Chronique pour les personnes souffrant d’un syndrome du départ

Il y a peu, je vous gratifiais d’une chronique capillaire. Les nuits dernières, je rendais un hommage vibrant à Brel en écoutant pousser mes cheveux, et songeais, déjà, à ce
long week-end qui se profilait. Quatre jours d’Ascension avec, normalement, une sorte de petit été sec au cœur d’un printemps  terriblement humide.

Pour la plupart des gens normalement constitués, les perspectives de départ sont toujours source de joie. N’est-il pas doux, en effet, d’appuyer sur le bouton pause, d’oublier les dossiers épineux, les rendez-vous tendus, les clients grincheux, de mettre du champ entre soi et une maison rimant trop souvent avec lessive, étendage, ménage, courses, cuisine et rangement en tout genre, bref, de s’offrir une immense respiration et un superbe lâcher prise ?

Bizarrement, pour quelques êtres curieusement constitués, forcément mal programmés dés la naissance, et souvent féminins, les départs créent une sorte d’état général proche de l’attaque de panique. Certains, au prix d’énormes efforts sur eux-mêmes, aidés en cela par leur psy, quand ils consultent, et leur conjoint, quand ils ne les ont pas usés, parviennent à rectifier le tir. Mais, l’angoisse ne disparaît jamais tout à fait. Les sujets souffrant du syndrome du départ parviennent, au mieux, à se dominer et à ne plus représenter ainsi une source chronique de contamination pour toute leur famille. Cette contamination psychologique, s’accompagnant parfois de signes physiologiques, peut atteindre les animaux. La littérature vétérinaire rapporte des cas de chiens s’installant dans les valises de leurs maîtres lors des veilles de longs week-ends et de départ en vacances.

Syndrome de départ et syndrome d’abandon sont, ici, étroitement liés. Le syndrome du départ s’inscrit totalement dans une démarche psycho généalogique puisque cette
angoisse sourde à l’idée de préparer un départ se transmet, le plus souvent, de mère en fille. Et, par un retour d’ascenseur, l’incapacité à comprendre cette angoisse féminine liée aux départs (et aux retours !) se transmet, de la même manière, de père en fils.

Face aux préparatifs de départ, dont l’angoisse explose tous les seuils d’alerte maximale quand il s’agit de vacances à la montage et que la famille est constituée de plusieurs enfants dont un nourrisson, les trop nombreuses victimes de ce syndrome ont plusieurs façons de procéder.

 Les premières voient large et s’y collent plusieurs jours avant, histoire d’être certaines de ne rien oublier. Elles ne travaillent pas sans filet. Elles ont des listes qu’elles font et refont, au fur et à mesure qu’elles les égarent, en des sortes d’actes manqués à répétition. Des listes longues comme la file d’attente à un péage sur l’A6, un jour de départ en
week-end. Des listes dont elles rayent, religieusement, tous les points. Biffer légèrement (quand tout commence à être sous contrôle) ou caviarder sauvagement (quand les choses se compliquent, quand le temps manque, que le mari s’impatiente ou panique à l’idée de ce coffre qu’il faudra charger !) les choses déjà faites, leur procurent une sorte de satisfaction qui les détend presque aussi sûrement qu’un anxiolytique léger, une demi tablette de chocolat noir, trois grosses cuillères de pâte à tartiner, un quart de tube de lait concentré sucré ou un martini blanc avec glaçon et lamelles de citron vert.

 Ces femmes-là aiment les valises. En général, elles comptent une valise pour le couple et une valise par enfant. La grosse valise du couple est, normalement, divisée en deux
parties égales. La partie dédiée à l’homme a, toutefois, tendance à déborder celle réservée à la femme. Pour le reste, (et il en reste !), elles raisonnent en sacs : un très grand sac pour les chaussures, un  grand sac encore pour les affaires de plage ou de montagne, un sac de taille intermédiaire pour la pharmacie, avec crème solaire, aspirine, paracétamol, pansements, désinfectants, collyre, pipettes de sérum physiologique, crème contre coups, anti-moustiques, mytosil et biafine,  un sac de taille variable pour les jouets
et peluches des enfants, un autre pour les affaires réservées au plus petit qu’il faudra changer et nourrir sur une aire d’autoroute, un minisac contenant trousses de toilettes et linge, pour une nuit et un jour, en cas d’arrêt sur la route des vacances, le sac spécial appareils photos, caméscope, DVD qu’on est toujours à un cheveu d’oublier, le lit-parapluie, la poussette, le porte-bébé et, enfin, les affaires de sport de monsieur pouvant aller du plus simple (des chaussures de footing) au plus encombrant (une planche à voile avec tout le nécessaire : chaussons et combinaison, harnais et gants). Quand j’écrivais cette chronique en 2009, ce n’était pas encore la mode du paddle!

Ces femmes-là rangent méticuleusement les affaires dans les valises et pensent bien à compter une culotte par jour, soient sept culottes et pas une de plus sauf si le confort moderne
ayant été oublié, il n’y aura pas de machine à laver le linge et qu’on part, donc, plus d’une semaine.  Pour les bébés, elles compteront deux bodys par jour et deux pyjamas. Si la famille est composée de deux garçons et trois filles, cela nous donnera un total de 21 culottes, sept caleçons, 14 bodys et autant de pyjamas !

D’autres femmes ont décidé de soigner leur angoisse du départ en lui consacrant un temps bref. Elles possèdent non pas des valises, mais des sacs de taille diverse longs et souples. Elles ne font pas de listes. Elles procèdent, sans filet, de manière presque instinctive. Un, elles règlent les instruments de navigation sur la position « pilotage automatique ». Deux, elles prennent une large respiration. Trois, elles ouvrent tiroirs et placards et entassent pêle-mêle, comme ça leur vient, tee-shirts, pantalons, jupes, robes, shorts, maillots, pulls,
vestes, serviettes et petit linge. Quatre,  elles s’interrompent pour respirer quand le sac est plein et qu’il devient presque nécessaire de s’asseoir dessus pour le fermer. Les sacs finis, entassés dans l’entrée, elles récapitulent mentalement ce qu’elles devaient emporter et concluent, philosophes, que ce qui a été oublié sera racheté sur place.

Enfin, une frange minime des angoissées du départ a la chance de ne rien emporter, hormis leurs enfants, leurs doudous, leurs animaux si elles en ont, leurs trousses de toilette et,
j’allais oublier, leur compagnon, car elles ont tout sur place dans une maison familiale de vacances, y compris les colliers de coquillages qu’elles fabriquaient enfants pour leurs mères, leurs jeux, tous leurs livres de la bibliothèque rose, verte et rouge/doré dont toute la collection des « oui-oui » écrit en énormes caractères, des « Fantômette », « club des cinq » et des contes et légendes des régions de France et des pays d’une Europe qui était encore loin de l’Union d’aujourd’hui. Dans ce groupe, certaines n’ont pas de maison de famille pleine de souvenirs avec une ribambelle joyeuse de cousins s’étalant de 3 à 15 ans, d’odeurs de confitures maison, de pain grillé et de greniers où il faisait bon se cacher entre un nid d’hirondelle et quelques toiles d’araignée, mais des revenus leur offrant les moyens de partir les mains dans les poches, dans un hôtel très luxueux, situé sur un point du globe couru mais pas dénaturé, offrant tous les services que des parents fatigués peuvent espérer pour redevenir un couple amoureux.

 Dans tous les cas, les angoissées du départ anticipent toujours sur le retour. Un bon départ, c’est un retour réussi. Cela veut tout simplement dire que le « calme, luxe et volupté » des vacances ne sera envisageable qu’à condition que règne à la maison un « ordre et propreté ». Impossible de rentrer dans le processus difficile du lâcher prise ordonné par la meilleure amie, en une cure d’au moins sept jours, si on ferme la porte sur un taudis. Donc « chaque chose a sa place et chaque place à sa chose ».

Dans tous les cas, aussi, les compagnons s’affoleront devant la masse compacte de contenus à faire tenir dans le contenant pourtant grand de la voiture. On vous reprochera, forcément, de ne pas savoir vous limiter quand, souvent, vous êtes celle qui emporte le moins de choses. Que comptent, en effet, vos deux maillots, votre épilady favori et ces quelques romans qui traînent depuis Noël dernier sur votre table de chevet et dont vous n’avez jamais pu ouvrir la première page, en comparaison des appareils hyper sophistiqués en tout genre sans lesquels votre compagnon ne saurait vivre, d’une mallette de boules de pétanque de compétition, de raquettes de tennis, d’un sac de golf, de la planche à voile et de  tout ce qui va avec ?

Comme de bien entendu, c’est quand votre mari aura fini de trouver une place au dernier sac, qu’il réalisera qu’il a oublié la poussette du dernier ou que votre fille se précipitera vers son père en le suppliant, les yeux humides, les lèvres tournées en un beau chapeau de gendarme, de retrouver LA chaussure à talons rouge, de sa polly pocket brune, qui doit forcément être dans le sac des jeux et peluches. Si le père est de bonne composition, il s’exécutera  tout en marmonnant dans cette grosse barbe qu’il ne possède pas (encore, le confinement n’est pas encore passé par-là), surtout s’il a l’intégralité du coffre à vider, pour caser la poussette tout terrain qui n’a jamais roulé sur le moindre grain de sable mais
prend une place folle.  En revanche, s’il est de mauvaise humeur, contaminé qu’il est, le pauvre, par la vôtre, il enverra bouler la fille et la poussette, la polly pocket brune et la fameuse chaussure rouge et pestera longuement sur l’industrie du jouet, assez perverse, pour concevoir des poupées, dont les pieds mesurent quelques millimètres de caoutchouc.

Que l’humeur soit légère ou plombée, que vous puissiez entendre un cheveu pousser sur la tête du petit dernier ou que, à la demande répétée de vos filles, Michaël Jackson fasse
résonner son « wonna be startin somethin », avec ses dernières notes empruntées à un compositeur africain, vous partirez. Les premiers kilomètres passés, vous sentirez votre corps se détendre et votre esprit cessera de chercher ce qu’il aurait oublié de faire ou d’emporter. Vous pourrez mesurer du degré de lâcher prise atteint quand, au bout d’une grosse demie heure, les panneaux de l’autoroute se mettront au rouge pour annoncer le premier ralentissement de la journée.

Alors, bons préparatifs et bon week-end.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

 

 


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