Les kermesses avec chamboule-tout, château gonflable et pêche miraculeuse sont finies comme tous les spectacles de fin d’année scolaire. Vendredi soir, certainement de l’émotion chez les élèves quittant la maternelle pour l’école primaire et cette dernière pour le collège mais aussi chez les institutrices et les instituteurs ayant déployé tant d’énergie pour qu’ils se sentent près à changer d’univers. Beaucoup d’émotion également chez les parents. L’entrée en CP marque vraiment la fin de la petite enfance. Il faut être prêt à les accompagner sereinement sur le chemin de l’autonomie progressive. Quand nos enfants l’étaient encore, je n’aimais pas ce temps précédent le début des grandes vacances. Au fil des jours, les murs n’affichaient plus fièrement les réalisations des enfants, les portemanteaux se vidaient. J’étais toujours impressionnée de voir combien les institutrices étaient gâtées: fleurs, plantes en pot, livres, thé, café, chocolats.
J’imagine des cartables esseulés au pied d’une chaise où ils se couvriront de poussière pendant deux mois, les listes des fournitures scolaires mises en évidence sur la porte du réfrigérateur ou égarées entre les pages d’un cahier ou d’un classeur. Dans certaines familles, on s’empresse de tout acheter pour ne plus avoir à y penser, pour éviter la folie dans les rayons à la fin du mois d’août. Dans d’autres familles, les achats seront faits sur le fil, un moyen comme un autre de faire durer aussi longtemps que possible le temps béni des grandes vacances. A peine commencés, les cahiers de vacances, spécificité française, seront abandonnés comme la plage de la Madrague à la fin de l’été dans la chanson de Brigitte Bardot.
L’an dernier, à cette époque, notre cadette décrochait son bac et fêtait joyeusement avec deux autres amis et tous leurs camarades leurs 18 ans. Quelle joie de préparer cette soirée! J’avais concocté plusieurs litres de planteur. Cela sentait bon dans la cuisine: un mélange d’épices et de citron vert. On se serait crû à la Martinique. Le trio avait choisi un thème pour sa soirée: chic et choc. Stéphane avait réalisé de belles photos de tous les jeunes qui avaient posé dans la cour d’une ancienne école transformée en salle des fêtes par un village.
Lundi, j’ai beaucoup pensé aux élèves de terminale qui découvraient les résultats du bac, encore plus à ceux que j’ai eus le bonheur d’accompagner le temps de huit séances de sophrologie au lycée. Avant de passer leurs épreuves, ils savaient déjà où ils iraient en septembre et les familles avaient pu commencer à se mettre en quête d’un point de chute. En juin de l’année dernière, Stéphane était parti à Reims avec notre cadette pour qu’ensemble ils visitent des résidences universitaires. Victoire a été très heureuse dans la résidence. Beaucoup d’étudiants étrangers, beaucoup d’entraide. Quand Victoire n’avait pas eu le temps de faire des courses, elle trouvait toujours une étudiante ou un étudiant pour partager son repas. Il arrivait aux jeunes de cuisiner tous ensemble dans la cuisine commune et, ensuite, de louer un film, surtout le dimanche soir. En mai, elle a fait le choix de quitter la résidence pour faire l’expérience d’une colocation avec l’une des ses amies.
Tandis que la flamme olympique continue de traverser notre pays, que les grandes transhumances commencent, qu’une nouvelle fois des animaux seront lâchement abandonnés par des deux pattes sans coeur, sur le plateau, la moisson progresse. Les grandes dents des grosses machines ont avalé le colza dont il ne reste plus qu’une forêt de tiges épaisses. Le blé est en attente. S’il a reçu beaucoup de pluie, il a manqué de soleil. Déjà, les robes des coquelicots n’ont plus ce beau rouge éclatant. Depuis que les foins ont été fauchés et que des soleils attendent sagement d’être mis à l’abri, la famille de chevreuils a déserté l’ombre des pommiers. Seul un chevreuil solitaire reste fidèle au plateau. Hier en fin de journée alors que nous nous promenions en vélo, nous sommes passés près d’un grand champ dans lequel passaient vaches et veaux. Une vache brune avait commencé à marcher tranquillement en direction de la ferme bientôt suivie par tout le troupeau. Elle avançait seule à bonne distance sans se soucier de savoir si les autres lui avaient emboîté le pas. Je suis restée un long moment à contempler les veaux dont le regard est si tendre. La joie est là: dans cette capacité à saisir des moments de plénitude.
Le week-end dernier, nous avions le bonheur d’avoir nos trois enfants à la maison. Quand les enfants grandissent, les maisons deviennent ces ports où, parfois, les bateaux sont heureux de venir s’amarrer pour se reposer, reprendre des forces et repartir. Notre cadette avait entendu dire beaucoup de bien de la nouvelle adaptation du Comte de Monte-Christo. Nous y sommes allés samedi soir. Cela faisait une éternité que je n’avais pas passé trois heures dans une salle de cinéma. Le film est bien joué, bien rythmé si bien qu’on ne s’ennuie pas. Les deux réalisateurs ont pris certaines libertés avec le roman d’Alexandre Dumas que je ne dévoilerai pas. Jeune adolescente, j’ai été durablement marquée par l’adaptation du roman pour la télévision en six épisodes par le réalisateur Denys de la Patellière. Jacques Weber était remarquable dans tous les personnages incarnés par Edmond Dantès. Le climat de la série était plus sombre que le film et ne s’écartait pas de l’oeuvre de Dumas. Le Monte-Christo dans sa version de 2024 a été réalisé par Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière, fils de Denys. C’est à ce binôme que l’on doit le cultissime Le Prénom. Récemment, je l’ai revu avec notre aînée. Impossible de s’en lasser tant les dialogues sont merveilleux et les acteurs remarquables. Denys de la Patellière est mort en 2013 si bien que son fils ne saura pas ce que son père aurait pu penser de son adaptation. Pendant le film, j’ai été vraiment dérangée par le niveau sonore des musiques. Seul Stéphane, à mes côtés, semblait également incommodé.
Presqu’une semaine après avoir vu le film, je constate qu’il ne m’en reste pas grand chose et que, dans mon esprit, Jacques Weber s’impose toujours dans le rôle de Monte-Christo. Tandis que je termine cette chronique, la pluie calme son rythme. Hier, de gros nuages s’étaient massés au-dessus du plateau. Ce matin, impossible de sortir nos vieux vélos et de partir respirer le parfum de la nature humide. Tandis que la pluie tombait sur les feuilles du magnolia, les roses, faisait briller les mirabelles et les tomates, un couple de tourterelles turques, plume contre plume, était assis sur une des branches basses du prunus. Notre chat devait s’être abrité sous un buisson.
Les élèves de première ont eu leurs résultats du bac de français. Hier soir, notre fils sentait monter le stress. Même si les correcteurs semblent avoir été particulièrement exigeants cette année, il peut être très fier de ses notes qui sont le reflet d’un travail régulier et du désir de faire de son mieux. Maintenant, tous les élèves vont pouvoir souffler et se reposer. Nos deux filles sont sur la Côte d’Azur où il fait très chaud. La mer Méditerranée me manque! Je me rappelle ces matins où, en Balagne, nous quittions la maison de bonne heure pour aller nous baigner dans une crique. La joie de pénétrer dans une eau claire, de nager longtemps et de ressentir tous les bienfaits de ce bain pour le corps et l’esprit. Puis, de sécher au soleil avant que les rayons ne soient trop forts. En août, je ne sais pas si l’océan atlantique breton nous permettra des baignades prolongées.
A bientôt,
Anne-Lorraine Guillou-Brunner