Chronique de l’entrée dans l’automne

Au dernier jour de l’été, j’ai décidé de ranger les étagères qui sont au-dessus de mon bureau. 16 ans de poussière s’y étaient accumulés! J’ai retiré tous les ouvrages et les nombreuses cartes postales, les faire-part de naissance envoyés par mes patientes et les photos que j’y avais glissées. J’ai exhumé une photo représentant la Bigouden d’Edouard Boubat marchant sur le sable en direction de l’océan avec sa haute coiffe sur la tête, ses chaussures dans la main gauche et un sac dans la main droite. Cette photo m’avait inspiré une histoire que j’ai racontée dans une chronique.

J’ai retrouvé une photo de Victoire et de moi prise l’été 2005 dans la maison de mes beaux-parents. Je suis allongée sur le canapé et Victoire est calée sur mes genoux. Je lis « Le soleil des Scorta » de Laurent Gaudé. Victoire dort. Je suis fatiguée et amaigrie. J’ai exactement la même tête que lorsque j’étais anorexique. En voyant cette photo, je comprends que Victoire aime tant apprendre! J’ai enlevé tous les livres et les codes qui me rattachaient encore à ma première vie de chercheuse en thèse de doctorat et d’enseignante à l’Université. J’ai rangé méticuleusement tous les ouvrages ayant trait à la sophrologie, la psychanalyse, les enfants et adultes à haut potentiel, le bonheur et l’éducation. Dans le lot, la vie d’Hildegarde de Bingen que notre mère m’avait offert. Cela m’a fait du bien de faire place nette. Dans ses leçons d’un siècle de vie, Edgar Morin nous invite à procéder à une table rase de nos certitudes tous les dix ans. Les certitudes nous figent. Elles nous enkystent comme le trop grand confort matériel nous ramollit et finit par nous éteindre en nous privant de nos instincts, de notre intuition, de notre énergie primitive.

Il faisait froid et humide ce matin. Les rayons du soleil éclairait le travail de dentelière des araignées. Je n’ai encore pas réussi à me réchauffer. Hier, une de mes patientes dont les parents sont nés en Cappadoce m’a rapporté une très jolie tasse fait main et des gâteaux. Ce genre d’attentions délicates me touche toujours beaucoup. Avant-hier, j’ai reçu d’une ancienne patiente une carte postale représentant Ar-Men assiégé par les vagues. D et son compagnon sont à Camaret. Elle m’écrit que le ciel est aussi gris que la mer. Je lui réponds par retour du courrier et les compare tous deux à des personnages dans un roman de Simenon. Cet auteur prolixe m’a fait penser à notre ancien médecin traitant et ami parti vivre à Belle-Isle, puis à Cancale avant de se fixer en Vendée. Marc vouait un véritable culte à Simenon. A ses heures perdues, il aimait courir, cuisiner, aller à Drouot et dessiner. Je lui ai demandé s’il dessinait encore des poneys sauvages. J’avais consacré une chronique à Marc après qu’il ait quitté le village. Il m’a longtemps manqué. J’aimais aller boire un café chez lui même si ses deux perroquets du Gabon me faisaient un peu peur. La femelle était très jalouse et le mâle s’amusait à siffler tous les fonds de verre de vin. Il m’avait prêté sa thèse qui portait sur Céline, médecin sur le front pendant la Grande guerre. Quand Stéphane était en Roumanie et que Marc traversait des moments compliqués, nos deux solitudes dinaient ensemble une fois par semaine. Il garait sa vieille voiture devant la maison et s’amusait de ce qu’on allait dire que nous avions une aventure. Les gens pouvaient bien raconter ce qu’ils voulaient. Cela faisait rire Stéphane. Quand on est libre, on n’attache aucune importance à ce que les autres peuvent s’imaginer.

Tout à l’heure, j’ai demandé à Paul, notre ancien prêtre, de me redonner les coordonnées pour aller voir et entendre le cerf bramer. Comme il pensait y aller dimanche, nous nous y retrouverons peut-être. Paul est un prêtre chasseur. Il a été initié à la chasse par son père dés l’enfance. C’est un sujet que nous n’abordons pas. Le bouquet de glaïeuls que nous avions acheté samedi matin au marché avec Céleste est magnifique! Céleste a commencé sa nouvelle vie d’étudiante à Paris depuis lundi. Elle est enchantée!

Voici les brèves en direct du plateau que j’ai écrite ces derniers jours.

Dimanche: « Hier, quelle joie de voir Céleste et ses amies se retrouver et les entendre faire le récit des débuts de leur vie étudiante! Le matin, au marché avec Céleste, nous achetons des glaïeuls à un fleuriste hollandais qui porte un chapeau de paille et un grand tablier bleu. Notre père rapportait tous les samedis matins des fleurs à notre mère, souvent des glaïeuls. Dans les rues des hommes et des femmes déambulent dans des costumes vénitiens. Journées du patrimoine. Romane et Thaïs sont les premières à arriver. Elles préparent l’apéritif et décorent la maison. Plus tard, ce sont Lilia et Justine qui nous rejoignent. L’ambiance est légère. On dresse la table sur la terrasse. Les filles parlent de leurs cours magistraux, des TD, de la logistique du quotidien. Justine va à son école d’arts en trottinette électrique. Faire les courses et préparer les repas ne leur posent pas de problème. C’est Justine qui semble la plus heureuse dans son école. C’est une tablée d’artistes, de jeunes filles saines et enjouées. Céleste taquine son papa, dans l’Ain, qui prend la main sur Spotify nous donnant à partager les musiques qu’il écoute avec les membres actifs de l’association. Traditionnelle marche nocturne avec feu de camp et jambon grillé. Les bougies soufflées, le groupe se lance dans des jeux de société. Louis fait rire les amies de Céleste. La complicité entre Céleste et Louis est forte comme elle l’est avec Victoire qui est pour la première fois chez le papa de Louis. La pluie doit tomber dans les verres restés dehors. Je vais aller à la boulangerie et préparer la table du petit déjeuner. Demain matin, un peu avant 9h00, je verrai le train de Céleste s’éloigner depuis le quai. J’ai interdiction de pleurer…Bon dimanche à vous! »

Lundi: « Stéphane est parti à 6 heures pour la baie de Somme assister à l’inauguration d’une nouvelle maison de Vincent en présence d’Isabelle Carré et de Nicolas Hulot. Ensuite, il en profitera pour aller découvrir la réserve ornithologique et observer la colonie de phoques veaux marins. Cookie est rentré tout mouillé de sa virée nocturne. Fantôme a eu son morceau de beurre. Victoire peine à quitter la chaleur de son lit pour rejoindre l’internat. Le car passe à 7h09. Louis ne va pas tarder à émerger. Céleste peut se reposer encore. Son train est à 8h50. Son papa a mis dans son coffre ses affaires qu’il déposera demain chez ma soeur. La pluie noie le plateau. Les glaïeuls sont magnifiques! Tout à l’heure, sur le quai de la gare, avec Céleste, j’aurai l’impression d’être dans un film de Claude Pinoteau. Comme la maison sera calme! J’irai voir Muguette. Louis et moi dînerons en tête à tête ce soir. Une nouvelle vie commence pour nous tous. Passez une belle journée. La pluie fait le teint rose et frais! » « Fière de moi! Si je suis trempée comme la Bretonne essuyant un grain océanique, je n’ai pas pleuré. Des petites tracasseries ont fait diversion à l’émotion: travaux de voirie entravant la circulation, feux alternés et Céleste qui réalise qu’en changeant de portable, elle n’a plus le QR code de son pass sanitaire…Le chef de gare me rassure. Le pass n’est ps nécessaire à bord des Intercités. Je monte la valise. Céleste grimpe. Elle s’installe. Le train s’ébranle et le contrôleur soulève sa casquette et me fait un coucou de la main. Dans la voiture, je mets le chauffage à fond et France Gall me chante: « Viens, je t’emmène ».

Mardi: « A marche forcée, désormais, la nuit grignote le jour. Le matin, depuis Ar Men, je ne vois plus les contours du plateau. Le soir, avant 20 heures, plus de lumière naturelle. Ce raccourcissement des jours associé à l’entrée dans l’automne peut, cycliquement, fragiliser certains êtres. L’automne est la saison que j’aime le plus pour sa lumière dorée, la magie des couleurs des feuilles, les promenades en forêt et, pourtant, il n’est pas rare que je sois frappée par une sorte de mélancolie me conduisant à écouter en boucle l’adagio du concerto numéro 23 de Mozart interprété par Hélène Grimaud avant qu’elle ne renonce à sa carrière pour aller vivre au milieu des loups aux Etats-Unis. Hier, je n’ai pas vu Muguette et Pépette. Céleste a, avec sa tante, découvert son école et fait le trajet entre les deux bouches de métro. A peine rentrée, elle partait chez Margot et Antoine. La voici jetée dans ce bain parisien qui m’a procuré tant de bonheur. Hier soir, Louis et moi avons continué les aventures de Thor revues et corrigées. Cookie a eu la bonne idée de promener ses puces (avant que je lui injecte le produit) un peu partout dans la maison. Au réveil, j’ai saupoudré de bicarbonate de sodium tous les tapis et les canapés et mis à laver les plaids. Avec les enfants, jusqu’à l’entrée au collège, je luttais régulièrement contre les poux. Les puces prennent le relais. On n’est jamais tranquille!  »

Aujourd’hui: « A la première marche de l’automne, les feuilles ne se ramassent pas encore à la pelle et les violons ne sanglotent pas. Avec la timidité de jeunes épousées, elles se détachent des branches et se laissent voler jusqu’au pied des arbres. La pluie des derniers jours fait monter des bois l’odeur de l’humus. Les escargots de Prévert se sont mis en route. Fantôme et moi les croiserons peut-être tout à l’heure sur le sentier. La terre a été labourée. Quelques îlots de tiges rouge carmin témoignent encore des grandes étendues blanches des fleurs du sarrasin. Comme j’aime ce premier visage de l’automne qui court jusqu’à la Toussaint et meurt vraiment au 11 novembre: magie des couleurs, puissance de la nature qui va s’endormir après avoir brûlé de mille feux et douceur de la lumière. Hier, Muguette m’a dit que Simone, son amie qui lui achète des oeufs, m’attendait car elle avait des documents à me montrer. Vais-je devenir la mémoire du plateau? Quand je pense à notre père qui ne me quitte jamais depuis maintenant 22 ans, je sais qu’il aurait aimé cette campagne même si elle manque de légendes et de chemins creux et qu’il aurait passé des heures auprès de Muguette!  »

Depuis de longues semaines, je me réveille aux alentours de 4h30 et le contrôleur n’y est pour rien. Je reste étendue dans le lit et mon cerveau se met à écrire le texte qui viendra illustrer la photo que je posterai sur Instagram. Rien ne me procure plus de joie que d’avoir des messages des personnes (essentiellement des femmes) qui me lisent. C’est merveilleux de partager et d’échanger autour de thèmes qui nous concernent tous.

Stéphane est revenu très ému de sa journée passée à Mers-les-Bains à l’occasion de l’inauguration de la première maison de Vincent. Ce projet a été porté par l’amour et la persévérance d’Hélène Médigue dont le grand frère est autiste. Cette maison a pu voir le jour grâce à la fondation d’un homme merveilleux: Jean-Noël Thorel. Stéphane a échange avec ces femmes et ces hommes et découvert par quel parcours maltraitant ils étaient presque tous passés. La France reste ce pays qui n’arrive pas à affronter la différence qu’elle soit mentale ou physique. En Bretagne, autrefois, on noyait dans les puits les enfants handicapés et, dans les grandes familles, on dissimulait ces enfants qui risquaient de salir les blasons. Les allocutions d’Isabelle Carré (la marraine) et de Nicolas Hulot (le parrain) étaient très émouvantes. Vincent, le frère d’Hélène, fêtait son anniversaire hier. Stéphane lui a promis de revenir l’année prochaine pour son nouvel anniversaire. Une promesse est une promesse. J’aimerais que nous montrions à Louis le magnifique film « Hors normes » qui raconte l’histoire vraie de bénévoles accomplissant un travail exceptionnel avec des autistes dont les parents sont parfaitement démunis. Comme l’association n’est pas en règle, l’IGAS cherchera à les empêcher d’exercer. Vincent Cassel, Reda Kateb et tous les jeunes comédiens en herbe et autistes étaient fabuleux!

Je vous souhaite à toutes et à tous une belle entrée dans la magie d’un automne flamboyant!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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