Chronique électorale et psychomagique

Le 21 avril 2002, c’est le choc quand les visages de Jacques Chirac et de Jean-Marie Le Pen se dessinent sur les écrans français. La seule qui, en fine observatrice de la vie politique a vu les choses arriver, c’est Bernadette Chirac. Elue en Corrèze pendant plus de trente ans et très investie dans la vie associative, elle sait prendre le pouls de l’hexagone. Quand elle a prophétisé un duel Chirac/Le Pen, tout le monde a ricanné. Ce soir-là, je doute qu’elle ait été heureuse d’avoir eu raison! Ce soir-là, on sent que quelque chose cloche et que la France se craquelle. On en appelle à l’union sacrée contre l’extrême droite. Pour autant dans les QG des grands partis on n’essaie pas de comprendre la portée de ce vote, ce qu’il exprime de perte de confiance, de peur en l’avenir, d’inégalités qui se creusent, de ruralité laissée en jachère, de difficulté à vivre ensemble. Ce vivre ensemble que seules les victoires en coupe du monde de football semblent rendre possible!

En 2002, cela fait déjà presque 3 ans que notre père est mort. Il me manque car j’aurais aimé savoir ce qu’il pense de notre pays, de la manière dont il faudrait le gouverner car notre père, fidèle, trop fidèle serviteur d’un Etat trop souvent ingrat avec ses plus bons soldats avait une vision. Il est parti trop vite et je me rends compte avec les années qui défilent et me rapprochent de l’âge qu’il avait quand il est mort que tout un pan de lui m’a échappé et que nous avons vécu à côté d’un homme dont nous ignorions beaucoup de choses. Il parlait peu de son métier. Il n’échangeait pas sur son mal-être. Il est mort à une époque où je le questionnais peu. Quand, finalement, ai-je vraiment commencé à questionner ma famille? Je questionnais les liens qui m’unissaient à elle mais je ne savais presque rien de la vie de notre père. J’ai des bribes d’informations avec lesquelles je peine à dessiner un portait entier. Le personnage reste morcelé. Je trouve et je cherche mon père dans les lettres qu’il envoyait à sa Sainte Trinité au féminin, les films ou les romans qu’il aimait.

Des chocs, nous en auront d’autres: 23 avril 2017. Face à Macron, Marine a remplacé son père. La France est triste mais, déjà, il semblerait qu’elle s’habitue…20 ans qu’on nous explique qu’un jour, forcément, notre pays sera dirigé par un représentant de l’extrême droite. On l’aura bien mérité! 10 avril 2022, comme une impression de déjà vu. Le duel de 2017 se rejoue. Jean-Pierre Mélenchon n’est pas passé loin de la seconde place. Vite son état-major et celles et ceux qui ont voté pour lui se consolent: c’est une victoire et son score pèsera lourd lors des prochaines législatives. Sur un plateau de télévision, Bruno Lemaire tient des propos désinvoltes qui appuient sur cette France fracturée dont est sorti le mouvement des Gilets jaunes. Tout le monde se met vite en ordre de bataille pour contrer Marine Le Pen de manière et invite à voter pour Macron de manière plus ou moins sibylline. Ne pas donner une voix à Marine Le Pen cela peut vouloir dire ne pas voter ou voter blanc. Chacun reste libre d’interpréter les choses à sa manière.

Dimanche, il faisait un temps magnifique et quand il fait un temps magnifique on ne peut pas penser que les choses pourraient aller mal. Quand notre père s’est éteint sur un lit en réanimation à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, c’était un dimanche et le ciel était bleu comme dans une toile de Klein. Je me suis dit qu’on ne pouvait pas mourir par une si belle journée! Le matin, j’avais rejoint ma soeur et celui qui deviendrait son mari et le père de ses trois enfants dans un restaurant pour un brunch. Je portais un tailleur orange que notre grand-mère m’avait offert. Je le porterai à nouveau pour l’incinération au Père-Lachaise et la mairie quand Stéphane et moi nous dirons civilement oui. Ce n’est pas moi qui porte ce tailleur mais sa couleur orange!

Dimanche, le plateau est givré quand je pousse les volets sur un ciel azuréen. Stéph met sa ceinture lombaire. J’enfile ma grosse doudoune. Céleste, du fond de son lit, m’annonce qu’elle ira voter plus tard. Victoire va partir retrouver son Louis à Tours après trois semaines de séparation. Avec Fantôme, nous marchons jusqu’à la mairie qui se situe au coeur du village en empruntant un chemin qui passe au travers des champs. Je l’avais nommé le « chemin rigolo » car il faisait remuer ma vieille Golf et les enfants à bord comme si tous étaient en proie à une attaque de chatouilles. Personne à la mairie. Sous l’ère Covid, les élections se déroulent à la salle des fêtes où nous avons entendu les enfants chanter et assisté à des lotos organisés pour l’APE. Une année, même, j’étais sur scène et je dévoilais les numéros.  Stéph va voter en premier tandis que je reste au soleil avec Fantôme et bavarde avec des amis ou des inconnus. Stéph prend ma place. Notre maire qui se relève doucement du Covid va et vient sans masque pour donner l’exemple ou pour montrer qu’il n’a pas peur? Plus tard, Louis conduit en moto sa soeur jusqu’au bureau de vote.

Les enfants sont en vacances. Céleste, elle, ne le sera que dans quinze jours. Hier, après avoir déposé les filles à la gare pour le train toujours bondé de 7h20 et avoir eu la joie d’embrasser Louis venu tel un chevalier des temps modernes dire au revoir à Victoire, je suis rentrée à la maison et ai regardé les scores obtenus par les candidats dans notre village. Comme à chaque fois, c’est Marine Le Pen qui fait la course en tête avec 37,51% des voix. C’est de la France rurale qu’est parti le mouvement des Gilets jaunes. Une France où on ne peut pas vivre sans voiture et donc sans carburant…Une France qui, trop souvent, se sent ignorée ou prise de haut par les élus depuis Paris ou les Parisiens des maisons de campagne. Une France qui se lève tôt. Une France un peu déboussolée. Je viens d’entendre la dernière chanson de Bigflo et Oli. Les paroles sont magnifiques et donnent vraiment à réfléchir. Elle s’intitule « Sacré bordel » et est un hommage fort rendu à notre pays et à toutes celles et tous ceux qui la composent et la font vivre.

https://www.youtube.com/watch?v=DjTfjqp83Rw

Samedi, la maison affichera complet pour Pâques. Samedi soir, nous assisterons à la veillée pascale dans l’église où Victoire et ses camarades ont été confirmés en novembre dernier. C’est la plus belle messe de l’année! Toujours si émouvant le baptême d’adultes. Dimanche matin, nous serons heureux de voir Charlotte chercher les oeufs dans le jardin! Elle trouvera aussi un joli livre (cadeau de sa grand-mère) et un kiki avec un ciré jaune (cadeau de sa tata Lolo).Dimanche soir, les cousins et Louis iront certainement se promener à la nuit tombée et allumer un feu tout en buvant le cidre breton que j’ai acheté surtout pour Valentin. Souvenir de nos vacances dans le Finistère!

Samedi dernier, Céleste s’installe avec moi sur le vieux canapé de la mezzanine et, ensemble, nous regardons un film fabuleux: « Psychomagie. Un art pour guérir » d’Alejandro Jodorowsky. Quelque part, son nom avait été se nicher dans mon cerveau mais je ne savais presque rien de cet homme absolument fabuleux dont j’ai envie de vous parler maintenant. Ce sera forcément une approche encore superficielle. Je viens de commander trois de ses livres. Je pourrai alors mieux cerner le personnage et son travail.

Alejandro Jodorowsky est le fils d’émigrants judéo-russes exilés au Chili. Il est né en 1929 à Tocopilla. Agé de 5 ans, il a peur que la nuit le dévore. Sa mère accourt avec des boites de cirage noir. Elle enduit les corps nus. Ils sont désormais intégrés à la nuit. Plus de raison d’avoir peur. La mère et le fils dansent dans la nuit et la joie. Je me suis demandée comment la mère de Jodorowsky avait eu cette idée géniale et j’ai pensé que cette femme qui devait être née en Russie à la fin du 19ème siècle était étonnamment libre! Cet évènement est le point de départ de la psychomagie avec l’histoire que Cristina, employée de ses parents, lui avait racontée s’agissant d’un poulet amputé de sa moitié qui s’était reconstitué dans la nuit après avoir rencontré un autre demi-poulet. Les contes jouent un rôle central dans la pensée de Jodorowsky. La psychomagie est donc en lien avec les récits, les contes et leur pouvoir magique. Il quitte sa famille et le Chili en 1953 et intègre en France la compagnie du mime Marceau pour qui il crée des pantomimes. En 1962, avec Roland Topor et Fernando Arrabal, il fonde le groupe « Panique » qui est un mouvement artistique qui veut aller plus loin que le surréalisme.

https://www.youtube.com/watch?v=UdhLi-O3qmA

En 1965, il part au Mexique où il va bousculer la scène artistique en créant le théâtre d’avant-garde de Mexico et en réalisant trois de ses films Frando et Lis, El Topo et La Montagne sacrée qui vont le rendre célèbre dans le monde entier. En 1973, il est de retour en France et décide d’adapter le roman Dune de Franck Herbert. Si le projet n’aboutit pas, il va influencer le cinéma de science fiction. Alien et Star Wars lui doivent beaucoup. A partir de 1978, il s’associe au dessinateur Moebius et tous deux vont donner vie à une série devenue culte L’Incal. Suivront d’autres séries de BD. N’étant pas attirée par la BD, je n’en ai lue aucune.

https://www.youtube.com/watch?v=0PXRGdb_idw

En 2013, son film autobiographique La danza de la realidad présentée à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, il retrouve le septième art qui est pour lui l’art le plus complet car il englobe tous les autres. En 2016, la suite de ce film Poesia sin fin est aussi projetée à Cannes. Depuis plus de dix ans maintenant sa femme Pascale Montandon-Jodorowsky et lui ont crée une oeuvre picturale à quatre mains qu’ils signent pascalALEjandro. Il est aussi l’auteur de pièces de théâtre, de romans, d’essais et de recueils de poésie. Il est reconnu pour sa maitrise du Tarot de Marseille qu’il utilise dans ses consultations gratuites débouchant sur la prescription d’un acte de psychomagie.

https://www.youtube.com/watch?v=OuG5TMC_HFo

Le film Psychomagie, un art pour guérir est le musée vivant de Jodorowsky dans le sens où l’artiste a choisi des moments issus de 50 ans de films mélangeant moments de ses oeuvres de fiction, interventions publiques, extraits de ses livres. L’acte psychomagique que prescrit Jodorowsky a celui qui le consulte est toujours théâtralisé car « le théâtre est un langage artistique que comprend notre inconscient ». Pendant de longues années, Jodo comme ses fans l’ont surnommé tirait gratuitement les cartes dans des cafés parisiens. La seule chose qu’il demandait en retour, c’était que celui qui l’avait consulté lui raconte comment il avait mis en oeuvre l’acte de psychomagie et ce que cela lui avait apporté. Dans ce film, une scène m’a particulièrement touché. Il s’agit de l’aide que l’artiste a apporté à une femme âgée en proie à une dépression profonde. Jodo l’a amenée à comprendre que sa souffrance était en lien avec son égoïsme. Elle ne savait pas donner aux autres. Il lui a offert d’aller nourrir en eau un arbre du jardin des Plantes près de chez elle pendant 21 jours. Il a su qu’elle avait trouvé une forme d’apaisement. Sachant que par le passé; elle avait suivi ses cours de tarot, il lui a suggéré de lire aux gens les cartes autour d’elle pour les aider.

Je me sens proche de la manière dont Jodorowsky se propose d’aider celles et ceux qui souffrent. Très vite, il fait le lien avec les parents et donc l’enfance. Il représente un arbre généalogique. Il propose un acte qui permet de se libérer du passé. Il est profondément bienveillant et, jamais, il ne cherche à dominer l’autre. Il est encore et toujours en quête de nouveaux savoirs. Il avait été très marqué par sa rencontre avec une femme chaman et magicienne, Pachita. Elle lui avait dit ne pas sauver les gens mais les aider à se réaliser. Il est essentiel que le thérapeute ne se prenne pas pour Dieu! Je l’ai souvent écrit mais dans ma pratique, je me vois comme le bain dans lequel le photographe plonge son papier pour que les couleurs se révèlent. Dans ma pratique, je n’ai pas le droit de la faire mais j’aime la manière dont Jodorowsky prend les gens dans ses bras, les serre, les masse, les embrasse et les accouche une nouvelle fois. C’est tellement puissant! Parfois, la seule chose dont un être en souffrance a besoin, c’est d’être enlacé. Certains enfants n’ont jamais été portés, touchés, caressés. Ils peuvent grandir sans connaître les contours de leur corps, sans avoir de ressenti physique. Alors, la réparation va passer par le toucher. Encore faudra-t-il que la personne arrive à se laisser aller entre les mains de celle ou de celui qui le touchera et lui donnera à apprivoiser une partie de lui-même vécue comme une terre inconnue.

Stéphane m’a proposé d’avoir un podcast. J’ai toujours été tentée par la radio qui demeure le médium que je préfère. Je vais lister les sujets qui me passionnent et les personnes que j’aimerais rencontrer. Alejandro Jodorowsky, Edgar Morin et Philippe Charlier me viennent tout de suite à l’esprit. Ce dernier a vécu une expérience inédite avec un maitre vaudou au Bénin. Il est mort à lui-même et ce qu’il perçoit du monde depuis sa re-naissance est incroyable! Ce maitre vaudou était reçu le week-end dernier au musée du quai Branly. J’aimerais aussi rencontrer l’ancien médecin, chanteur, compositeur et musicien Ben Mazué. Je l’ai découvert tout à fait par hasard et je suis entrée tout de suite dans son univers.

Belle Semaine Sainte à vous tous! Le mystère est partout!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner, sophrologue en sabots

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