Chronique d’un été en approche

Depuis quelques jours, la piscine a repris du service. L’eau affiche 22°. Dés qu’elles le peuvent, les filles enfilent leur maillot de bain, s’enduisent de crème solaire et vont se faire bronzer dans le jardin. J’aimerais sentir chez notre aînée plus de motivation s’agissant de la révision de la philo. Je devine son esprit en vacances et, manifestement, elle n’est pas la seule élève de terminale à avoir du mal à se mettre au travail. L’annonce que des deux notes de philo (celle du contrôle continu et de l’épreuve du 17 juin) la meilleure serait conservée n’encourage pas les élèves à mobiliser leurs forces.

Quand les enfants étaient plus jeunes, j’avais toujours le sentiment que le temps accélérait brutalement au mois de juin. On passait des galas de gymnastique ou de danse à la remise d’une nouvelle ceinture de judo et d’un spectacle de chant à la fête de l’école organisée sur deux jours. Les enfants revenaient de l’école avec de grosses enveloppes cartonnées contenant tous les dessins et coloriages faits en classe ou à la garderie. Il y avait aussi la liste des fournitures scolaires que je mettais sur la porte du réfrigérateur ou que je suspendais à un fil au-dessus de l’évier de la cuisine.

Avec les années, tous ces temps forts ont disparu. Notre aînée se demande où elle ira vivre à la rentrée et comment elle fêtera son bac et ses dix-huit ans. Notre cadette n’est presque plus jamais là le week-end. Quand elle est venue au monde, sa tante, ma soeur, qui excelle en astrologie, nous avait prévenus: Victoire quitterait le nid de très bonne heure. Louis, de son côté, rejoint sa petite bande d’amis dés qu’il le peut pour des sorties en vélo et des bains dans la rivière avec pique-nique.

A la rentrée, Céleste sera à Paris et Victoire à l’internat avec deux de ses amies. Céleste pourra assez facilement rentrer le week-end et Victoire pourra revenir du mercredi au jeudi et les fins de semaine. Victoire transportera son sac de linge sale qu’il conviendra de laver et de repasser dans les meilleurs délais. J’imagine que Victoire sera souvent tentée d’aller rejoindre sa soeur à Paris. Je me demande comment nos deux filles si complices vont vivre leur séparation. Et Louis, que ressentira-t-il? Souvent, le soir, le trio dispute des parties de cartes sur la terrasse ou part se promener autour du plateau. Mêmes si les frictions peuvent être fortes entre Céleste et Louis, ils demeurent très proches. Que vais-je éprouver quand les chambres des filles seront inoccupées, que le lit de Céleste ne disparaitra plus sous une montagne de vêtements, que je n’aurai plus à ramasser les chaussettes si souvent amputées de leur moitié, que les serviettes ne formeront plus des boules mouillées et que les rouleaux de toilettes vides ne serviront plus de déco minimaliste?  J’essaie de me concentrer sur le temps que je ne passerai plus à trier du linge, à mettre des machines en route, à en étendre le contenu et à le repasser. Je pense aussi à toutes ces navettes entre la maison et le lycée que je ne ferai plus. Comme ce sera étrange de faire désormais majoritairement des courses pour trois!

Les enfants qui n’auraient raté pour rien au monde une fête de l’école, jouaient à se courir après pour s’asperger avec des pistolets à eau, se concentraient sur la pêche au canard, se laissaient glisser le long de structures gonflables et patientaient pour monter sur le dos d’un poney sont des adolescents heureux et amoureux qui aspirent surtout à profiter de leurs amis et nous en veulent de ne pas leur laisser la maison pour y organiser des soirées.

Encore une année sur le plateau, la fin du collège pour Louis et nous aimerions trouver une maison avec jardin en ville. La semaine dernière, Sandrine, la présidente de la FCPE, nous recevait dans la maison en plein centre-ville que des amis partis travailler à Marseille lui prête en attendant que les travaux dans leur prochaine résidence soient achevés. La maison est située à deux minutes à pied du cinéma, de la médiathèque, des salles de théâtre et à peine plus loin des rues animées et de la place où se tient le marché. Pour moi, le rêve! Plus de voiture, la possibilité de sortir facilement, d’adhérer au cinéma-club et d’aller boire un café au comptoir ou en terrasse.

J’aime toujours ouvrir la petite porte en bois vert et me retrouver tout de suite dans la nature. J’aime admirer les rangées de coquelicots montant la garde le long des champs, voir filer un groupe de chevreuils, les chardons bleuir, les épis de blé ou d’orge dorer et onduler sous la caresse du vent, un escargot traverser la route, les pommiers se couvrir de petites fleurs et les grenouilles installées sur les feuilles des nénuphars dans la mare des Bernard. J’aime que la glycine ait finalement fleuri et déjeuner dehors en humant son parfum.

Muguette ne sait encore rien de notre projet de déménagement et j’ai peur de lui en parler. Elle a déjà vu partir ses voisins directs dont elle était très proche et des voisins plus lointains ayant vendu leur maison. Ses repères forts disparaissent en même temps que ses yeux et ses mains la trahissent. Comme c’est compliqué une vie! Comme c’est difficile de trouver un équilibre! Je pense que si nous avions eu un pied à terre à Paris et que j’avais pu davantage partager mon temps entre Paris et la campagne, nous aurions pu rester sur le plateau.

Récemment, une de mes patientes, professeur, me confiait ne pas aimer les fins d’année scolaire qui la plongeaient dans un état très nostalgique. Comme je lui demandais si elle savait pourquoi elle ressentait cela, elle me répondait par la négative. Comme cette patiente, j’ai beaucoup de mal avec les fins mais je sais très précisément pourquoi. C’est notre maman qui nous a transmis cette forme de névrose à ma soeur et à moi. La peur des fins puisait ses racines dans la mort tragique de son papa qu’elle n’avait jamais pu connaître et avait ensuite été alimentée par les nombreux déménagements auxquels le métier de notre père nous avait exposées.

Nous vivons dans la maison depuis plus de quinze ans. Pour moi, c’est un record absolu! Même si elle est épuisante, j’y suis très attachée. La quitter ne sera pas simple. C’est la maison où nos enfants ont grandi et où, avec nos familles respectives et nos amis, nous avons partagé des moments très heureux: grandes réunions autour d’un baptême, d’une communion ou d’une profession de foi, fêtes de Noël et de Pâques, anniversaires, nuits sous les tentes. Quand je vois ce que nous avons accumulé alors que, pourtant, assez régulièrement, nous faisons du tri, j’ai le tournis. Je m’inquiète pour Fantôme et encore plus pour Cookie qui a sa bande de copains chats qu’il retrouve et qui est si heureux à la campagne. Je devine combien Victoire et Louis seront heureux de pouvoir ne plus dépendre de nous et nous de ne plus jouer les parents taxi. Le retour à la ville sera gage d’autonomie.

Quand nous sommes arrivés dans le Loiret, Céleste venait de fêter ses deux ans, Victoire avait 5 mois et Louis n’était pas encore né. Stéphane et moi allions avoir 36 ans. C’est un très grand chapitre de notre vie qui s’est écrit ici. A la fin de la semaine, nous en écrirons encore de nouvelles lignes autour des 4 ans de Charlotte. Cette foi, je pense que tous les enfants pourront profiter de la piscine et qu’ils pourront également monter les tentes sur une herbe récemment tondue.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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