Chronique d’une maison pleine de vie

Vendredi dernier, la voiture d’Antoine stationne devant le portail vert rongé par la mousse. J’ouvre à distance et tiens Fantôme dont l’ardeur est difficilement contrôlable quand il retrouve des membres de la famille. Ma soeur, ses trois enfants et Miyu, la soeur de notre chat Cookie, s’extraient du véhicule. Un masque noir tombe sur les graviers. Instinctivement, je cherche Zoro mais il demeure introuvable. Si, en mars, à Paris, nous avons entraperçu nos grands neveux, nous n’avons pas revu ma soeur et sa petite Charlotte depuis Noël. C’était très long, trop long! Nous regrettons tous que le temps ne se prête pas à des apéritifs et à des repas sur la terrasse à l’ombre des canisses et à la transformation du jardin en terrain de camping. L’an passé, à la même époque, nous avions passé une semaine tous ensemble et avions vraiment eu le sentiment de vivre un bout de grandes vacances avant l’heure. Les enfants avaient amplement profité de la piscine. Pour le moment, seule la pluie la remplit.

Chacun dépose ses affaires dans sa chambre. Miyu va se réfugier sous le lit, à l’étage. Les cousins sont ravis de se retrouver. Nous sommes heureux de faire la connaissance d’Antoine. Louis, l’amoureux de Victoire, déjeune avec nous. Quelle belle tablée! Entre deux averses, les jeunes réussissent à aller marcher ou faire du vélo, de jour comme de nuit. Rosalie, la truie sauvage qui raffole des guilis sous le ventre et Gudule, l’âne qui aime qu’on lui chatouille l’intérieur des oreilles, sont présentés à Antoine. Quand il pleut, la brochette de six va piocher dans les piles de jeux de société ou dispute des parties de Uno ou de Kem’s. Antoine est initié au lnyx. Il s’agit d’un jeu de reconnaissance visuel offert par la maman de Stéphane à ses petits-enfants. Il est préférable de ne pas jouer avec nos filles car elles repèrent les objets sur le plateau circulaire en un temps record.

Je m’amuse de voir que Charlotte fait dans cette maison ce que son frère et sa soeur et ses cousins font dans la maison gardoise de leur grand-mère: elle sait parfaitement où retrouver ce qui lui plait. Elle sort de la malle en osier les déguisements, trouve les maisons des trois petits cochons et des puzzles. Nous passons beaucoup de temps toutes les deux. Charlotte va chercher des histoires dans la bibliothèque du couloir et nous les lisons assises sur le lit de Victoire ou dans le canapé rouge du salon parfumé à l’odeur de Fantôme. Comme toutes les petites filles de son âge, Charlotte aime se maquiller. C’est si amusant de la regarder s’appliquer du fard sur les paupières, sur les joues et repasser au moins dix fois du rouge à lèvres sur sa bouche.

Pendant les repas, ma soeur qui possède de multiples talents dont celui d’interpréter les rêves perçait les mystères des songes de celles et de ceux qui acceptaient de les lui confier. C’est fascinant de pouvoir décoder les messages envoyés par notre inconscient! Le soir, les six jeunes dont l’âge va de 13 ans et demi à 23 ans s’installent en pyjama sur le canapé de la mezzanine déplié en lit pour une séance de cinéma avec pop-corn. Le lendemain, pour le dîner, conduits par Antoine, ils partent au Mc Donald’s. Les filles sont ravies et se disent que c’est vraiment bien de savoir conduire! A la campagne, la vie des adolescents devient vite compliqué et, sans les parents ou les parents des amis, ils sont condamnés à l’immobilisme. Nous espérions que notre aînée profiterait de son année de terminale pour passer son permis mais il n’en a rien été.

Le dimanche matin, après un bon petit-déjeuner, les Parisiens repartent. Bison futé voit rouge. Le temps tristounet n’a pas dissuadé les Français qui le peuvent de s’évader pour le long pont de l’Ascension. Charlotte est triste de s’en aller et nous de la voir repartir. Nous n’avons pas eu le temps de faire l’inventaire de la boite à bijoux. Je promets un bain avec de la mousse comme dans un film hollywoodien pour la prochaine fois. Quand j’explique à Charlotte que je vais bientôt venir à Paris et que je pourrai l’emmener à l’école, son visage s’éclaire. Comme la maison est calme après leur départ. Tandis que je me lance dans un ménage dominical, les enfants font leurs devoirs. Lundi, les filles retournent au lycée et beaucoup de contrôles sont prévus.

Ce matin, jeudi, un soleil puissant se lève fièrement au-dessus du plateau dont les champs sont couverts par une nappe fine de brouillard. Alors que Louis est parti prendre le car, je me rends compte qu’il a oublié son masque dans la salle de bains. Il n’en a pas d’avance dans son sac à dos. Me voici qui marche en direction de l’abri-bus avec mes sabots élimés, une espèce de veste difforme qui me sert de robe de chambre et mes cheveux en bataille. Je sais que Louis sera consterné que les autres voient sa mère dans cet état mais je n’ai pas trop le choix. Hier, tous les deux, nous avions rendez-vous chez le dentiste. En ce premier jour de réouverture encadrée des boutiques, des terrasses des cafés et des restaurants, des cinémas, des musées et des salles de spectacle, le parking ressemblait à un patchwork avec toutes les voitures colorées serrées les unes contre les autres. C’était agréable de voir les tables et les chaises devant les cafés. Le dentiste nous disait avoir eu la joie de déjeuner en terrasse avec son équipe et la chance de passer entre les gouttes. J’aurais aimé ressentir davantage cette légèreté, pouvoir avoir le temps de boire quelque chose à la table d’une terrasse mais nous devions rentrer. Notre aînée m’a dit qu’elle aimerait beaucoup retourner au restaurant et aller au cinéma. Nous n’avons pas été au cinéma depuis « Antoinette dans les Cévennes » en octobre et pas été au restaurant depuis notre semaine dans le Finistère sud à la Toussaint.

Cette effervescence ne touche pas le plateau qui vit au rythme du soleil, de la pluie et de la vie dans les champs et les bois. Demain, après de longs mois de réunions en visio, Victoire et moi retrouverons le presbytère et échangerons autour du pardon. Ce sera la dernière séance d’aumônerie des lycéens. Jeudi prochain, les élèves de terminale pourront se connecter à Parcoursup pour savoir ce qu’il en est de leurs voeux. Il y aura de grandes joies et de grandes déceptions et des choix d’orientation qui ne sont pas les bons. Comme je serai plus sereine quand nous saurons ce que fera notre aînée à la rentrée et que nous lui aurons trouvé un pied à terre. Comme elle aura été lourde cette année! Je me demande quand et comment je réussirai à me défaire de cette fatigue contre laquelle je lutte pied à pied, jour après jour. Hier, en courant car nous étions en retard pour le rendez-vous chez le dentiste il me semblait être une baleine gestante à l’approche de la naissance de son baleineau!

Pour finir sur une touche culturelle, j’ai lu un roman et suivi une série qui m’ont beaucoup plu. Le roman  » Née sous une bonne étoile » d’Aurélie Valognes raconte avec une infinie justesse et une grande sensibilité le parcours scolaire semé d’embûches de Gustave. Etiqueté « cancre » quand il est surtout un enfant lunaire, promis à chaque fin d’année à un redoublement de sa classe, désireux de rendre sa mère fier de lui, Gustave verra sa vie transformée par la rencontre avec un professeur de français au collège qui saura lui redonner confiance en lui et en l’avenir. Ce n’est pas ce qu’on appelle communément de la « grande littérature » mais c’est une histoire très émouvante qui parlera à toutes celles et à tous ceux qui ont eu des parcours scolaires compliqués ou qui ont des enfants qui peinent à se fondre dans le moule de l’école.

Quant à la série, elle est actuellement diffusée par Arte et compte deux saisons. Je n’ai pas encore tout à fait terminé la seconde saison dont l’action se déroule à Saint-Pierre-et-Miquelon mais ai beaucoup aimé la première « Maroni, les fantômes du fleuve ». Elle raconte l’enquête menée par une jeune femme métropolitaine et son co-équipier guyanais en Guyane. Les rites vaudous sont au coeur de cette intrigue qui a le don d’hypnotiser le téléspectateur. Le vaudou est né au Bénin et a ensuite essaimé partout où les Européens ont pratiqué l’esclavage. A la Martinique où ma soeur et moi avons vécu, le vaudou, appelé quimbois, était présent. L’existence de ces pratiques faisait peur à notre mère.

Espérons que le week-end de la Pentecôte sera moins pluvieux!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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