Chronique autour d’une réunion de famille

Longtemps, en amont, on prépare les réunions de famille qu’elles soient en lien avec le calendrier liturgique ou les anniversaires de ses proches. On pense à des menus, des cadeaux. On prépare les chambres. On fait des courses. On cuisine. On fait une jolie table et, en quelques heures, c’est fini. Bientôt, il ne reste plus que des cheveux d’ange accrochés au sapin nu dans le jardin, des restes de plats dans des boites, des oeufs de Pâques oubliés près des tulipes, des bougies d’anniversaire aux 3/4 consumées et des taches rebelles sur des nappes.

Dimanche, avant le goûter, une grand-mère six gallons avait repris la route avec, à bord de sa voiture, sa seconde fille, deux petits-enfants et Miyu, la soeur de Cookie. Victoire disparaissait dans mon cabinet et s’installait au bureau de notre grand-père pour réviser le brevet blanc de philosophie. Céleste travaillait depuis la table de la cuisine et Louis s’était volatilisé au fond du jardin. Stéphane disputait des parties d’échecs. En rangeant, je trouvais l’imperméable de notre maman sur une bergère de l’entrée, un hand spinner rose prélevé sur la collection constituée par Louis quand il avait dix ans. C’est tout à fait par hasard que j’avais exhumé cette collection. J’avais oublié la frénésie qui avait saisi les enfants s’agissant de cet objet imaginé en 1997 par une maman américaine pour sa fille autiste. Le hand spinner réussissait à détendre et à apaiser sa fille. Ces objets avaient envahi les cours de récréation françaises en 2017. Le rose avait dû appartenir à notre plus jeune fille.

Samedi matin, en me levant, sur la table de la cuisine, je trouve le jeu de cartes racontant les parties que Valentin et Louis ont disputé après le diner et, à l’étage, l’hôtel Playmobil offert à Victoire qu’elle a patiemment remonté avec Louis pour Charlotte. Cookie est sur la bergère. Il n’a pas bougé. Blessé à une patte, je ne l’ai pas entendu jouer avec sa soeur Miyu. La maison repose tel un ours dans sa grotte avant l’arrivée du printemps. Hier, c’est à 18h30 que la voiture d’une grand-mère arrivée avant le déjeuner stationne devant la maison. Elle est allée accueillir sa seconde fille, ses deux plus jeunes enfants et le chat à la gare. En temps normal, Fantôme aurait été surexcité. Battant de la queue à tout-va et se précipitant sur sa famille deux pattes dans des bruits joyeux d’éléphant de mer. Ma soeur est très élégante. Valentin a la finesse d’un Frédéric Bazille. Charlotte se jette à mon cou. Je la soulève et la prends dans mes bras refusant de penser à mon épaule. La tendresse spontanée de l’enfance: du bonheur concentré! Tout de suite, nous allons chercher l’hôtel et un chiffon car il est plein de poussière. C’est le grand ménage de printemps! Ensuite, les vacanciers se présentent à la réception et s’installent dans leurs chambres avant d’aller se restaurer dans la salle à manger. Je réussis à m’évader pour un apéritif. Valentin et Louis se succèdent au piano. Stéph s’occupe du barbecue. Céleste est encore à Paris. Elle voyait leur cousine roumaine. Victoire dine avec son Louis et toute sa famille. Charlotte m’entraine vers la bibliothèque. Je dois lire tous les titres des Monsieur Madame pour qu’elle fasse un choix. Nous en lisons deux tout en jouant avec une poupée russe revenue de Sibérie. Un enfant vous plonge dans la magie de l’instant et si vous avez su conserver votre âme d’enfant et votre imagination, c’est encore mieux. J’espère qu’il va faire beau. L’an passé, les maillots étaient la tenue réglementaire. Les tentes avaient été déployées dans le jardin. Pâques était le 17 avril. Aujourd’hui, nous fêterons avec un peu d’avance les 18 ans de Victoire dont j’écrivais depuis le Gard en 2005 qu’elle était née au printemps le front ceint de lilas et de glycine.

Hier, quelle belle journée! Un marché coloré, des rues rendues très vivantes par la braderie, un verre à la terrasse de la brasserie de la Poste chère à Cocteau et Jean Marais, des déguisements comme s’il en pleuvait, une promenade placée sous le signe des animaux de la ferme et de la ligne d’horizon jaune colza, une virée à vélo nocturne, une séance de photos improvisée, des sauts dans le trampoline, des histoires et les 18 ans de Victoire fêtés avec un peu d’avance. De la joie, de la vie, du partage, de l’émotion, de l’amour. Maintenant, le Christ est ressuscité, vraiment ressuscité. Cookie et sa sœur sont ensemble. Les asperges sont cuites. Les cloches et les lapins sont en chemin. Pendant la messe, deux enfants recevaient le baptême. La première avait huit ans et la seconde quelques mois. La première s’appelait Louana et la seconde Odessa. J’ai pensé que la petite fille si mignonne avec son bonnet en dentelles devait avoir une origine ukrainienne. Tandis que Victoire raconte des histoires à Charlotte, Louis et Valentin vont cacher les oeufs dans le jardin. La glycine et le lilas fleuriront bientôt. Les oeufs dissimulés, Louis secoue la cloche qui était autrefois accrochée devant le portillon. Charlotte sort précipitamment de la chambre de Victoire et regarde par la fenêtre. Elle saisit un panier et part dans le jardin. La chasse est ouverte! Les cousins la guident. Près du prunus, un hérisson repose dans l’herbe. Céleste va chercher des gants et prend le hérisson délicatement. Nous regardons son petit visage aux traits si fins, ses petites pattes aux longs ongles. Je pense que le hérisson est mal en point et me demande si le chat aurait pu le blesser. Tout au long de l’après-midi, ma soeur, les filles et notre maman se relaient auprès du hérisson qui refuse de boire et de manger. Alors que le soleil décline, Louis viendra me trouver pour me dire qu’il est mort et qu’il l’a déposé à un endroit tranquille.

On était bien sur la terrasse que la glycine commence à ombrager. Les bars étaient délicieux. Notre père présent par le truchement de la sauce pour les asperges. Louis a été très ému en cachant les œufs de ne pas le faire suivi de près par Fantôme. Si les trains circulaient, Céleste, Charlotte et Valentin auraient pu repartir aujourd’hui. Cette maison est vraiment une maison de famille comme la bonne et vieille maison de Pont. La vendre ne serait pas facile! Et je ne pourrais partir que pour le Sud du Finistère et une ville où on n’a plus besoin de voiture. Recommencer? Combien de fois dans une vie peut-on prendre un nouveau départ?

Le lundi s’étire avec la lascivité du lion repus. Céleste reçoit la visite de deux amies de lycée, étudiantes en art à Tours. Stéphane et moi partons au cinéma voir l’adaptation pour le cinéma du récit de Sylvain Tesson Sur les chemins noirs.  Dans la salle, peu de spectateurs et la moyenne d’âge est de 75 ans. C’est en l’an 2000, quand nous commencions à préparer notre grand voyage que Stéphane et moi avons découvert les livres d’Alexandre Poussin et de Sylvain Tesson. Les deux compères avaient sillonné le globe en vélo et avaient vécu de l’aide généreuse rencontrée sur les chemins. Ils étaient des troubadours sportifs animés encore par un amour universel. Je me suis demandée quand les choses avaient commencé à dysfonctionner chez Sylvain Tesson et mon oeil de thérapeute l’a envisagé comme un patient. J’ai senti que le père, brillant, ancré très à droite, fou de théâtre, avait dû être une figure très écrasante. J’ai compris l’attachement viscéral du fils à la mère médecin tropical, femme née pour l »universel terrassée par une embolie pulmonaire. On devine que les échecs sentimentaux sont liés à une nature rétive à l’engagement et qui a des semelles de vent. On imagine que cet homme est resté le fils de ses parents et qu’il ne peut alors pas devenir père ou alors, très tard. L’angoisse de mort l’irrigue autant que l’énergie qui le consume et lui impose des heures et des heures d’exercice pour trouver le sommeil, la paix du corps mais aussi celle de l’esprit qui, tel un cheval sauvage, n’en finit pas de galoper dans des espaces infinis et qu’il rêve encore vierges. Quelque chose a fini par ne plus me faire aimer cet homme dont l’écriture est magnifique. Dans l’adaptation du livre qui fait le récit poignant et si poétique de sa renaissance par la marche d’un corps brisé, Jean Dujardin, remarquable dans Novembre, n’est pas crédible. Il aurait fallu plus de tourment, d’angoisse, de mépris pour le genre humain qui sabote la planète avec tant de conscience. Je ne sais pas si je le lirai encore. J’ai du mal avec les misanthropes même s’ils cachent une sensibilité d’oisillon tombé du nid. Mais je sais qu’un jour, je repartirai avec mon sac à dos pour une marche sans limite de temps avec mon petit carnet.

Les enfants et les amies de Céleste vont voir le film de Jeanne Herry Je me souviendrai de vos visages. Pupille, déjà, était remarquable. Les acteurs sont si justes qu’on se croirait dans un documentaire. Ce film met en lumière la justice restaurative instaurée en France n 2014. Elle permet la rencontre préparée en amont entre des victimes et des auteurs de faits détenus ou libérés. Les rencontres sont menées par des professionnels aidés de bénévoles. Cette justice a pour but de réparer la société. Elle donne à la victime la possibilité de quitter son habit victimaire et à l’auteur de faits de prendre la pleine mesure de ses actes, de demander pardon et de pouvoir ne pas récidiver. Ces échanges peuvent être bien plus libérateurs que des années dans le cabinet d’un thérapeute. Le langage parfois trop clinique de certains professionnels m’a dérangée. Mais comme il est dur de servir d’intercesseur entre des victimes parfois encore si pleine de colère, voire de haine et des auteurs de faits dans le déni, la colère et dont les passés, trop souvent, étaient traumatiques.

Mardi, Céleste reprend le train de 7h23 pour Paris. Le quai est bondé. Nous sommes à la veille des résultats des écrits de spécialités du bac sauce Blanquer.

Cyclades, ce nom fait rêver tant il est synonyme d’îles grecques baignées de soleil tapant des murs blancs et des toits bleus, de ruelles habitées par des chats, de filets de pêche séchant dans les petits ports, de verres d’ouzo et de sirtaki. Cyclades, c’est aussi le nom que porte la plateforme de l’Education nationale permettant d’accéder aux résultats. Cyclades chauffera aujourd’hui. Depuis plusieurs semaines, je me prépare au départ de notre fille cadette qui ne sait encore ni où ni comment. Je m’arrête devant sa chambre quand elle n’est pas là. Mes yeux balaient les objets familiers, les vêtements abandonnés, les livres et les cours. Bientôt, la chambre sera aussi calme que celle de sa grande sœur. De moins en moins de chaussures dans l’entrée, d’assiettes autour de la table de couvent, de courses à faire. Je souhaite à tous les élèves de terminale de pouvoir se réaliser au plus près de leurs aspirations. Je souhaite à tous les parents et aux frères et sœurs restant au nid d’amorcer le mieux possible ce changement qui se prépare.

14h00, les résultats tombent. Victoire est récompensée pour son travail régulier et approfondi. Dans l’ensemble, ses amis proches sont satisfaits. Je suis triste pour celles et ceux qui sont déçus. Je pense notamment à celles et à ceux qui ne sont pas scolaires, subissent l’école alors qu’ils sont très intelligents. Ils s’épanouiront dans des voies où leur vivacité d’esprit, leur nature énergique et leur sens pratique feront merveille.

Demain, à 5h43, Victoire aura 18 ans. Le soir, avec Léa, née le même jour qu’elle, elles iront boire un verre avec des amis. Maintenant, les anniversaires avec courses en sac, 1,2,3 soleil, jeu de piste, déguisements, gâteaux maison semblent si loin. Léa et Victoire fêtent leur anniversaire ensemble depuis 12 ans. La première fois, c’était en Bretagne, à Pénestin, pendant un séjour avec la classe en grande section de maternelle. Maintenant, c’est notre petite nièce, Charlotte, qui demande à fêter ses anniversaires à la maison, en juin. Cela me touche qu’elle ait envie que cela se passe ici.  Cette année, Charlotte aura six ans, l’âge de Léa et Victoire quand elles ont soufflé ensemble les bougies de leur première gâteau commun: un framboisier.

A bientôt!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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