Chronique post épreuves de spécialités

Je commence cette chronique alors que notre seconde fille doit découvrir ses sujets en SES et d’autres camarades les leurs en HGGSP, maths ou management. J’ai l’estomac noué comme hier. C’est un peu difficile ces épreuves fixées à 14h00. La pression a le temps de monter. Au moins, quand on commence à 8h00, on est tout de suite dans le vif du sujet et les esprits fonctionnent mieux le matin qu’en début d’après-midi après le déjeuner et une belle journée printanière. Hier, j’ai déposé Léa et Victoire un peu après 13 heures et tous les jeunes étaient heureux de se retrouver et d’échanger au soleil avant de rejoindre les salles. Si les sujets en HGGSP semblaient accessibles, ceux qui ont été donnés en SVT ont surpris les élèves d’autant que la partie biologie avait été traitée en première! Il est rare que les élèves soient aussi à l’aise dans les deux matières de spécialité. Souvent, ils ont sacrifié à la fin de la première une matière qu’ils aimaient pour faire des choix stratégiques. Ainsi notre fille a-t-elle renoncé à HLP au profit de la SES ouvrant plus de portes.

Les professeurs investis et exigeants, celles et ceux qui ont cravaché pour boucler des programmes déments en un temps impossible sont stressés et ne passent pas de bonnes nuits la veille des épreuves encore moins quand ils ont des enfants en terminale. C’est la première année que la réforme du bac voulu par Jean-Michel Blanquer est appliquée de A à Z hormis les EC3 très vite abandonnés. Notre fille ainée n’a pas vraiment passé le bac. L’épidémie de Covid avait chamboulé l’année scolaire comme cela avait été le cas pour le bac de français. Céleste n’a passé que l’écrit de philosophie et le grand oral. Avec Victoire, je découvre le vrai stress! Des semaines que je la vois travailler les écrits sur une grande ardoise avec des feutres de différentes couleurs. Elle s’installe volontiers dans mon cabinet sur le bureau de notre grand-père face au plateau. Comme moi, elle se récite à voix haute ses cours et, parfois, marche. Etudiante en droit, je réalisais de vrais marathons dans des espaces petits. Dés que je m’assieds, mon cerveau décroche! C’est souvent en marchant que les choses s’écrivent dans mon esprit. Les idées se rangent.

Parcoursup a creusé encore un peu plus les inégalités en France. Les enfants dont les parents en ont les moyens leur offrent les services de consultants travaillant dans des cabinets privés. Les consultants les aident dés la seconde par des bilans de compétences visant à les orienter dans le choix des spécialités. En terminale, les mêmes consultants servent à s’y retrouver dans le dédale des parcours possibles, à rédiger les lettres de motivation ou à relire les essais demandés dans certaines écoles comme Sciences po Paris. Ce sont les mêmes élèves qui pourront avoir accès à des psychologues ou des sophrologues s’ils sont stressés. Dans les familles « normales » ou dans celles où l’argent manque de plus en plus, il faudra compter sur une seule conseillère d’orientation/psychologue par établissement…Les parents auront accès à une visio en janvier pour les aider à s’y retrouver avec la plateforme Parcoursup. Le rôle des professeurs principaux est fondamental en terminale. Ils vont s’assurer que les élèves ont rempli leurs dix voeux, que les voeux sont compatibles avec leurs résultats et qu’ils n’oublient pas l’académie dont ils dépendent et dans laquelle leurs chances de suivre leurs études sont les plus élevées. Ce sont aussi les professeurs principaux qui veillent à ce qu’ils montent les dossiers pour les bourses et les CROUS.

Cette année et pour la première fois depuis que la réforme du bac est entrée en vigueur, les notes des écrits connues le 12 avril seront intégrées à Parcoursup. Monsieur Blanquer souhaitait que ces épreuves anticipées permettent de « trier » les élèves au moment où ils postulent pour les études futures. L’enseignement supérieur ne voit pas d’un très bon oeil le contrôle continu. Monsieur Blanquer qui a été recouvert de crème chantilly par un professeur anarchiste entre les allées du marché où je vais presque tous les samedis a, après l’échec des législatives, obtenu un poste de professeur de droit public à Paris 2 où il avait été ATER. En 1993, il a soutenu sa thèse sur les méthodes du juge constitutionnel sous la direction d’un professeur que j’avais en libertés publiques, Jacques Robert. Il a été reçu au concours de l’agrégation de droit public en 1996. Il se lie d’amitié quand il est étudiant avec François Baroin et Richard Senghor. Notre ancien ministre de l’Education est à n’en pas douter une tête bien faite scolarisée à Stanislas, établissement privé à côté de la rue Notre-Dame-des-Champs et passé par Harvard après obtention d’une bourse Lavoisier du ministère des affaires étrangère. Une tête bien faite, un parcours exemplaire mais la mise en oeuvre d’une réforme qui fait tant de mal dans les lycées provoquant le départ de professeurs et fragilisant les élèves déjà très malmenés par l’épidémie du Covid avec son lot de confinements et de cours à distance.

Tout à l’heure, après avoir déposé les filles devant le lycée, je me suis demandée quels souvenirs il me restait du bac passé dans le Tarn en 1986. Mon année de terminale fut moralement très douloureuse. Je replongeais dans un état dépressif que j’avais connu entre la quatrième et les débuts de la seconde. Nous vivions alors dans la maison de campagne d’un ambassadeur de France située dans un hameau. La fenêtre de ma chambre donnait sur la Montagne noire et, aux beaux jours, j’entendais les moutons dans les champs. La maison occupée l’été ne possédait pas de chauffage. Nous y avons vécu l’hiver 1985 celui pendant lequel les voitures ne pouvaient plus rouler car le carburant gelait. Notre mère avait la présence d’esprit de nous délocaliser chez des amis et vivait avec le chat retranchée dans une maison où les canalisations avaient sauté. Elle ramassait de la neige et la mettait à fondre sur le poêle. Notre mère, comme beaucoup de femmes, se transcende toujours dans les moments difficiles et ne se plaint jamais! La maladie de notre père qui vivait alors à Paris et voyageait beaucoup tant en Europe qu’en Afrique nous obligeait à vivre avec 100 francs par semaine. Je vivais tout cela très mal et me réfugiais dans le travail. Je ne voyais presque plus mes amis.

Je me rappelle de l’épreuve de philosophie, celle que je ne devais surtout pas louper car elle était la plus importante en terminale A2. Pendant les quatre heures, il m’avait semblé vraiment cerner mon sujet et bien le traiter et, ensuite, le temps passant, je doutais de moi nuit après nuit. Pour l’histoire, j’avais choisi un sujet sur les accords de Yalta. En géographie, nous avions été interrogés sur la pêche au Japon, sujet que j’avais travaillé le soir avant de m’endormir d’un mauvais sommeil. Je ne conserve aucun souvenir des écrits d’anglais et d’allemand. En revanche, l’oral en maths fut une catastrophe et, ce jour-là, je me revoyais petite fille, à la Martinique, au tableau noir, humiliée par cette institutrice si belle et si cruelle dont le début du nom de famille contenait le mien. Elle avait verrouillé mon cerveau aux mathématiques et plus personne n’a réussi plus tard à trouver la clé. Pourtant, j’aurais tellement aimé être une de ces élèves qui jonglent avec les fonctions, les racines carrées et les abstractions géométriques. Quand notre ainée était en troisième, leur professeur de français leur a donné à lire un recueil de poèmes que j’ai adoré Euclidiennes d’Eugène Guillevic. Je ne me souviens pas comment c’était déroulé mon épreuve orale en latin démarré en seconde en qualité de grand débutant. J’aurais préféré l’italien mais ce n’était pas possible et il me fallait absolument une troisième langue vivante ou morte. C’est triste de considérer le latin et le grec comme des langues mortes quand ces deux cultures irriguent la notre. En revanche, je me rappelle la joie de notre maman qui m’attendait dans sa vieille 4L le jour des résultats et que je lui annonçais que NOUS avions eu 16.

Pour me venir en aide, en seconde, elle s’était replongée dans son Gaffiot et se faisait aider d’une dame délicieuse qui écrivait des romans policiers pour les thèmes. La semaine qui avait précédé l’oral, nous nous étions installées à une table dans le jardin et elle me faisait revoir toutes les difficultés grammaticales tout en me parlant de l’histoire romaine, de la mythologie, des poètes. J’avais une chance folle! Mais, bien sûr, je n’en avais pas conscience et enviais mes amies dont les mères avaient un métier, une carrière. Mais ces mères-là ne pouvaient pas accompagner leurs enfants. Plus tard, quand ils avaient besoin de moi, j’ai toujours essayé d’éclairer la lanterne de nos enfants mais mes compétences se limitent au français dont je ne comprends plus la grammaire absconse, à l’histoire, plus qu’à la géographie, à la géopolitique, aux sciences politiques, à l’anglais, à l’allemand, à la philosophie (mais j’ai oublié tant de choses!) et la SVT. Je ne suis d’aucune aide pour les maths, la physique et la chimie et l’économie quand elle est trop mathématique. J’aide aussi les amis des enfants quand ils me sollicitent.

Je ne crois pas avoir vraiment fêté mon bac mais je me rappelle une soirée dans la maison avant que nous ne quittions le Tarn. Nous allions tous être dispersés pour nos études entre Toulouse, Bordeaux et Paris. Pour une fois, je n’étais pas la seule qui s’en allait mais toujours la seule à ne pas avoir de racines. Cette nuit-là, j’avais vu une luciole.

Victoire m’a appelée alors que j’étais en ligne avec sa soeur qui avait besoin des codes de ma carte pour acheter ses billets de train pour Antibes. Victoire avait une voix pleine de soleil. La voix d’une élève soulagée d’un grand poids et heureuse du travail réalisé. Autour d’elle, ses camarades semblaient également satisfaits. Plus tard, j’apprendrai ce qui est arrivé pour les élèves de STMG. Ils composaient depuis près d’une heure dans l’épreuve éco-droit quand on est venu leur retirer leurs copies et leur redonner un sujet car celui sur lequel ils planchaient avait fuité! Les malheureux ont été obligés de repartir à zéro et ont été libérés à 19h00. Cela a complètement décontenancé une jeune fille camarade d’une amie de Victoire qui, par ailleurs, n’a pas pu travailler jusqu’au bout car si elle ratait son bus, personne ne pouvait venir la chercher! C’est absolument effrayant de faire vivre des choses pareilles aux élèves! Maintenant, Victoire va rentrer avec une amie qui a pour projet d’étudier le droit et de passer le concours de l’ENM. Elles se prépareront avant de partir chez une autre amie qui fête ses 18 ans. Une soirée de filles. Une soirée pour lâcher la pression avant de se remettre dés demain dans les écrits liés à Parcoursup. Je vais, moi aussi, décompresser. Je ne sais pas si notre maman avait été inquiète pour ma soeur et moi avons nos épreuves du bac. Notre père l’était toujours! Enfant, il l’était déjà pour son grand frère. A Mayotte, un papa commence à fatiguer. Epuisant d’animer plusieurs ateliers par jour à destination de publics différents: collégiens, lycéens, adultes. Par ailleurs, la chaleur humide n’est pas facile à supporter encore moins quand on dort dans une chambre sans climatisation.

Demain, notre ainée qui a validé toutes ses matières en première année d’IFSI n’a qu’une seule épreuve à repasser. Comme sur une promotion de 160 élèves, déjà 50 sont partis, l’école a refait les groupes et elle ne pourra pas être évaluée avec l’amie formant son binôme. Elle sera notée avec deux jeunes filles qui ne viennent presque jamais en cours et il en va de même pour sa camarade. Les élèves sont si malmenés pendant leur stage qu’ils craquent et changent de voie. Un être maltraité devient trop souvent maltraitant! Pour le moment, Céleste a eu beaucoup de chance pour ses stages mais elle sait qu’elle finira par se retrouver dans un service où on se comportera mal avec elle.

Je vous laisse avec un poème d’Eugène Guillevic et vous dis à bientôt,

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

Parallèles

On va, l’espace est grand,
On se côtoie,
On veut parler.
Mais ce qu’on se raconte
L’autre le sait déjà,
Car depuis l’origine
Effacée, oubliée,
C’est la même aventure.
En rêve on se rencontre,
On s’aime, on se complète.
On ne va plus loin
Que dans l’autre et dans soi.

 

 

 

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