Chronique des héritages familiaux autour de Françoise Dolto

Récemment, j’écrivais que si je n’étais pas obligée de travailler comme ce fut durablement le cas de notre mère qui vivait du capital que lui fournissait le portefeuille d’actions hérité à la mort de son grand-mère paternel, je passerais mon temps à rencontrer des personnes pour archiver leurs souvenirs. Je suis fascinée par des choses qui peuvent laisser les autres indifférents: les lieux de naissance, les métiers exercés par les grands-parents, les conditions de la rencontre avec la compagne ou le compagnon, l’univers dans lequel vivent les gens, les objets qui les entourent, les albums photos. Tout ce qui raconte les êtres sur plusieurs générations me passionne!

Cette passion vient de nos parents qui aimaient l’Histoire et les petites histoires qui font la grande. Ils aimaient aussi beaucoup la généalogie. Dés l’âge de sept ans, notre père allait dans les mairies et les cimetières pour reconstituer l’arbre généalogique de sa famille. Quand il a rencontré notre mère, il s’est plongé dans son histoire familiale et a réussi à remonter en ligne directe jusqu’à Saint Louis. Toutes ses notes sont archivées dans des boites rangées dans des armoires dans la bonne et vieille maison de Pont-Saint-Esprit. Cette maison est un véritable mille-feuille puisqu’elle sert de dépôt aux souvenirs de plusieurs générations. La maison a été acquise par le grand-père paternel de notre grand-mère maternelle. Il était confiseur et traiteur. Il expédiait ses chocolats du Gard jusqu’en Belgique. Au moment des coups de feu ( avant Noël et avant Pâques), ses fils étaient réquisitionnés pour lui venir en aide. Notre arrière grand-père, agrégé d’allemand et proviseur, découpait des rubans de guimauve. La plaque de marbre utilisée pour le chocolat est dans la cuisine et, dans le petit salon jaune, on peut trouver des moules en étain qui servaient à fabriquer les chocolats de Pâques. Cette maison est absolument fascinante pour tous les trésors familiaux qu’elle recèle. Quand notre maman ne sera plus là pour nous raconter l’histoire des personnes et des objets, le temps sera alors venu de tout écrire avant que cela se perde et, forcément alors, la vérité sera déformée.

Un jour, je ferai une nouvelle d’une histoire étonnante qui est arrivée dans notre famille maternelle et dont la trace est conservée à Pont. Peu de temps avant la déclaration de guerre de 1914, notre arrière-arrière-grand-père (celui qui avait fait l’acquisition de la maison) avait envoyé à son fils et sa belle-fille qui vivaient dans l’Est (notre arrière-grand-mère était vosgienne) des cailles et une lettre. Les cailles étaient arrivées sans la lettre. 50 ans plus tard, un cousin ou neveu de notre arrière grand-mère, pharmacien, tombe, dans le journal local, sur un article racontant comment une lettre écrite en 1914 avait été retrouvée dans une boite aux lettres. C’était la lettre qui accompagnait les cailles! Elle a finalement pu arriver à ses destinataires qui vivaient désormais à Paris depuis les années 30. Notre arrière grand-père avait été proviseur des lycées Janson-de-Sailly et Carnot pendant la seconde guerre mondiale. A la retraite, il avait acheté un appartement rue Margueritte, non loin du parc Monceau. C’est dans cet appartement que notre maman a grandi avec notre grand-mère. Elle a quitté son quartier en se mariant en 1964.

Nos parents se passionnaient pour la généalogie. Notre mère espérait que notre père réussirait à percer le mystère entourant la naissance des parents du grand-père paternel de sa grand-mère paternelle. Né de parents inconnus, il avait été élevé par une Alsacienne installée à Paris avant la guerre de 1870. On pense qu’elle avait été à la tête d’une maison de tolérance avant d’être officiellement entretenue par un monsieur certainement fortuné. En dépit de toutes les démarches entreprises, notre père n’a jamais réussi à trouver les noms des parents de cet aïeul de notre mère. On sait qu’il a été très richement doté par sa mère adoptive lors de son mariage et qu’il a fait carrière au sein d’une banque dont il était, au moment de sa faillite, fondé de pouvoir. Je me suis demandée si son père n’aurait pas pu être le banquier qui l’avait fait entrer dans sa banque et avait permis sa réussite. Un portait de madame Kuntz qui avait élevé Lucien Dumesnil ou du Mesnil se trouvait chez une cousine de notre grand-père maternel, Françoise, une femme remarquable, docteur en droit et en psychologie, devenue graphologue et qui, peu de temps avant de mourir continuait de passer des diplômes notamment en PNL ou en ennéagramme.

Françoise a joué un rôle important dans le parcours de ma soeur qui, très jeune, est devenue graphologue et aurait dû reprendre la clientèle de Françoise. Cette dernière avait pour client important le laboratoire Fabre. Elle a fait mon analyse graphologique et celle de Stéphane. Elle complétait l’analyse en soumettant ses patients au test de Szondi du nom du médecin, psychopathologiste hongrois et fondateur de la psychologie du destin. Le test consiste à demander à la personne de former des couples avec des photos représentant des hommes et des femmes dont on ignore qu’ils étaient tous internés dans des asiles. Les photos provoquent des réactions fortes de rejet ou d’empathie. Ce test requiert une très grande expérience pour pouvoir procéder à une analyse juste du sujet testé. Françoise recourait à ce test pour en croiser le résultat avec celui de son analyse graphologique. Pour Françoise, ma personnalité était proche de celle de Beethoven et celle de Stéphane de Moïse. Imaginez un instant Moïse essayant de faire avancer Beethoven dans un désert à destination de la terre promise…Un sacré défi! Parfois, je me demande si ce plateau n’est pas le désert dans lequel Moïse a fait marcher son peuple pendant 40 ans!

A cette passion que nos parents portaient à la généalogie, j’ai rajouté la dimension psychologique. J’aime particulièrement cette première séance qui consiste pour moi à aider la personne qui vient me voir à se replacer dans son histoire familiale. Nous pouvons remonter assez loin pour chercher le point de départ d’une névrose qui, ensuite, va se transmettre d’une génération à une autre. Il arrive toujours un moment où un membre de la famille décide de mettre un terme à un schéma reproductif. Il a ce courage de renoncer à la partie douloureuse de son héritage. Il doit comprendre alors que renoncer à cette névrose ne veut pas dire cesser d’aimer celle ou celui qui voulait nous la transmettre. Ce n’est pas « trahir » sa famille. Pour être heureux, il importe de séparer le bon grain de l’ivraie. Si on a des parents trop pathologiques, on doit aussi pouvoir continuer sa route sans eux. C’est un travail très difficile car les parents pathologiques exercent une emprise très forte sur leurs enfants. Le pire: les parents aimants un jour et rejetants un autre! Comment se séparer d’eux si, parfois, ils savent aimer?

Hier, à la médiathèque, j’ai découvert tout à fait par hasard un livre dont je n’avais jamais entendu parler « Françoise Dolto. Archives de l’intime ». La quatrième de couverture que je recopie pour vous m’a tout de suite donné envie de glisser cet ouvrage dans mon sac.  » La publication de ces archives marque un moment décisif dans la vie posthume de Françoise Dolto (1908-1988). Dans sa préface, sa fille Catherine, exécutrice testamentaire, revendique la place d’ayant droit /ayant devoir et revient sur la relation mère-fille, placée sous le signe de l’amour et de l’échange. Avec ses frères, elle a choisi, pour le centenaire de la naissance de Françoise Dolto, le 6 novembre 2008, de mettre à la disposition de ses lecteurs un impressionnant fonds d’archives personnelles que Françoise Dolto avait conservées et organisées: journaux intimes, correspondances, dessins de jeunesse, manuscrits scientifiques, agendas quotidiens, albums de photographies, objets familiers, journal de naissance des enfants, dessins commentés de ces derniers… Dévoilées, retranscrites, ces archives permettent de dresser un portrait inattendu, accompagné de fragments d’un récit autobiographique inédit, au cours duquel Françoise Dolto commente son itinéraire personnel et sa vie intime. Le personnage de Boris Dolto, Russe de Crimée émigré, médecin fondateur de la kinésithérapie en France, apparaît ainsi à ses côtés comme compagnon essentiel d’une vie consacrée à saisir l’énigme de la maternité et de l’éducation et, au-delà, de la construction du sujet humain. L’ordre choisi par Yann Potin, historien et archiviste, est à la fois chronologique – l’enfance, les études, la rencontre de la psychanalyse et de l’amour, la maternité – et thématique – les signes d’identité, le corps et ses empreintes, la transmission familiale, l’écriture de soi, les origines imaginaires du moi. Les précieuses contributions de Muriel Djéribi-Valentin et de Jean-Pierre Winter, familiers de l’œuvre, éclairent l’originalité de la pensée. Manon Pignot revient, quant à elle, en historienne, sur « l’enfance en guerre » de la jeune Françoise. L’ouvrage décline ainsi les différentes strates de la mémoire, à la recherche des traces de la vie intérieure au sein des documents d’archives rassemblés. Le travail scientifique de Françoise Dolto et sa pratique si singulière, l’expérience de la vulgarisation et de la médiatisation sont abordés à partir de ce paysage intérieur, comme une quête de l’universel et de l’altérité. »

Depuis hier, je me plonge avec bonheur dans ce livre puzzle fait de photos, de lettres, de dessins et d’apports de celles et de ceux qui ont aimé Françoise Dolto. La plupart des psychanalystes ont en commun d’avoir vécu un traumatisme dans leur petite enfance, voire dés leur naissance et même in utero, parfois réactivé plus tard et que l’analyse leur permettra de comprendre et de soigner. La guérison n’est pas oubli mais acceptation de ce qui a été vécu et de ses conséquences. Françoise Dolto manque mourir à l’âge de huit mois après que ses parents aient renvoyé sa nurse irlandaise qui emmenait le bébé dans une maison close de luxe qu’elle fréquentait et où elle participait à des fêtes orgiaques et s’approvisionnait en cocaïne. Sa mère sauve son enfant en la tenant dans ses bras pendant 24 heures. Françoise a-t-elle alors senti que l’amour de sa mère pouvait suppléer celui que lui portait la jeune fille irlandaise?

Françoise dite « Vava » est la quatrième d’une fratrie qui compte sept enfants. Elle grandit dans une famille bourgeoise entre deux parents musiciens qui aiment organiser des soirées très joyeuses. Le 6 juillet 1916, son oncle maternel et parrain, celui qu’elle nomme son fiancé tombe au front. Elle se croit obligée de porter le deuil. Elle se sent veuve de guerre à huit ans. C’est à cet âge qu’elle exprime son désir de devenir médecin d’éducation. Le 30 septembre 1920, Jacqueline, la soeur ainée de Françoise qui, physiquement, est très différente et que les parents adulent, meurt d’un cancer à l’âge de 18 ans. Deux mois avant le décès de Jacqueline et à la veille de sa première communion, sa mère lui demande de prier pour sa soeur en précisant qu’il n’y a rien de plus pur que la prière d’un enfant qui va faire sa première communion. Cette prière n’empêche pas Jacqueline de mourir. Suzanne, la mère, culpabilise Françoise lui reprochant de ne pas avoir su prier, refuse de la voir et lui reproche de ne pas être morte à la place de Jacqueline.

Après la mort de Jacqueline et pour sortir Suzanne de la dépression profonde dans laquelle elle a plongé, on suggère à Henri, le père, d’avoir un autre enfant. Pendant toute la grossesse, Suzanne espère mettre au monde une fille qui soit la copie conforme de Jacqueline mais c’est un fils qui voit le jour et qui ne ressemble pas à sa grande soeur. Contre la volonté de sa femme, André donne au bébé le prénom de Jacques. Françoise se réfugie dans les études. Sa mère met tout en oeuvre pour l’empêcher de passer son bac à l’âge de 15 ans et d’entreprendre des études de médecine. Elle ne s’incrira en première année de médecine qu’à 25 ans. Prise au piège de cette culpabilité qu’elle éprouve depuis la mort de sa soeur, elle ne va pas bien du tout et c’est son père qui lui suggère d’entamer une psychanalyse. Celle-ci durera 3 ans. Dans les années 30, la psychanalyse est encore très marginale et, en France, on ne compte que douze psychanalystes! Pendant ses stages, elle est horrifiée parce qu’elle découvre de la prise en charge psychiatrique des adultes et en conclut qu’il faut se pencher sur les troubles des enfants avant qu’ils ne dégénèrent vers des états dont on ne revient plus. Françoise Dolto va faire une rencontre décisive, celle du psychiatre et psychanalyste Sophie Morgenstern. C’est une pionnière de la psychanalyse de l’enfance en France. Elle charge Françoise Dolto d’écouter les enfants. A partir de ce moment-là, elle ne dissociera plus pédiatrie et psychanalyse. Françoise Marette se marie en 1942 avec Boris Dolto. Il est médecin rhumatologue, fondateur d’une nouvelle méthode de kinésithérapie et d’une école de podologie. Tous deux se sont aidés l’un l’autre dans la compréhension de leurs patients. Ils ont formé un couple très uni. Voici l’une des lettres que Boris Dolto avait écrites à sa femme et qu’elle emportait partout avec elle. Françoise Dolto s’est attachée à montrer l’importance de la parole dans les échanges entre les adultes et les enfants et ce, dés la naissance. Le bébé est un être qui a besoin de caresses et de paroles. Françoise Dolto n’a pas toujours été comprise. Sa pensée a pu être déformée. Ainsi, toutes celles et tous ceux qui l’ont taxé de plaider la toute puissance d’un enfant devenu roi se trompent. Ecouter ce qu’un enfant a à dire, nouer avec lui de vrais échanges, cela ne veut pas dire ne pas donner un cadre solide, dire « oui » à tout. C’est le cadre associé à une parole à la fois ferme et assurée qui donne confiance.

Quelques flocons flottent encore au-dessus du plateau. Ma patiente de 18h00 vient de m’écrire qu’elle était positif au Covid. Louis, ce matin, est parti passer les épreuves de sa seconde journée de brevet blanc. Sur le balcon, des moineaux se chamaillent autour des boules de graisse. Je les devine un peu déboussolés par la neige et le froid. Le chat dort sur le lit de Victoire et Fantôme est heureux d’avoir vu Muguette à laquelle Eugène a fait un poisson d’avril. Il lui a fait croire que ses poules et son coq étaient dans le potager. J’ai vu Muguette sortir de chez elle précipitamment sans son bonnet bleu marine vissé sur sa tête. Eugène riait comme un enfant. C’était la première fois qu’il réussissait à piéger Muguette! Muguette avait oublié que nous étions le 1er avril!

Je termine ma chronique avec l’épitaphe que Françoise Dolto avait choisi: « Françoise Dolto, entrée désespérée, sortie joyeuse ».

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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