Chronique autour de la rentrée depuis le plateau

Ce matin, il fait nuit quand le réveil retentit à 5h45. Le chat n’est pas venu miauler pour que je lui donne à manger ou fasse couler l’eau du robinet. A six heures, j’entends Louis. Il se lève comme un seul homme et bientot il me demande: « Maman, il est où mon jean? Je ne le trouve pas. Tu l’as peut-etre rangé dans la chambre de Victoire? ». En effet, le fameux jean est dans les affaires de sa soeur. La maison est déjà calme. Hier, en fin de matinée, j’ai raccompagné à la gare Céleste et Valentin. Tout le week-end, la maison avait été pleine de vie: ma soeur et sa petite fille, Valentin, nos enfants, Louis et Romane, une amie de Céleste. Avec Charlotte arrivée jeudi avec Céleste, j’avais été une licorne tirant des bords dans la piscine, une femme de chambre veillant au confort des résidents de l’hotel Playmobil que cet hiver, Victoire et Louis avaient reconstitué. Charlotte m’avait aidée à nettoyer la toile du trampoline couverte d’épines et de brindilles de sapin, de noyaux de mirabelle et de plumes d’oiseau. Ensuite, nous avions sauté et couru sous l’oeil attentif de Fantome. Valentin, Louis, Céleste et Romane avaient été au cinéma avant d’aller s’acheter de la malbouffe et se rendre à la dernière édition d’un festival dédié aux arts urbains: street art et rap. Il y avait tant de monde quand ils étaient arrivés qu’ils avaient préféré renoncer et aller au bowling. Les cousins s’étaient succédés au piano improvisant des morceaux plutot jazzy.

Le dimanche, pour le déjeuner, j’avais préparé un tian LE plat que notre père concoctait l’été quand nous étions nombreux dans la bonne et vieille maison de Pont. Il faisait longtemps revenir ses oignons qui se teintaient d’une belle couleur caramel. Il découpait à la perfection des courgettes, des tomates et des pommes de terre bouillies. Il déposait le tout en rangées militaires sur un lit d’oignon avant d’arroser d’huile d’olive et de parfumer avec du thym frais et de l’ail écrasé. Un délice!

Ce matin, c’est un papa qui conduisait son fils sur la place du village où arrivent les cars scolaires. Nous avions offert à Louis de l’emmener au lycée pour son entrée en seconde mais il avait décliné notre proposition comme Victoire avant lui. Je me rappelais mon émotion le matin où j’avais vu Céleste sortir de la voiture et marcher d’un pas léger vers la grille de son nouvel établissement pour trois ans. Ce matin, Louis n’avait pas voulu rester dans la voiture le temps que le car stationne sur la place. Il avait été rejoindre une camarade sous l’abri-bus. Demain, quand sa soeur sera avec nous souhaitera-t-il à nouveau quitter la petite Fiat? Cette année, j’ai promis à Victoire de faire un effort pour canaliser mon flot de paroles. Quand je conduisais Céleste, Victoire et Pauline, ma filleule avait la gentillesse de preter l’oreille à mes réflexions littéraires ou philosophiques. J’ai toujours aimé ces petits moments passés dans la voiture surtout en hiver quand le temps est froid et sec. Demain, je vais renouer avec les discussions de Sandie et Philippe le couple d’animateurs très sympas de Nostalgie. J’écoute France culture ou radio classique sur d’autres trajets.

Alors que nous déjeunions avec Victoire sous les canisses, des dizaines d’hirondelles sont venues boire. Elles étaient massées sur le fil électrique. Elles venaient se ravitailler en eau et nous dire au revoir avant d’entamer la route migratoire vers l’Afrique. Je suis toujours un peu triste de les voir quitter le plateau. De leur arrivée à leur départ, au crépuscule, elles viennent boire dans la piscine. Leurs ballets élégants et leurs chants joyeux vont me manquer. Quand nous habitions dans le Gard à l’année, j’aimais tellement les entendre gazouiller le matin et les voir chasser au-dessus du Rhone. C’est incroyable de penser que nos hirondelles accomplissent des milliers de kilomètres pour gagner l’ouest du bassin du Congo. Le dérèglement climatique, les pesticides, les éoliennes et les constructions modernes sont des drames pour nos hirondelles. 40% de nos hirondelles ont disparu en deux décennies. En Bretagne, cet adorable petit oiseau ne pesant pas plus de vingt grammes a quasiment disparu! Presque tout le plateau est passé en bio et les granges sont encore nombreuses. Il m’a semblé que les hirondelles étaient plus nombreuses cette année comme les papillons. On voit aussi à nouveau les coccinelles de notre enfance rouges avec des pois noirs. J’espère, un jour, revoir des lucioles. Depuis que je suis née, je n’en ai vue qu’une dans le Tarn en été alors que l’année de terminale s’achevait et que nous habitions un hameau avec une vue imprenable sur la montagne noire.

Bientot 16 heures. Aucune nouvelle de Louis. J’irai l’attendre sur la place à 18h50. Sa grande soeur m’a déjà appelée pour savoir si Louis avait téléphoné. Victoire a eu accès à la liste des élèves de sa classe. Elle espère maintenant avoir de bons professeurs notamment en philosophie matière qu’elle aime beaucoup. Hier, à la médiathèque, elle a glissé dans le sac Freud à la plage et Darwin à la plage.

Hier soir, avec Stéphane, nous avons vu Une vie démente, un film réalisé par Ann Sirot et Raphael Balboni. Nous avons beaucoup aimé ce film qui aborde avec délicatesse, sensibilité et une certaine dose d’humour la démence chez une personne vieillissante. La mère du héros, galeriste hyperactive, bascule dans la démence. Son fils unique s’organise pour que sa maman puisse rester chez elle. Sa compagne désire un enfant mais il ne voit pas comment il pourrait etre père quand il doit veiller sur sa mère redevenant une enfant. Les acteurs sont épatants et les plans très originaux. Je me suis dit que je pourrais devenir ce genre de vieille dame démente qui reste pleine de vie et trouve que les dessins d’une enfant sont des oeuvres d’art. Dans ce film, nous avons découvert l’été de Vivaldi repensé en version métal par un guitariste fabuleux: Patrick Rondat.

https://www.youtube.com/watch?v=4vIbEXvqpls&t=7s

https://www.youtube.com/watch?v=Htpazm9Bu4A

Nous sommes le 1er septembre. De la douce pluie tombée mardi, il ne reste plus rien. Le plateau est grillé et desséché. Les glaieuls que les filles m’ont achetés sur le marché samedi matin commencent à faner. Depuis que la maison est plus calme, Cookie revient faire la sieste sur le vieux canapé de la mezzanine. L’été va lentement céder sa place à l’automne, la saison que je préfère pour sa douceur, sa lumière, la palette des couleurs et son odeur de feuilles mortes et de pommes. Espérons que la pluie va s’inviter à nouveau dans le ciel. Les mares sont à sec. Cela fait longtemps que les grenouilles ne chantent plus.

Demain matin, Victoire retournera au lycée pour sa dernière année. Les activités vont reprendre: musique, sport et aumonerie. Depuis que nous vivons sur le plateau, il m’est arrivé de suivre des cours de yoga et d’aller à la piscine à l’heure du déjeuner. J’aurais aimé faire du Tai chi mais je n’ai pas trouvé de cours proches de la maison. Etudiante, quand je traversais le jardin du Luxembourg, j’aimais beaucoup regarder les gens pratiquer des mouvements de tai chi. Cette discipline allie respiration, concentration, souplesse et équilibre. Cet art martial d’inspiration taoiste est comme la sophrologie dans la mesure où il associe le corps et l’esprit. C’est un peu différent mais quand j’avais vu au cinéma Tigre et dragon j’avais été littéralement subjuguée par ces moines shaolin pratiquant le kung-fu et marchant à la verticale des murs. Comme j’aurais aimé avoir un corps souple comme celui de Victoire quand elle était enfant ou de Pauline, ma seconde filleule!

J’ai marqué une pause pour aller chercher Louis au lycée avec Victoire. Il est plutot satisfait. Je suis rassurée! Des mouches vrombissent dans le cabinet. Je peux passer un temps fou à les libérer. Si, plus tard, je me réincarnais en mouche, je n’aimerais pas qu’on m’écrase! Demain, à 11h15, je serai assise dans l’un des fauteuils dans un espace ouvert sur un couloir de l’hopital faisant office de salle d’attente. L’hopital est en travaux depuis des mois. J’attendrai patiemment que mon tour vienne dans des bruits de perceuse. Je penserai aux patients hospitalisés contraints à supporter ces nuisances sonores et à tout le personnel hospitalier. Je penserai à notre Céleste qui fera sa rentrée dans un IFSI à Paris lundi prochain. Une jeune fille qui fait le choix du soin, de l’écoute et de la passion. Stéphane m’attendra dans sa voiture avec son ordinateur. L’ORL va me soumettre à une VNG qui provoque de nouveaux vertiges. Je n’aurai pas le droit de conduire après. On ne sait toujours pas ce que j’ai eu à Briançon fin mai. Mes pupilles gigotent toujours et je sens que mon équilibre est précaire. Une chose est avérée: la fatigue et le stress jouent un role dans ce genre de chose. Quand une femme et mère surmenée passe la porte de mon cabinet, je ne lui dis pas que, d’un coup de baguette magique, je vais régler tous ses problèmes, ses nuits blanches, ses peurs face à l’avenir, le corps physiquement présent d’un compagnon psychologiquement absent…Je lui offre une écoute totale, un espace pour se déposer dans toute sa vérité et des outils pour se faire du bien.

Tout à l’heure, tandis que le ciel se couvrait de jolis moutons fessus, je suis partie sur mon vélo et, mettant pied à terre, j’ai écrit ce message à l’un de mes amis: « Le bonheur est un  état rarement permanent et c’est parce qu’on le sait fragile ou évanescent qu’on arrive à le gouter pleinement ». J’aurais pu ajouter que certains etres viennent au monde naturellement plus « doués » pour le bonheur que d’autres mais que rien, jamais, n’est définitif. On peut inverser le cours d’une vie et apprivoiser le bonheur!

Une bonne rentrée à toutes et à tous!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

PS: depuis un plantage, mon clavier a décidé de snober les accents circonflexes et les trémas! On se croirait chez Boris Vian!

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