à l’autel. Il recommencerait l’année suivante pour ma soeur. En un an, notre maman perdait son mari et célébrait les mariages de ses deux filles. Fin octobre, elle serait grand-mère et, en novembre. Stéphane et moi nous envolerions pour une aventure de 13 mois. Avec quelle rapidité les cartes peuvent être rebattues!
En 20 ans, j’ai entrepris un grand voyage, essayé de finir ma thèse, vécu dans la maison de famille gardoise, mis au monde trois enfants, recommencé à enseigner, suis venue vivre sur un plateau, ai vu mon mari partir en Roumanie 15 jours par mois, notre famille se fissurer, Stéphane perdre beaucoup de plumes. Je suis devenue sophrologue sur un plateau, une sophrologue en sabots. J’ai écrit plus de 800 chroniques, publié un recueil de nouvelles et je poste des histoires quotidiennement. Longtemps, j’étais seule, intensément seule et, vraiment, personne alors ne m’a aidée. Notre maman veillait sur la fin de vie de notre grand-mère et sur les enfants de ma soeur. Mes amies de fac ne comprenaient rien à ma nouvelle existence et se montraient, le plus souvent, d’une grande dureté. L’une d’entre elle qui avait pu prendre un congé parental, avait un mari lui offrant une vie plus que très confortable et deux femmes de ménage me disait que j’étais toujours fatiguée…Je n’ai jamais oublié la violence de cette phrase. Je doute qu’elle ait supporté la vie que je menais alors plus d’une semaine! On m’en voulait d’avoir renoncé à une carrière à l’université, de gâcher mon avenir professionnel, de me perdre si loin de la vie qui était faite pour moi.
J’avais mené un travail analytique mais je sentais que des forces inconscientes étaient à l’oeuvre en moi. Je me laissais flotter pour la seconde fois de mon histoire. La première fois, c’était quand j’étais anorexique et que j’avais décidé de ne plus me battre et de devenir celle qu’on espérait que je sois. J’avais déposé les armes. Mon corps disparaissait. Mon esprit devenait tout puissant. Cet esprit qui m’a permis de marcher pendant cinq heures alors que j’avais des vertiges intenses. Cet esprit qui m’a permis de rester plus d’une heure en salle de travail car mon périnée refusait de se détendre pour laisser naître Victoire. Cet esprit encore qui m’a fait ne plus dormir qu’une heure pendant de longs mois. Cet esprit que j’aime même s’il est capable de me mettre en danger. Mon corps ne m’a jamais intéressée ou alors seulement comme un outil qu’on façonne et maitrise à sa guise. En revanche, j’ai aimé mon corps portant la vie et ma poitrine nourricière. Je n’ai jamais aimé mes pieds, mes mains, mes jambes. Il m’est arrivé de me sentir vraiment bien dans une grande robe en liberty, une paire de Ben Simon aux pieds et des cheveux qui flottaient au vent.
Par hasard, j’ai découvert un auteur-compositeur et interprète, Florent Marchet, et son dernier album « Garden Party ». Je suis entrée tout de suite dans son univers, ses histoires. L’une des chansons s’intitule Les amis et elle m’a fait penser aux miens. Contrairement à beaucoup de gens autour de moi, j’ai très vite perdu mes amis en raison du métier de notre père. Tous les 3 ans, en moyenne, nous changions de département, de ville, de maison et d’école. J’ai grandi sur des sables mouvants. J’ai su, très vite, que la nature a horreur du vide. De nos tribulations, je n’ai conservé que très peu d’amis. J’étais demeurée d’une fidélité à toute épreuve à mon amie la plus ancienne mais, depuis longtemps déjà et bien qu’elle soit la marraine de notre fille aînée, j’avais acquis la certitude que si nous nous étions connues étudiantes, nous ne nous serions pas choisies. Je ne suis pas triste. J’ai appris à laisser partir la feuille à la surface de la rivière.
https://www.youtube.com/watch?v=ndEosoWSyME
J’ai été chercher les photos de notre mariage que je n’ai presque jamais regardées tant ce jour-là la somme des violences qui m’ont percutée était délirante! J’ai toujours pensé que notre père m’avait portée, qu’il m’avait prêté ses ailes pour que je ne m’effondre pas. Je ne savais pas qu’on pouvait autant se défouler sur une future mariée. Ce jour-là, j’avais presque tous mes amis les plus chers autour de moi: C était revenue du Sri Lanka, L et sa femme A venaient de Paris comme C, F et son compagnon. Avec Luc, nous avions fait les 400 coups: partir en Normandie pour la journée, danser la nuit devant la fontaine de la place Saint-Michel, aller à Orly et rêver devant les avions au départ sur les panneaux d’affichage. A avait pris le TGV comme J, le mari d’une autre A qui portait leur premier enfant et avait interdiction de quitter son lit. J’étais devenue très proche de A en licence et nous allions marcher l’été à la montagne. A me choisirait pour être la marraine de sa fille avant que notre amitié soit assassinée par des êtres projetant sur moi leurs propres travers. Voici 3 ou 4 ans, A a repris contact. La Seine avait amplement coulé sous le pont Mirabeau. Je pensais être prête mais, finalement, cela n’a pas fonctionné. A, la future marraine de Louis et son mari, M, venaient peut-être du Sud-Ouest et S d’Aix. G, était arrivé seul la tête à l’envers, dans une veste bouchonnée. S, sa compagne traversait un moment difficile. Le soir, il avait passé la nuit dans un chalet avec des tambourinaires du Burundi. Je suis la marraine de leur premier enfant qui, maintenant, est étudiante en art à La Réunion. S, la future marraine de Céleste et son mari, P, étaient également là avec A. Rue Claude Pouillet, dans le 17ème arrondissement, nous avions partagé un appartement. Notre rencontre dans un salon immense du 83 de l’avenue Foch chez un ami commun avait été un authentique coup de foudre!
C me tenait rigueur de ne pas l’avoir choisie pour être témoin à l’église mais à la mairie car elle se vivait en témoin de second rang. J-B, O et sa femme Nath avaient eu un accrochage en quittant Paris. Mais, je pense ne pas me tromper en disant que J-B qui m’avait mis le pied à l’étrier à l’université en me faisant intégrer son équipe pédagogique n’avait pas envie d’être là. M et son mari, H, étaient également présents. M faisait partie de l’équipe pédagogique dont je m’occupais en qualité d’ATER. Hiver comme été, elle était pieds nus dans ses chaussures et portait toujours de jolis décolletés. M et H me gardaient souvent à dormir chez eux à Draveil.
Ma soeur, son futur mari et Cerise étaient venus ensemble. P n’était pas là. Plus tard, j’ai su que sa femme et lui étaient les jeunes parents d’un petit garçon né en février à Londres.
C qui avait un peu boudé car elle n’était « que » témoin à la mairie avait été l’amie inséparable de mes quatre premières années de droit. Notre complicité en surprenait plus d’un tant nous semblions différentes. C avait grandi à Paris avec sa mère, une femme remarquable et son frère tandis que son père était un notable albigeois. Ses parents, séparés quand C avait 7 ans, avaient fait leurs études de médecine ensemble et fonder une famille encore jeunes. Mais, la mère de C adorait Paris, la rive gauche, ne voulait pas retourner vivre en province. Le père de C, lui, souffrait à Paris et voulait regagner la ville où il se sentait heureux. Quand j’arrivais à Paris pour mes études de droit, je faisais la connaissance de C. Elle m’avait donné rendez-vous sous la grande horloge du hall de Paris 2. J’ai vu arriver une jeune fille grande, élancée, avec une chevelure de lionne et de très beaux yeux bleus soulignés par un trait de crayon noir. Entre nous, cela a tout de suite collé. C était joyeuse, brillante, libre, passionnée.
A, la marraine de Louis, s’est séparée de son mari voici plusieurs années. Nos enfants et les siens ont passé tant de week-ends ensemble qu’ils sont un peu comme des cousins. A aurait aimé que je sois la marraine de son fils mais j’avais déjà deux filleules. J’ai connu A alors que nous passions des oraux en février à la fac. Elle m’a demandé une cigarette. Ensuite, A m’a fait découvrir des auteurs fabuleux et m’en fait toujours découvrir. Toutes mes plus grandes amies de l’époque étaient de très grandes lectrices. Nous évoluions dans un cercle d’amis assez originaux. C’est avec A que je suis allée à la Galerie 88 pour la première fois et aussi au théâtre de l’Atelier applaudir Terzieff. De toutes mes amies, A était celle qui réussissait à nous accueillir dans leur loft et prenait tout en charge pour que je me repose. A devinait. Pas besoin de mots!
C était en mission au Sri-Lanka. J’avais fait sa connaissance grâce à L, le mari de A. A cette époque, C revenait d’une mission d’un an avec un de ses cousins chez des Karens en Thaïlande. Elle était malade car le gouvernement birman empoisonnait l’eau de la rivière avec du plomb ou du mercure. J’aimais les week-end à Varengeville avec C et ses amis comme j’aimais les vacances à Hossegor avec C et sa famille et, plus tard, ses amis quand son père lui laissait les clés. Maintenant, C et son mari, O, et leurs deux enfants sont à Fontainebleau après avoir vécu 10 ans à Washington. Constance est sculpteur et photographe.
G, S et leurs enfants ont quitté Paris pour la Rochelle avant de s’établir sur l’île de Ré. G est un cuisinier hyper doué. Un artiste fou d’opéra et d’art contemporain. Nous avions projeté des vacances ensemble à la Toussaint 2012 mais mon beau-père est mort. Quand nous nous reverrons, les années s’envoleront! S que j’ai connue rue Bréa dans le restaurant de G était célibataire en sans enfant en 1999. Maintenant, elle est une maman séparée avec deux grands enfants de 18 et 14 ans. Elle vit à Montpellier. Nous avions passé des vacances agréables dans les Cévennes et en Corse. Elle ressemble beaucoup à N l’amie la plus proche de Stéphane. Elles sont toujours positives et partantes, très indépendantes et douces.
En 1999, seuls G et S, P et R et F étaient parents. Le fils de F, Arthur, était petit garçon d’honneur. Nous avions tous plus ou moins choisi le domaine dans lequel nous voulions nous réaliser. En 2022, plusieurs couples n’ont pas résisté et certains d’entre nous ont repensé leur vie professionnelle et vécu à l’étranger. Nous avons pu rencontrer des difficultés avec nos enfants, traverser des maladies, perdre des parents, vivre des trahisons et la sublimation dans le pardon. Si, aujourd’hui, je devais me remarier, je ne me verrais pas le faire sans N et F, V et J, V et ses enfants, V et L, F et C, les amis que la vie m’a offerts depuis que j’ai quitté Paris auxquels j’aimerais ajouter les amis du voyage: C et G, B et K, N, la marraine de Victoire. Il y a aussi des amis que je ne vois presque pas mais qui occupent une place très privilégiée en lien avec notre père: C et L. Je n’oublie pas que les amis de Stéphane sont devenus les miens!
Comme je l’écrivais déjà dans ma dernière chronique, la vie peut se réinventer à plusieurs reprises et, sur le plateau, le soleil revient toujours après un épisode de pluie. Je me suis beaucoup attachée à cette maison. La semaine passée, alors que j’avais été le chercher au collège, Louis m’a dit: « Maman, je viens d’avoir un flash. On arrivait devant la maison et il y avait plein de voitures: celles de mes soeurs, de Margot et de Valentin. Nous avions tous des enfants et nous étions heureux de leur montrer ce que nous avions tant aimé ici. ». Cette maison est une authentique maison de famille et, le week-end dernier, elle a joué son rôle à plein! Les jeunes ont eu beaucoup de plaisir à passer des bords de l’Ouanne à la piscine.
Passez une agréable semaine. A bientôt!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner