Chronique autour d’une soirée inaugurale

Aragon a écrit qu’il n’y avait pas d’amour heureux, Eluard qu’il n’y avait pas de hasard mais seulement des rendez-vous. Une chose est certaine: lorsqu’un certain jour de septembre 1997, Stéphane et moi nous rendions chez ma plus ancienne amie d’enfance, dans un appartement situé au pied du Sacré-Coeur, nous ne le savions pas encore mais nous marchions vers notre destinée. Notre rencontre prit le visage de l’évidence. On m’a avait dit que cela existait mais je ne l’avais encore jamais expérimentée. J’avais connu le coup de foudre, l’amour en décalé dans son éclosion, la cristallisation stendhalienne mais pas l’évidence. C’est un sentiment magique!

Si, ce soir-là, tandis que Stéphane me demandait tout à trac si j’accepterais d’adopter un enfant et de faire un tour du monde, un génie tout droit sorti d’une lampe à huile m’avait donné à voir à quoi ressemblerait notre équipage, je ne sais pas si je me serais lancée dans l’aventure. L’aventure fut en effet très dure et, vraiment, il aura fallu cette évidence pour qu’aucun d’entre nous ne dévisse dans cette ascension. Notre vie de couple a ressemblé à l’ascension du K2 en hivernale: compromis, renoncements, maïeutique, isolement, tectonique des plaques, éruptions volcaniques. En même temps, j’aime les défis. Je suis au nombre de ces êtres qui vont au front, prennent des coups, pansent leurs blessures et repartent se battre. C’est à cette nature guerrière que je dois ma survie. Il faudrait préciser que je suis un peu bretonne, la vraie Bretagne, la fin de la terre, le début de tout et, aussi, scorpion ascendant scorpion.

Pour Stéphane, j’ai accepté de voyager pendant une année sur un mode assez sportif. J’ai adoré cette aventure et la vie au plus près de la nature. Pour Stéphane, j’ai quitté Paris, ma famille, mes amis et mes petites racines. Parce que Stéphane partait tenter sa chance en Roumanie, j’ai été obligée de renoncer aux cours que je donnais à Paris. Pour moi, Stéphane a consenti à devenir père trois fois. S’il a calé s’agissant d’un quatrième enfant, il m’a offert un magnifique berger australien, Fantôme, qui aura neuf ans début décembre. Grâce à Fantôme, j’ai pu apprivoiser ma vie sur le plateau. Fantôme a donné du sens à mon existence de sophrologue en sabots. D’ailleurs, sans lui et les enfants partis, je ne pourrai pas rester ici, sauf à mettre régulièrement du champ entre Ar men et moi.

Ce qui, dès les premières minutes, nous a unis l’un à l’autre, c’est une âme artiste, un fort besoin de liberté et un tempérament assez original. Tous les deux, chacun à notre manière, nous sommes hors cadre. Tous deux, enfants, avions la même impression: nous allions laisser notre empreinte, réformer un domaine. Nous ne sommes pas les seuls à avoir éprouvé ce sentiment dans l’enfance. Désormais, Stéphane est sur les rails. De mon côté, le temps est passé. Le domaine pour lequel j’avais des projets de réforme est derrière moi.

Stéphane est un homme orchestre et, depuis que nous nous connaissons, je l’ai vu accomplir des choses incroyables: à l’âge de 20 ans, partir chasser des papillons avec un entomologiste dans le Nord du Vietnam s’entrouvrant à peine depuis la fin de la guerre, en pleine nuit, guider des pompiers dans une usine en feu alors que, dans la salle des machines, des cuves d’ammoniaque menaçaient d’exploser et de provoquer une catastrophe écologique, le surlendemain, diriger plusieurs corps de métiers pour que l’usine recommence à produire, restaurer de la cave au grenier la longère que nous occupons à raison de douze heures de travail par jour, assimiler l’art de la peinture seulement en observant son père dans son atelier, réaliser des photos dignes de celles qui sont exposées dans les galeries les plus prestigieuses, passer des heures et des heures sur un problème technique, mécanique ou informatique et réussir là où d’autres auraient jeté l’éponge, apprendre à manier des logiciels professionnels complexes, devenir un as de la conception de sites internet, concevoir un nouveau type de panneau photovoltaïque, rendre clair, pour une de nos filles, un problème mathématique et, depuis plus de quatre ans, fédérer une équipe incroyable de sportifs, artistes, scientifiques au sein d’un club qui sera inauguré demain soir.

Depuis plus de quatre ans, il me semble partager la vie d’un joueur de rugby se préparant en vue de la coupe du monde. Il travaille sans relâche, multiplie les rencontres, emporte l’adhésion de femmes et d’hommes exceptionnels, repense son projet, passe du rêve à la réalité, de voyages dé-li-rants au lobby des consciences. Dans l’ombre, comme tant de femmes, je conseille, suggère et, bien sûr, critique! Si ma confiance aura grandi au gré de l’évolution du projet, je n’aurais pas toujours été agréable dans mes commentaires. Il m’est souvent arrivé de me sentir dans la peau de Jiminy Cricket. Déjà, pendant que Stéphane traçait les grandes lignes de notre tour du monde, je devais le ramener à la raison tant, parfois, ses projets étaient objectivement dingues comme passer dix-huit mois sur un vélo pour longer la cordillère des Andes ou pagayer dans les eaux gelées en Alaska. Une forme de folie est nécessaire à la réalisation de grandes choses et ce que Stéphane a entrepris est objectivement une grande chose, le versant le plus important demeurant encore caché.

Demain, depuis l’une des salles d’Elpehant Paname, j’écouterai mon mari co-présenter avec le journaliste sportif Marc Maury les échanges avec quatre membres du club comme Florence Masnada, championne de ski médaillée olympique, le réalisateur Luc Marescot, Yves Wansi, le Président de l’association « Vue d’ensemble » avec lequel Stéphane a eu la chance d’entreprendre une traversée en ski de fond sur le lac Baïkal ou bien encore l’une des rares personnes que j’ai eues l’occasion de rencontrer depuis que Stéphane a créé Somewhere Club et pour laquelle j’ai à la fois admiration et tendresse: Jacques-Marie Bardintzeff, volcanologue. Suivront ensuite les interventions de certains ambassadeurs comme Frédéric Mazalla, Alain Bernard, Louis-Albert de Broglie ou bien encore Jean-François Clervoy.

Après un dîner concocté par Christina, jeune cheffe taïwanaise, une expérience solidaire sera proposée aux invités: un voyage dans l’Himalaya sur les traces d’un homme merveilleux parti bien trop vite: Jean Nerva, pionnier du snowboard en France, pilote de moto et musicien de talent. Jean faisait partie de l’équipe du Baïkal. Souffrant d’une tumeur cérébrale le condamnant à la cécité, il était parti dans les villages reculés du Ladakh pour apporter des lunettes de soleil. Si je n’ai jamais rencontré Jean, il nous est arrivé d’échanger des mails. Il était toujours drôle et positif. Il estimait que la maladie était une chance puisqu’elle lui avait permis, après une période de dépression, de devenir une meilleure personne en s’ouvrant vraiment aux autres.

Demain, je serai si heureuse d’entendre Stéphane présenter les prochains rendez-vous du club en lien avec le lobby des consciences et conclure cette soirée. Mercredi, nous reviendrons tous les deux par le même train. Je le sentirai apaisée et déjà désireux d’écrire les nouvelles pages de cette incroyable aventure. Les enfants accueilleront leur père comme un héros et voudront tout savoir. Victoire, encore plus. C’est elle qui s’est le plus investie dans le travail de son père. C’est elle, ce matin, qui lui a envoyé un sms d’encouragement.

A bientôt pour le récit de la soirée!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

4 commentaires sur “Chronique autour d’une soirée inaugurale

  1. Quelles aventures ! Je me dis souvent qu’entre la folie et le génie il n’y a qu’un pas a franchir. Sans folie, on ne se dépasse pas, on reste dans notre carcan.
    Vous avez la chance, en plus – du peu que j’ai pu entre-apercevoir – d’être complémentaires, tels un yin et un yang. J’espère que vous vivrez encore de très belles aventures ensembles et celle qui débute (débuter est il le bon mot quand on a ne serait ce qu’une petite idée de ce qui a déjà été accompli ?) ce soir !
    Profitez à fond !

    1. Cher Nicolas, avec beaucoup de retard, je vous réponds. Je pense que dans les couples qui réussissent le pari fou de l’aventure au long cours la complémentarité est essentielle. Cette soirée était comme de parvenir au sommet du K2 en hivernale! Ce qui va venir devrait, normalement, ne pas être aussi complexe. Quand un homme, à 45 ans, décide de se lancer dans un tel projet, il emmène toute sa famille avec lui. Beaucoup de sacrifices consentis. Bon dimanche à vous tous!

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